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Par un arrêt de la Cour d’appel de Versailles, chambre sociale, du 10 septembre 2025, est tranché un litige relatif à une prise d’acte. Un salarié, négociateur immobilier VRP, dénonçait une sédentarisation imposée, un contrôle horaire strict et des agissements constitutifs de harcèlement, puis prenait acte de la rupture. Le conseil de prud’hommes avait qualifié la prise d’acte de démission, avant un appel recentré sur la modification unilatérale du poste et la dégradation des conditions de travail. La cour infirme pour l’essentiel, retient un harcèlement moral et requalifie la rupture en licenciement nul, avec indemnités et remboursement partiel des allocations.
Les faits utiles tiennent à une réorganisation décidée début 2021, imposant au VRP une présence en agence, la proscription de la prospection extérieure et un reporting minuté. Le salarié produit des échanges internes, des arrêts de travail et une lettre d’acte de rupture détaillant ses griefs. En défense, l’employeur conteste tout harcèlement, soutient une simple mesure d’organisation, et sollicite la qualification de démission. La question de droit porte sur la frontière entre pouvoir de direction et modification du contrat du VRP, et sur les conditions probatoires du harcèlement moral au regard de la charge allégée du salarié. La solution retient, d’une part, une modification unilatérale de l’économie du contrat, d’autre part, une présomption de harcèlement non renversée, entraînant la nullité du licenciement.
I. Le sens de la décision: requalification de la prise d’acte et caractérisation du harcèlement moral
A. Le régime de la prise d’acte et la limite du pouvoir de direction
La cour rappelle d’abord le standard applicable: « La prise d’acte est un acte par lequel le salarié prend l’initiative de rompre son contrat de travail en imputant la responsabilité de cette rupture à son employeur, en raison de manquements de ce dernier à ses obligations, de nature à empêcher la poursuite du contrat de travail. » Elle précise encore: « L’écrit par lequel le salarié prend acte de la rupture du contrat de travail en raison de faits qu’il reproche à son employeur ne fixe pas les limites du litige. » Enfin, s’agissant de l’ancienneté des faits invoqués, l’arrêt mentionne que « Des faits anciens, si ceux-ci sont suffisamment graves pour empêcher la poursuite du contrat de travail, peuvent justifier une prise d’acte aux torts de l’employeur. »
Au regard du pouvoir de direction, la cour souligne la distinction entre simple condition de travail et modification du contrat: « Un employeur peut imposer une tâche différente ou un changement de poste dès lors que ces modifications sont sans incidence sur les fonctions, la qualification ou la rémunération du salarié. » La référence aux solutions antérieures (Soc., 25 mars 2009; Ass. plén., 6 janv. 2012) éclaire la grille d’analyse. Le statut de VRP en cause, dont le temps « n’est pas contrôlable », constitue ici un paramètre déterminant de l’équilibre contractuel et de la mobilité inhérente à la fonction.
B. L’application aux faits: sédentarisation du VRP et altération de l’autonomie
La réorganisation ordonnée au début de 2021 comportait des directives précises, que la cour reproduit: « arrêt de la prospection physique »; « présence à l’agence de 9:30 à 12:30 puis de 14:00 à 18:00 »; « un compte-rendu heure par heure de votre activité devra m’être adressé chaque jour par mail ». Or, s’agissant d’un VRP, cette sédentarisation obligatoire, combinée à un contrôle horaire et à un reporting continu, excède la simple organisation interne.
La motivation est nette: « En interdisant au salarié toute prospection en extérieur et en le contraignant à une présence physique à l’agence selon les horaires déterminés, la nouvelle organisation de travail imposée au salarié n’est pas conforme aux dispositions contractuelles et conventionnelles […]. » La cour en déduit que « L’employeur a donc modifié l’économie générale du contrat de travail du salarié sans son consentement préalable […]. » Les erreurs portées aux bulletins (convention erronée, 151,67 heures) sont jugées sans incidence pécuniaire, mais la réduction du périmètre d’intervention et la contrainte horaire caractérisent le manquement.
