Cour d’appel de Versailles, le 10 juillet 2025, n°23/01185

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Rendue par la Cour d’appel de Versailles le 10 juillet 2025, la décision tranche un litige né de la suspension du contrat d’un agent d’entretien d’un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes. Le salarié, engagé depuis 2011, avait vu son contrat suspendu à compter du 15 septembre 2021, faute de justificatif de l’obligation vaccinale instaurée par la loi du 5 août 2021.

Le salarié a saisi le conseil de prud’hommes le 9 septembre 2022, sollicitant réintégration et rappels de salaires. Par jugement du 7 avril 2023, le conseil a rejeté ses prétentions. L’appel a été interjeté le 3 mai 2023. Devant la cour, l’intéressé a renoncé à la réintégration après la suspension de l’obligation vaccinale par le décret du 13 mai 2023, ne sollicitant plus que des rappels de salaires avec accessoires. L’employeur concluait à la confirmation et aux dépens.

L’appelant invoquait des atteintes aux libertés fondamentales, tenant à la vie privée, à l’intégrité corporelle et à la liberté du travail, ainsi qu’un manquement à l’exécution de bonne foi par l’absence de reclassement. L’intimée soutenait la stricte application de la loi, l’absence d’obligation de reclassement et la proportionnalité de la mesure légale de suspension.

La question posée était double. D’une part, la légalité, dans le secteur médico‑social, de la suspension du contrat non rémunérée sur le fondement des articles 12 et 14 de la loi du 5 août 2021, au regard des droits conventionnels et constitutionnels invoqués. D’autre part, l’existence d’obligations d’adaptation ou de reclassement et, corrélativement, d’un droit aux salaires durant la période de suspension.

La cour confirme le rejet des demandes. Elle retient la licéité et la proportionnalité de la suspension légale, écarte les griefs tirés de la vie privée, de l’inviolabilité du corps humain et de la liberté du travail, et nie toute obligation de reclassement. Elle rappelle que « La suspension, qui s’accompagne de l’interruption du versement de la rémunération, prend fin dès que le salarié remplit les conditions nécessaires à l’exercice de son activité ».

I. Le sens de la décision: application du cadre légal et contrôle des droits fondamentaux

A. La suspension légale et ses effets immédiats

La cour raisonne d’abord depuis le texte même de la loi, qu’elle cite longuement pour en fixer la portée exacte. Elle rappelle que « les personnes exerçant leur activité dans les établissements de santé […] doivent être vaccinées, sauf contre-indication médicale reconnue », et qu’à défaut, « son contrat de travail est suspendu ». Elle souligne encore que « Elle ne peut être assimilée à une période de travail effectif […] et s’accompagne de l’interruption du versement de la rémunération ».

Cette base normative emporte une conséquence centrale pour le litige. L’absence de prestation rend inopérant tout rappel de salaires, en l’absence de texte contraire, tant que l’intéressé ne satisfait pas aux conditions légales. La cour insiste sur le caractère provisoire de la mesure, intégralement conditionné à la régularisation vaccinale ou à l’évolution des normes, ce qui borne l’atteinte alléguée.

L’arrêt rattache de plus la situation à la finalité de santé publique. L’objectif est « la protection des personnes qui se trouvent dans une situation de particulière vulnérabilité », ce qui informe l’interprétation de l’article 14. Cette articulation justifie l’absence d’assimilation à du travail effectif et l’interruption des salaires, dans un cadre légal précis et transitoire.

B. Le contrôle de proportionnalité au regard des libertés invoquées

Sur l’article 8 de la Convention, la cour admet l’ingérence, mais constate qu’elle est « prévue par la loi » et poursuit des buts légitimes de santé et de protection d’autrui. Elle s’appuie sur la jurisprudence européenne du 8 avril 2021 (CEDH, n° 47621/13), qui admet une vaccination obligatoire lorsque la politique volontaire ne suffit pas, sous réserve d’un contrôle de proportionnalité effectif.

La décision écarte également les griefs relatifs à l’intégrité corporelle. Elle affirme que la loi « n’instaure pas une vaccination forcée », de sorte que l’atteinte alléguée au corps ne se réalise pas. Répondant à l’argument de l’expérimentation, elle reprend la solution selon laquelle « Ils ne peuvent donc être considérés comme ayant le caractère d’une expérimentation médicale », l’autorisation conditionnelle impliquant un rapport bénéfices‑risques positif et un contrôle strict.

Enfin, la liberté du travail ne fait pas obstacle à la suspension légale, dès lors qu’elle demeure limitée dans le temps et susceptible de cesser par la régularisation du salarié. La cour juge ainsi la mesure « proportionnée », car elle « constitue une mesure d’éloignement provisoire afin d’assurer la protection des personnes vulnérables », tout en maintenant le contrat et la liberté personnelle.

II. La valeur et la portée: alignement jurisprudentiel et conséquences pratiques

A. La consolidation par la jurisprudence nationale et européenne

L’arrêt s’inscrit dans un courant jurisprudentiel désormais stabilisé. Il relève que la chambre sociale a, par décisions des 5 juillet 2023 et 24 janvier 2024, dit « n’y avoir lieu de renvoyer ces questions prioritaires de constitutionnalité » dirigées contre les articles 12 et 14 de la loi du 5 août 2021. Ce filtre confirme la solidité constitutionnelle du dispositif légal.

Au plan conventionnel, la chambre sociale a jugé le 13 mars 2024 que l’obligation vaccinale « ne portait pas atteinte aux droits protégés par les articles 2, 3 et 8 » de la Convention. Le faisceau convergent entre contrôle constitutionnel, contrôle de conventionalité et contrôle européen renforce la robustesse de la solution adoptée en appel, et limite la marge de remise en cause contentieuse.

Ce triple ancrage a une vertu de clarification. En fixant le périmètre de l’ingérence et la finalité de santé publique, il encadre l’office du juge prud’homal, désormais recentré sur l’application concrète du texte et la vérification de la proportionnalité, plutôt que sur une réouverture des débats de principe.

B. Les effets en droit du travail: salaire, ancienneté, reclassement et loyauté

La portée pratique ressort nettement. La suspension emporte, de plein droit, l’interruption du salaire, sans assimilation à du temps de travail effectif pour les congés et l’ancienneté. La cour cite expressément que « Elle ne peut être assimilée à une période de travail effectif pour la détermination de la durée des congés payés ainsi que pour les droits […] d’ancienneté ».

L’arrêt précise encore que l’employeur n’était tenu à aucune obligation de reclassement, le législateur n’ayant prévu, « en dehors de la prise de congés payés et de jours de repos », aucune mesure alternative. Il en résulte l’absence de faute dans l’exécution loyale, la bonne foi demeurant présumée et non renversée par l’appelant.

Enfin, la solution conforte une logique de proportion. La mesure est dite « proportionnée » car « elle constitue une mesure d’éloignement provisoire […] tout en maintenant le contrat de travail ». Le retour effectif du salarié après le décret du 13 mai 2023 illustre la temporalité maîtrisée de l’atteinte, et confirme l’absence de droit à rémunération pour la période litigieuse.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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