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La requête en omission de statuer constitue un mécanisme procédural permettant d’assurer la complétude des décisions judiciaires sans remettre en cause leur autorité. Cette voie de droit, prévue à l’article 463 du code de procédure civile, offre au plaideur la possibilité d’obtenir qu’il soit statué sur un chef de demande laissé sans réponse. L’arrêt rendu par la cour d’appel de Versailles le 10 juillet 2025 illustre les conditions d’application de ce recours et ses limites.
Une locataire occupait depuis 1998 un appartement dans un immeuble parisien géré par une régie immobilière pour le compte de la ville. Le 28 mai 2020, le gestionnaire du réseau de distribution d’électricité procéda au remplacement de plusieurs compteurs électriques dans les parties communes, dont celui de la locataire, par des compteurs communicants utilisant le courant porteur en ligne. Huit de ces compteurs furent installés sur un mur mitoyen avec l’appartement de l’intéressée. Celle-ci, se déclarant électrosensible, mit en demeure le gestionnaire de retirer ces équipements, invoquant une dégradation de son état de santé.
Après échec des démarches amiables, la locataire saisit le juge des référés du tribunal judiciaire de Paris en janvier 2021, puis le tribunal judiciaire de Versailles au fond. Par jugement du 17 janvier 2022, cette juridiction la débouta de l’ensemble de ses demandes. Sur appel de la locataire, la cour d’appel de Versailles, par arrêt du 23 janvier 2025, se déclara incompétente au profit de la juridiction administrative pour statuer sur les demandes de retrait ou déplacement des compteurs et sur la réparation des préjudices de santé allégués. Elle confirma le rejet des demandes dirigées contre la régie immobilière et condamna la locataire aux dépens.
Le 31 janvier 2025, la locataire saisit la même cour d’une requête en omission de statuer, soutenant que plusieurs de ses demandes n’avaient pas reçu de réponse. Elle sollicitait le retrait de son compteur, la délivrance d’une électricité exempte de courant porteur, et une indemnité de 500 000 euros pour ce qu’elle qualifiait de refus par le gestionnaire d’appliquer une « justice privée ».
La cour d’appel de Versailles devait déterminer si elle avait omis de statuer sur certains chefs de demande dans son arrêt du 23 janvier 2025. Plus précisément, il lui fallait apprécier si les demandes relatives au compteur desservant l’appartement de la requérante étaient comprises dans la déclaration d’incompétence générale, et si la demande indemnitaire fondée sur une prétendue discrimination avait reçu une réponse.
La cour juge que les demandes de retrait du compteur individuel et de délivrance d’une électricité exempte de courant porteur étaient incluses dans la déclaration d’incompétence visant « les compteurs [I] présents dans l’immeuble collectif ». Elle constate en revanche une omission de statuer concernant la demande indemnitaire fondée sur le refus du gestionnaire de retirer le compteur. Statuant sur ce chef, elle déboute la requérante après avoir écarté toute faute du gestionnaire et tout lien de causalité entre le prétendu handicap et le refus litigieux.
I. La délimitation rigoureuse du périmètre de la décision attaquée
La cour procède à une interprétation stricte de la portée de sa décision initiale pour apprécier l’existence d’une omission de statuer. Elle distingue ensuite nettement les demandes selon leur fondement juridique.
A. L’inclusion des demandes relatives au compteur individuel dans la déclaration d’incompétence générale
La requérante soutenait que ses demandes concernant son propre compteur n’étaient pas couvertes par la déclaration d’incompétence matérielle, celle-ci ne visant selon elle que les compteurs ne desservant pas son logement. Elle faisait valoir qu’en sa qualité d’usagère du service public, et non de tiers aux autres compteurs, ses prétentions relevaient d’un régime distinct.
La cour rejette cette argumentation en rappelant que « les compteurs [I] étaient des ouvrages publics » et que « les demandes relatives à la suppression, à la transformation, ou au déplacement d’un ouvrage public relèvent par nature de la compétence du juge administratif ». Cette qualification, conforme à la jurisprudence administrative constante, emporte des conséquences procédurales décisives. La nature d’ouvrage public attachée au compteur ne varie pas selon qu’il dessert l’appartement du demandeur ou les parties communes.
