Cour d’appel de Versailles, le 1 septembre 2025, n°23/01063

L’arrêt rendu par la Cour d’appel de Versailles le 1er septembre 2025 s’inscrit dans le contentieux récurrent du licenciement pour faute grave et de ses contestations multiples. Un salarié, employé de magasin depuis juin 2019, a été licencié pour faute grave en mai 2021 après plusieurs griefs : défaut de port de chaussures de sécurité, retards répétés et absence injustifiée. Le salarié a contesté ce licenciement devant le conseil de prud’hommes de Saint-Germain-en-Laye, qui a jugé le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse. Le salarié a interjeté appel pour obtenir la nullité du licenciement, fondée sur une discrimination liée à son état de santé et sur la violation des droits de la défense. L’employeur, dont les conclusions ont été déclarées irrecevables, s’est trouvé réputé s’approprier les motifs du jugement de première instance.

Le salarié avait été placé en arrêt maladie de septembre 2020 à mars 2021. À sa reprise, l’employeur lui a reproché des manquements survenus les 1er et 2 avril 2021, puis une absence injustifiée à compter du 6 avril 2021. Le conseil de prud’hommes a retenu que l’employeur ne rapportait pas la preuve des griefs invoqués. En appel, le salarié a soutenu que son licenciement était nul pour discrimination en raison de son état de santé et pour violation de ses droits de la défense, faute de convocation régulière à l’entretien préalable. Il a également sollicité des dommages-intérêts pour violation de la législation sur la vidéoprotection et pour absence de visite médicale d’embauche.

La Cour d’appel de Versailles devait déterminer si le licenciement prononcé pour faute grave était entaché de nullité, soit pour discrimination liée à l’état de santé du salarié, soit pour violation des droits de la défense résultant du défaut de convocation à l’entretien préalable.

La cour a confirmé le jugement en toutes ses dispositions. Elle a rejeté la demande de nullité pour discrimination, le salarié n’établissant pas de faits laissant supposer un lien entre son état de santé et son licenciement. Elle a également écarté la nullité pour violation des droits de la défense, le défaut de convocation à l’entretien préalable ne constituant qu’une irrégularité de procédure n’entraînant pas la nullité du licenciement. L’absence de cause réelle et sérieuse a été confirmée, l’employeur n’ayant pas prouvé les griefs allégués.

L’arrêt invite à examiner successivement le rejet de la nullité du licenciement malgré les allégations du salarié (I), puis les conséquences de l’absence de preuve des griefs sur la qualification du licenciement (II).

I. Le rejet de la nullité du licenciement : une application rigoureuse du régime probatoire

A. L’échec de la démonstration d’une discrimination liée à l’état de santé

Le salarié soutenait que son licenciement était motivé par son état de santé. Il invoquait ses arrêts maladie successifs et la coïncidence temporelle entre sa reprise et les griefs formulés par l’employeur. La cour a rappelé le mécanisme probatoire prévu par l’article L. 1134-1 du code du travail. Selon ce texte, le salarié doit présenter « des éléments de fait constituant selon lui une discrimination directe ou indirecte ». Si ces éléments « laissent supposer l’existence d’une telle discrimination », il incombe alors à l’employeur de prouver que ses décisions « sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination ».

La cour a constaté que les griefs invoqués par l’employeur portaient sur des faits survenus après la fin de l’arrêt maladie, « sur une période non couverte par les arrêts de travail produits aux débats ». Elle en a déduit que ces griefs étaient « sans lien avec l’état de santé du salarié ». Cette analyse procède d’une lecture chronologique des éléments factuels. Le salarié n’a pas démontré que l’employeur avait connaissance d’une fragilité de santé au moment des faits reprochés. La simple succession temporelle entre un arrêt maladie et un licenciement ne suffit pas à caractériser un lien discriminatoire.

Cette solution s’inscrit dans une jurisprudence constante de la Cour de cassation. Le salarié qui invoque une discrimination doit apporter des éléments de fait précis et concordants. La cour a relevé que le salarié « n’établissait pas comme il le soutenait que le motif du licenciement reposait sur son état de santé ». L’exigence probatoire ainsi rappelée protège les employeurs contre des allégations non étayées, tout en maintenant une protection effective des salariés victimes de discrimination avérée.

B. L’irrégularité de procédure, sanction distincte de la nullité

Le salarié invoquait également la nullité de son licenciement pour violation des droits de la défense. Il soutenait n’avoir pas été régulièrement convoqué à l’entretien préalable. La cour a constaté que « l’employeur ne produit pas la preuve de la convocation de M. [N] à l’entretien préalable de licenciement ». Cette défaillance probatoire aurait pu laisser penser à une sanction sévère.

