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L’obligation de sécurité pesant sur l’employeur constitue l’une des pierres angulaires du droit du travail contemporain. Elle trouve son fondement dans les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail, qui imposent à l’employeur de prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. La cour d’appel de Versailles, par un arrêt du 10 juillet 2025, a été amenée à se prononcer sur les conséquences d’un manquement grave à cette obligation dans le contexte particulier d’une insalubrité caractérisée des locaux de travail.
Un salarié engagé en qualité de boulanger depuis septembre 2014 avait, à plusieurs reprises, alerté son employeur sur l’état d’insalubrité des locaux, notamment la présence de rongeurs et de leurs déjections. Le 2 décembre 2022, la direction départementale de la protection des populations prenait un arrêté de fermeture de l’établissement. Le même jour, le salarié exerçait son droit de retrait. Placé en arrêt maladie à compter du 16 décembre 2022, il notifiait sa prise d’acte de la rupture du contrat de travail le 23 janvier 2023. Il saisissait ensuite le conseil de prud’hommes de Rambouillet afin de voir requalifier cette prise d’acte en licenciement sans cause réelle et sérieuse et d’obtenir réparation du préjudice résultant du manquement à l’obligation de sécurité.
Le conseil de prud’hommes, par jugement du 5 septembre 2023, accueillait partiellement ses demandes en requalifiant la prise d’acte en licenciement sans cause réelle et sérieuse et en lui allouant diverses indemnités. L’employeur interjetait appel, contestant tant le manquement à l’obligation de sécurité que la légitimité du droit de retrait exercé par le salarié.
La question posée à la cour était double. Elle devait déterminer si l’employeur avait manqué à son obligation de sécurité et si ce manquement justifiait que la prise d’acte produise les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse. La cour devait également apprécier la légitimité du droit de retrait exercé par le salarié.
La cour d’appel de Versailles confirme pour l’essentiel le jugement déféré. Elle retient que l’employeur a manqué à son obligation de sécurité en n’ayant pris aucune mesure malgré les alertes répétées du salarié sur l’insalubrité des locaux. Elle juge le droit de retrait légitime et condamne l’employeur au paiement d’un rappel de salaire pour la période correspondante. Elle confirme que la prise d’acte produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
L’arrêt mérite examen en ce qu’il illustre la rigueur avec laquelle les juridictions apprécient le respect de l’obligation de sécurité par l’employeur (I) et précise les conditions d’exercice du droit de retrait et ses conséquences sur la rupture du contrat de travail (II).
I. La caractérisation du manquement à l’obligation de sécurité par l’inertie de l’employeur
La cour retient le manquement à l’obligation de sécurité en s’appuyant sur les preuves rapportées par le salarié (A) et écarte les moyens de défense avancés par l’employeur (B).
A. L’établissement du manquement par la convergence des éléments probatoires
La cour rappelle le principe selon lequel « ne méconnaît pas l’obligation légale lui imposant de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, l’employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures de prévention prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail ». Cette formulation reprend la jurisprudence constante de la Cour de cassation qui a abandonné l’obligation de résultat stricte au profit d’une obligation de moyens renforcée.
Le salarié établit le manquement par plusieurs éléments convergents. Il produit des photographies datées et des messages du 24 août et du 20 novembre 2022 attestant de ses alertes. Il verse aux débats l’arrêté de fermeture du 2 décembre 2022 de la direction départementale de la protection des populations, qui constate que « les locaux étaient sales, qu’ils étaient difficilement nettoyables » et relève « la présence avérée de déjections de rongeurs en de multiples endroits ». La direction départementale de l’emploi, du travail et des solidarités confirme avoir constaté « la présence d’une souris morte au pied de la balancelle de la façonneuse ainsi que de nombreuses déjections de rats dans tout l’établissement ».
La cour souligne que l’inspection du travail a également relevé que le document unique d’évaluation des risques professionnels n’avait pas été établi. Elle rappelle qu’en application de l’article R. 4121-1 du code du travail, ce document doit être mis à jour annuellement. L’absence de ce document obligatoire constitue un indice supplémentaire de la défaillance de l’employeur dans sa mission de prévention.
B. Le rejet des moyens de défense de l’employeur
L’employeur tente de faire peser la responsabilité de l’insalubrité sur le salarié lui-même. Il produit des attestations de deux salariés déclarant que chaque salarié a l’obligation de nettoyer la partie qu’il occupe et que l’intéressé en faisait le minimum. La cour écarte ces attestations, estimant qu’elles sont « à prendre avec circonspection, étant dépourvues de toute objectivité et en totale contradiction avec les constatations des autorités administratives sur place ».
