Cour d’appel de Versailles, le 1 septembre 2025, n°23/01070

La cour d’appel de Versailles, 1er septembre 2025, chambre sociale, tranche l’admissibilité d’images de vidéoprotection et la qualification d’une faute grave. Une salariée, licenciée pour détournements et manipulations d’encaissement, conteste la preuve tirée d’un système non soumis à la consultation du CSE.

Engagée en 2019, elle est convoquée en juillet 2020, mise à pied, puis licenciée après exploitation d’images et d’un listing d’opérations en caisse. Le conseil de prud’hommes de Saint‑Germain‑en‑Laye, 23 mars 2023, juge le licenciement sans cause, décision frappée d’appel par l’employeur. Parallèlement, une convocation devant le tribunal judiciaire de Versailles intervient à la suite d’une plainte pénale.

L’employeur sollicite l’admission des images sous contrôle de proportionnalité malgré l’absence de consultation du CSE. La salariée invoque l’illicéité du dispositif et l’irrecevabilité, puis demande l’infirmation du licenciement. La question porte sur la validité probatoire d’enregistrements de sécurité installés pour protéger les biens et, subsidiairement, sur la faute grave et ses effets.

La cour admet la production après mise en balance des droits, retient la faute grave et déboute la salariée de ses demandes indemnitaires. Elle confirme en outre le rejet d’une demande liée à l’absence de visite médicale, faute de préjudice établi.

I. Admission conditionnée des enregistrements de vidéoprotection

A. Cadre légal et grille de contrôle jurisprudentielle

Le régime probatoire applicable résulte d’une conciliation entre vie personnelle et droit à la preuve. La Cour de cassation rappelle que « l’illicéité d’un moyen de preuve, au regard des dispositions susvisées, n’entraîne pas nécessairement son rejet des débats, le juge devant apprécier si l’utilisation de cette preuve a porté atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit au respect de la vie personnelle du salarié et le droit à la preuve, lequel peut justifier la production d’éléments portant atteinte à la vie personnelle d’un salarié à la condition que cette production soit indispensable à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi ». Soc., 10 novembre 2021, n° 20‑12.263.

La méthode est précisée par un triple test opératoire. Ainsi, « le juge doit d’abord s’interroger sur la légitimité du contrôle opéré par l’employeur et vérifier s’il existait des raisons concrètes qui justifiaient le recours à la surveillance et l’ampleur de celle‑ci. Il doit ensuite rechercher si l’employeur ne pouvait pas atteindre un résultat identique en utilisant d’autres moyens plus respectueux de la vie personnelle du salarié. Enfin le juge doit apprécier le caractère proportionné de l’atteinte ainsi portée à la vie personnelle au regard du but poursuivi ». Soc., 14 février 2024, n° 22‑23.073.

B. Application par la cour d’appel de Versailles aux faits de l’espèce

La cour constate l’autorisation préfectorale, l’information individuelle et l’affichage en magasin, mais l’absence d’information‑consultation du CSE. Elle juge que le dispositif, installé pour la sécurité dans des espaces ouverts au public, permettait aussi de contrôler l’activité et aurait dû être soumis au CSE. Le caractère potentiellement illicite n’emporte pourtant pas exclusion automatique.

La cour retient l’existence de soupçons concrets, étayés par une exploitation bornée dans le temps et croisée avec les journaux d’encaissement. Elle estime la production « indispensable » au droit à la preuve, faute d’alternative aussi efficace, et « proportionnée » au but de protection des biens. L’admission de la preuve s’impose donc, sans effacer l’exigence structurelle d’information‑consultation du CSE.

II. Faute grave et conséquences sociales

A. Charge de la preuve et appréciation de la gravité des manquements

Le contrôle de proportionnalité passé, le débat revient aux règles probatoires du licenciement. Les juges du fond rappellent les articles L. 1232‑1 et L. 1235‑1 et forment leur conviction au vu des pièces contradictoirement produites. En cas de doute, celui‑ci profite au salarié, mais encore faut‑il qu’il subsiste au terme de l’instruction.

La cour relève des anomalies multiples, répétées et chiffrées, corroborées par les images et le relevé des transactions. Elle constate des détournements au profit personnel ou de collègues et l’usage de codes de caisse d’autrui. La rupture du lien de loyauté est caractérisée et rend impossible le maintien pendant le préavis. La faute grave est retenue et entraîne l’exclusion des indemnités de rupture et du salaire de la mise à pied conservatoire.

B. Portée pratique de la solution et limites de l’office probatoire

La décision s’inscrit dans une ligne désormais stabilisée admettant, sous conditions strictes, des preuves issues d’un dispositif non conforme. Le message aux employeurs demeure double : documenter des soupçons concrets, circonscrire la période et croiser les sources, mais surtout respecter, en principe, l’information‑consultation du CSE. L’admission au cas d’espèce ne consacre pas un contournement toléré de cette formalité.

Sur l’absence de visite médicale, la cour confirme la nécessité d’un préjudice démontré. Selon la formule, « le salarié peut obtenir des dommages et intérêts en l’absence de visite médicale d’embauche s’il justifie d’un préjudice ». Soc., 24 juin 2020, n° 17‑28.067. À défaut d’atteinte prouvée, la demande est rejetée, ce qui rappelle l’exigence d’une conséquence concrète et objectivée.

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Hassan KOHEN
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