La cour relève en outre le caractère indissociable des demandes formulées. La requérante sollicitait tout à la fois le « retrait définitif du compteur [I] » et l’injonction « de délivrer une électricité exempte de tout courant porteur en ligne ». Or cette seconde demande « est indissociable de la demande tendant au retrait de son compteur ». La suppression du signal électrique codé transitant par le réseau suppose nécessairement l’ablation de l’équipement qui l’émet. Les deux prétentions forment un ensemble cohérent que la déclaration d’incompétence couvrait intégralement.
B. L’identification d’une demande indemnitaire autonome non tranchée
La cour reconnaît avoir omis de statuer sur la demande tendant à la condamnation du gestionnaire au paiement de 500 000 euros « pour lui avoir refusé l’application de sa justice privée ayant entrainé un handicap à vie ». Elle distingue cette prétention des demandes indemnitaires liées aux « effets délétères des compteurs » qu’elle avait renvoyées devant le juge administratif.
Cette demande spécifique se rattachait à « la qualité d’usagère du service public » de la requérante et au refus individualisé opposé à sa demande de retrait. Elle ne concernait pas les préjudices de santé attribués au fonctionnement des compteurs, mais le comportement contractuel du gestionnaire dans ses relations avec l’usagère. La cour précise que le compteur était « envisagé isolément » dans cette prétention.
La distinction opérée traduit une analyse fine des fondements juridiques respectifs. Les demandes relatives aux ouvrages publics et à leurs effets nocifs allégués relèvent du juge administratif. La demande fondée sur un manquement contractuel ou un comportement discriminatoire dans l’exécution du service public demeure de la compétence judiciaire.
II. Le rejet au fond de la demande indemnitaire pour absence de faute caractérisée
Après avoir réparé l’omission de statuer, la cour examine la demande indemnitaire au regard du droit commun de la responsabilité civile. Elle écarte successivement l’existence d’une faute et d’un lien de causalité.
A. L’absence de discrimination dans le refus de retrait du compteur
La requérante invoquait une « justice privée » du gestionnaire, dénonçant une inégalité de traitement entre usagers. Elle produisait des éléments établissant que certains usagers avaient obtenu le retrait de leur compteur communicant.
La cour constate d’abord que la médiation proposée « n’a pas abouti » mais que « rien n’indique cependant que la décision de la société Enedis de ne pas retirer son compteur soit fondée sur un motif discriminatoire ». L’échec d’une négociation ne caractérise pas en soi un comportement fautif.
Concernant les retraits accordés à d’autres usagers, la cour précise que « ces décisions prises dans un contexte de médiatisation de leur cas individuel, n’ont d’autre nature que contractuelle, et ne confèrent à ce titre aucun droit aux autres usagers ». Cette analyse distingue les engagements particuliers pris envers certains usagers, qui ne créent pas de précédent opposable. Le gestionnaire conserve sa liberté contractuelle dans le traitement des demandes individuelles, pourvu qu’aucun critère prohibé ne fonde ses décisions.
La solution retenue s’inscrit dans la jurisprudence relative aux services publics industriels et commerciaux. L’égalité de traitement n’impose pas une uniformité absolue des décisions mais interdit les distinctions fondées sur des motifs illégitimes.
B. L’absence de lien causal entre le refus et le préjudice allégué
La cour complète son analyse en examinant le préjudice invoqué. Elle rappelle que « les dommages-intérêts n’ont pas en droit français de caractère punitif » et « sont donc à la mesure des dommages réellement subis ». Cette précision vise la demande de 500 000 euros qui semblait poursuivre une finalité punitive envers le gestionnaire.
Sur le fond, la cour relève qu’« il ne résulte pas des pièces versées aux débats que le handicap invoqué par Mme [W] résulte directement du refus de la société Enedis de lui retirer le compteur ». Le lien de causalité entre le comportement reproché et le dommage allégué n’est pas établi. La requérante ne démontre pas que le refus de retrait, par opposition au fonctionnement même des compteurs, serait la cause de son état.
Cette exigence probatoire reflète les principes gouvernant la responsabilité civile. Le demandeur doit établir non seulement l’existence d’une faute et d’un préjudice, mais également leur relation causale directe. En l’espèce, le préjudice invoqué se rattachait plus naturellement aux effets physiques allégués des compteurs qu’au comportement contractuel du gestionnaire.