L’employeur invoque également l’existence d’un contrat avec une société de dératisation. La cour relève que ces interventions « n’étaient manifestement pas efficaces, faute d’être doublées d’un nettoyage des locaux, pour lequel la société ne produit aucun élément ». Elle observe en outre que l’employeur « ne justifie ni même allègue qu’il rentrait dans les attributions du salarié de nettoyer l’intégralité des locaux ».
La cour relève encore que si le contrat de travail mentionne qu’un plan de nettoyage et des règles d’hygiène devaient être remis au salarié, « aucun document ne lui a été remis ». L’inspection du travail a par ailleurs constaté qu’aucun affichage réglementaire n’avait été effectué. Le manquement de l’employeur est ainsi caractérisé par une accumulation de négligences.
Le quantum de l’indemnisation est cependant réduit par la cour de 10 000 euros à 4 000 euros. Cette réduction peut surprendre au regard de la gravité des manquements constatés, mais s’explique sans doute par l’appréciation du préjudice effectivement subi par le salarié.
II. Le droit de retrait et ses incidences sur la rupture du contrat de travail
La cour reconnaît la légitimité du droit de retrait exercé par le salarié (A) et en tire les conséquences sur la qualification de la rupture (B).
A. La reconnaissance d’un motif raisonnable de retrait
La cour rappelle les termes de l’article L. 4131-1 du code du travail, selon lequel « le travailleur alerte immédiatement l’employeur de toute situation de travail dont il a un motif raisonnable de penser qu’elle présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé ». Elle précise que « le droit de retrait est un droit individuel qui peut être exercé par un seul salarié ou par un groupe de salariés et qui n’est soumis à aucun formalisme ».
L’appréciation du motif raisonnable relève du pouvoir souverain des juges du fond. En l’espèce, la cour retient que « le salarié avait un motif raisonnable de penser que sa situation de travail présentait un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé ». Elle fonde cette appréciation sur les constats convergents des autorités administratives et sur l’inertie persistante de l’employeur malgré les alertes répétées.
L’employeur objectait que l’arrêté de fermeture avait été abrogé le 8 décembre 2022, ce qui démontrait selon lui que le danger avait cessé. La cour écarte cet argument en relevant qu’au moment de l’exercice du droit de retrait le 2 décembre 2022, « il n’avait pas été informé de l’arrêté de fermeture et l’employeur n’avait encore procédé à aucune des actions correctives préconisées ». Elle ajoute que lorsque l’employeur a mis le salarié en demeure de reprendre son travail le 12 décembre 2022, « il n’a pas évoqué l’arrêté abrogeant la fermeture ni même justifié des actions entreprises ».
En conséquence, la retenue de salaire opérée par l’employeur pendant la période de retrait est jugée injustifiée. La cour condamne l’employeur au paiement d’un rappel de salaire de 840 euros brut, outre les congés payés afférents, pour la période du 2 au 16 décembre 2022.
B. La requalification de la prise d’acte en licenciement sans cause réelle et sérieuse
La cour rappelle le régime de la prise d’acte. Elle produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les manquements invoqués empêchaient la poursuite du contrat de travail, et les effets d’une démission dans le cas contraire. La charge de la preuve pèse sur le salarié. L’écrit de prise d’acte ne fixe pas les limites du litige, le juge étant tenu d’examiner tous les manquements invoqués devant lui.
La cour juge que « sans qu’il soit besoin d’évoquer l’ensemble des griefs invoqués par le salarié, le manquement au devoir de sécurité est d’une telle gravité qu’il empêche la poursuite de la relation de travail ». Cette formulation mérite attention. Elle signifie que le seul manquement à l’obligation de sécurité, lorsqu’il atteint un certain degré de gravité, suffit à justifier la requalification de la prise d’acte en licenciement sans cause réelle et sérieuse.
La cour alloue au salarié une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse de 13 500 euros, correspondant à six mois de salaire. Elle se fonde sur les critères de l’article L. 1235-3 du code du travail, tenant compte de l’ancienneté de huit années, de l’âge du salarié et des circonstances de la rupture. Elle relève cependant l’absence de justification de la situation du salarié au regard de l’emploi après la rupture, ce qui peut expliquer que l’indemnité soit fixée dans la moyenne de la fourchette légale.
L’arrêt confirme par ailleurs l’indemnité légale de licenciement de 4 500 euros allouée par le conseil de prud’hommes. Il refuse en revanche d’assortir d’une astreinte la condamnation à remettre les documents sociaux, infirmant sur ce point le jugement déféré.