Parallèlement, la cour agrège plusieurs éléments objectifs, dont des messages internes et la mise sous tutelle des rendez-vous, pour retenir la présomption de harcèlement: « Ces éléments, pris dans leur ensemble, laissent supposer l’existence d’un harcèlement moral. » Dès lors, « Il revient donc à l’employeur de prouver que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. » Faute d’éléments probants contraires, la cour conclut que « Ces éléments sont d’une gravité telle qu’ils empêchaient la poursuite du contrat de travail de telle sorte que la prise d’acte s’analyse en une rupture aux torts de l’employeur […] laquelle produit les effets d’un licenciement nul. »
II. Valeur et portée: cohérence jurisprudentielle, exigence probatoire et effets pratiques
A. Une motivation conforme aux lignes de la chambre sociale
L’arrêt s’inscrit dans la construction classique de la prise d’acte (Soc., 25 juin 2003; Soc., 26 mars 2014), admet l’office du juge au-delà de la lettre de prise d’acte (Soc., 30 mai 2018), et accueille la prise en compte d’éléments éventuellement anciens lorsqu’ils restent décisifs (Soc., 18 déc. 2024). S’agissant du harcèlement, la charge probatoire allégée est correctement rappelée, puis appliquée.
La formulation retient l’attention: « Il résulte de ces dispositions que, pour se prononcer sur l’existence d’un harcèlement moral, il appartient au juge d’examiner l’ensemble des éléments invoqués par le salarié […]. » La cour reconstitue un faisceau d’indices, reconnaît que certaines allégations ne sont pas établies, mais juge la combinaison des autres éléments suffisante pour déplacer la charge. L’absence de justification objective par l’employeur clôt le raisonnement, dans le sens protecteur habituel du contentieux social.
Cette démarche peut susciter une réserve mesurée, tenant au corpus probatoire disparate. Toutefois, l’atteinte à l’autonomie fonctionnelle du VRP pèse lourd dans l’ensemble, renforçant la cohérence de la solution au regard des protections de la santé et de la dignité au travail.
B. Des conséquences renforcées: nullité, indemnisation, remboursement et demandes accessoires
La qualification de nullité, une fois le harcèlement retenu, entraîne l’application de l’article L. 1235-3-1 et une indemnité au moins égale à six mois de salaire. L’arrêt évalue le préjudice à 19 800 euros, en considération de l’ancienneté, du niveau de rémunération, de l’âge et du retour à l’emploi. S’y ajoutent l’indemnité compensatrice de préavis, les congés afférents, l’indemnité légale de licenciement et une somme modeste au titre d’un préjudice moral distinct.
La portée procédurale est également précisée. D’une part, la cour statue d’office sur les restitutions chômage: « Enfin, il conviendra, en application des dispositions de l’article L. 1235-4 du code du travail, […] d’ordonner d’office le remboursement par l’employeur aux organismes intéressés des indemnités de chômage […] dans la limite de six mois d’indemnités de chômage. » D’autre part, la demande nouvelle en appel pour perte de salaires est admise comme accessoire, mais rejetée faute de preuve: « Par conséquent, la demande de dommages-intérêts pour perte de salaire subie, nouvelle en appel, […] est recevable. » Puis, « Il sera dès lors débouté de sa demande […] faute de justifier de l’existence d’un préjudice. »
L’arrêt délivre un signal clair en matière managériale: la sédentarisation d’un VRP, la fixation d’horaires et le reporting exhaustif, lorsqu’ils altèrent l’économie contractuelle et s’accompagnent d’indices de dénigrement, exposent à la nullité. La solution, méthodiquement arrimée aux textes et aux précédents, précise utilement les limites du pouvoir de direction dans les réseaux commerciaux.