La cour a cependant rappelé que « le défaut de convocation à l’entretien préalable ou l’absence d’entretien constitue une irrégularité de procédure qui n’entraîne pas la nullité du licenciement ». Cette solution résulte de l’article L. 1235-2 du code du travail, qui prévoit une indemnité maximale d’un mois de salaire en cas d’irrégularité procédurale. La nullité du licenciement est réservée aux cas les plus graves : discrimination, harcèlement, violation d’une liberté fondamentale. L’irrégularité de procédure ne relève pas de cette catégorie.

Cette distinction entre nullité et irrégularité de procédure structure le droit du licenciement. Elle permet de graduer les sanctions selon la gravité de l’atteinte aux droits du salarié. La nullité emporte des conséquences radicales, notamment la réintégration et le paiement des salaires intermédiaires. L’irrégularité de procédure donne lieu à une indemnisation limitée. La cour a fait application de cette distinction en rejetant la demande de nullité et, par voie de conséquence, les demandes de réintégration et d’indemnité d’éviction.

II. L’absence de cause réelle et sérieuse : les carences probatoires de l’employeur

A. L’impossibilité de prouver les griefs matériels

L’employeur reprochait au salarié des retards les 1er et 2 avril 2021, le défaut de port de chaussures de sécurité et une absence injustifiée à compter du 6 avril 2021. La cour a adopté les motifs des premiers juges, qui avaient constaté que « l’absence de moyen de contrôle des horaires ne permettait pas à l’employeur de justifier des retards ». Sans système de pointage, l’employeur ne pouvait établir avec certitude que le salarié était arrivé à 14h59 au lieu de 14h30.

Concernant les chaussures de sécurité, la cour a relevé que « la société, informée de la nécessité d’adapter les EPI, n’avait pas fourni les chaussures de sécurité prescrites par le médecin du travail le 12 avril 2021 ». L’employeur ne pouvait reprocher au salarié le non-port d’équipements qu’il n’avait pas mis à sa disposition conformément aux préconisations médicales. Cette solution rappelle que l’obligation de sécurité pèse sur l’employeur, qui doit fournir les équipements de protection individuelle adaptés.

Quant à l’absence injustifiée, la cour a constaté que « la société Action France n’avait pas mis en demeure le salarié de justifier de son absence ». L’employeur, avant de licencier pour absence injustifiée, doit interpeller le salarié sur les raisons de son absence. Cette mise en demeure permet au salarié de s’expliquer et de produire, le cas échéant, des justificatifs. L’absence de cette démarche a privé l’employeur de la possibilité de se prévaloir utilement de ce grief.

B. Le maintien des condamnations indemnitaires et le rejet des demandes complémentaires

La cour a confirmé les condamnations prononcées par le conseil de prud’hommes. L’employeur a été condamné à verser 2 168,22 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, 406,57 euros à titre d’indemnité de licenciement, 1 084,11 euros d’indemnité compensatrice de préavis et 108,41 euros de congés payés afférents. Ces sommes correspondent à l’application du barème prévu par l’article L. 1235-3 du code du travail pour un salarié ayant moins de deux ans d’ancienneté.

Le salarié avait également sollicité des dommages-intérêts pour violation de la législation sur la vidéoprotection. Il soutenait que l’employeur avait utilisé un système de vidéosurveillance pour contrôler son activité sans l’en avoir informé. La cour a rejeté cette demande au motif que le salarié « ne produit aucune pièce aux débats permettant d’établir que le système de vidéoprotection mis en œuvre au sein du magasin a été utilisé aux fins de collecter des informations personnelles le concernant ». Le contrat de travail mentionnait l’existence d’un système de vidéoprotection destiné à la sécurité des biens et des personnes. Le salarié n’a pas démontré que ce système avait été détourné de sa finalité déclarée pour surveiller son travail.

La demande indemnitaire pour absence de visite médicale d’embauche a également été rejetée. La cour a rappelé que « le salarié peut obtenir des dommages-intérêts en l’absence de visite médicale d’embauche s’il justifie d’un préjudice ». Le salarié n’ayant démontré aucun préjudice résultant de cette carence, sa demande a été rejetée. Cette solution s’inscrit dans la jurisprudence de la Cour de cassation qui subordonne l’indemnisation à la preuve d’un préjudice effectif, écartant toute présomption de préjudice automatique.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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