Cour d’appel de Versailles, le 10 septembre 2025, n°23/00260

La Cour d’appel de Versailles, le 10 septembre 2025, se prononce sur plusieurs questions liées à une rupture initiée pendant un congé maternité, au suivi du temps de travail sous forfait-jours, et à des allégations de discrimination. La salariée, engagée en 2015 comme cadre, a démissionné durant son congé, en visant l’ancien article L.122-28, puis a rejoint un autre employeur dès le 1er octobre 2020. Le premier juge a condamné au paiement d’une indemnité pour non-exécution du préavis, a jugé sans effet la convention de forfait-jours et a ordonné la restitution de jours de RTT, tout en écartant la discrimination. En appel, la salariée demande l’infirmation de l’indemnité de préavis, des dommages-intérêts complémentaires, la reconnaissance d’heures supplémentaires et la requalification de la démission, tandis que l’employeur réclame une réparation pour rupture abusive et la confirmation du reliquat. La cour confirme la mise en œuvre du préavis, refuse des dommages-intérêts distincts pour rupture abusive, maintient l’inopposabilité du forfait-jours avec octroi d’heures supplémentaires et déduction de RTT, écarte la discrimination, et statue sur la prescription de la requalification selon le fondement invoqué.

I. Rupture post-maternité et griefs discriminatoires

A. La dispense de préavis de l’article L.1225-66 strictement cantonnée à l’objectif d’élever l’enfant

La cour rappelle la règle, en citant que « pour élever son enfant, le salarié peut, sous réserve d’en informer son employeur au moins quinze jours à l’avance, rompre son contrat de travail (…) sans être tenu de respecter le délai de préavis ». Elle constate que la lettre de démission ne mentionne aucun motif lié à l’éducation de l’enfant et souligne surtout un élément déterminant de fait. Selon ses termes, « il n’est pas contesté que la salariée a repris une activité professionnelle dès le 1er octobre 2020 », soit quelques jours après la fin du congé.

Cette reprise immédiate, jointe à l’absence d’indices concordants d’un projet d’élever l’enfant, interdit de mobiliser la dispense. La motivation retient, dans une ligne conforme à la finalité protectrice du texte, que l’exception de préavis suppose des conditions positives, appréciées in concreto. La cour en tire une conséquence nette: « En conséquence, la salariée est redevable envers l’employeur d’une indemnité pour non exécution du préavis », calculée selon l’avenant cadre. Cette solution respecte l’économie du dispositif, qui n’exonère du préavis qu’à la condition explicite d’élever l’enfant et non en cas de mobilité immédiate.

Cette application stricte évite les détournements de la mesure, sans fermer la voie aux démissions authentiquement orientées vers la garde de l’enfant. Elle invite à une formalisation claire de l’intention dans l’écrit de rupture et à une cohérence temporelle entre départ et cessation d’activité. Elle confirme enfin que l’information de l’employeur n’implique pas, à elle seule, une obligation d’assistance ou de conseil sur le régime, absent tout équivoque dans les écrits échangés.

B. Discrimination liée à la grossesse non caractérisée et absence de rupture abusive distincte

S’agissant de la discrimination, la cour rappelle la règle probatoire, puis constate l’insuffisance des éléments versés. Elle énonce que « la salariée ne présente aucun fait (…) qui laisse supposer l’existence d’une discrimination pour cette raison ». L’analyse des pièces (attestation unique, messages, épisodes antérieurs à la grossesse, allégations génériques) ne fait pas émerger d’indices précis et concordants postérieurs à l’annonce de l’état. La demande indemnitaire est donc rejetée.

La question de la requalification est scindée selon son fondement. La demande liée à la discrimination n’est « pas prescrite », car formée dans le délai quinquennal courant à compter de la révélation alléguée; mais elle échoue au fond, faute d’indices suffisants. La demande fondée sur des manquements généraux à l’exécution du contrat est prescrite au regard du délai annal applicable aux ruptures. Cette distinction illustre une articulation rigoureuse des délais, attentive à l’autonomie du contentieux discriminatoire.

Enfin, la cour refuse d’allouer des dommages-intérêts distincts pour rupture abusive. Elle retient que « l’employeur ne justifie pas de l’existence d’un préjudice résultant du départ brutal (…) distinct de celui » réparé par l’indemnité de préavis. La solution, classique, prévient la double indemnisation et rattache le seul préjudice certain au mécanisme indemnitaire déjà mobilisé. Elle valorise les diligences proposées avant départ, l’ancienneté de l’absence, et l’organisation du remplacement, autant de facteurs atténuant tout dommage autonome.

II. Forfait-jours privé d’effet, heures supplémentaires et restitution des RTT

A. Les manquements de suivi privent d’effet la convention et ouvrent droit aux heures supplémentaires

La cour confirme l’inopposabilité du forfait-jours en relevant l’insuffisance du suivi de la charge et du droit à la déconnexion. Elle constate que « l’employeur ne justifie pas de la tenue d’un entretien annuel de suivi du temps de travail ». Elle ajoute: « Pas davantage, l’employeur ne s’est assuré que la salariée était bien déconnectée pendant les périodes non travaillées ». Ces énonciations s’inscrivent dans le cadre légal qui exige un contrôle régulier, une prévention des risques, et des garde-fous effectifs.

La privation d’effet emporte une conséquence directe: l’assujettissement à la durée légale et la possibilité de réclamer des heures supplémentaires. La preuve est distribuée selon l’article L.3171-4, en exigeant des éléments « suffisamment précis » du salarié, pour permettre une réponse utile de l’employeur. Ici, l’attestation interne, combinée à des SMS hors horaires, franchit le seuil probatoire initial, la cour affirmant que « ces éléments sont suffisamment précis pour permettre à l’employeur de répliquer ». L’employeur, faute de produire ses propres éléments, laisse prospérer l’évaluation judiciaire.

Ce schéma conforte l’exigence d’outils concrets de suivi, d’entretiens annuels traçables et d’une politique de déconnexion opérante. Il rappelle aussi l’obligation de conservation de données temporelles permettant un débat utile. À défaut, l’insécurité probatoire rejaillit sur l’employeur, et l’inopposabilité du forfait emporte des incidences salariales significatives.

B. Évaluation souveraine des heures et compensation des RTT indûment obtenues

La cour fixe le rappel dû par une appréciation globale, après analyse des pièces adverses. Elle souligne l’absence d’éléments horaires produits par l’employeur, notant que « pour sa part, l’employeur ne produit aucune pièce relative aux horaires de la salariée ». Dans ce cadre, le juge détermine souverainement le quantum d’heures et les congés payés afférents, sans détailler chaque calcul, conformément au texte.

La décision opère la nécessaire compensation avec les jours de RTT perçus en exécution du forfait-jours privé d’effet. La restitution s’impose, afin d’éviter un double avantage incompatible avec la re-basculation à la durée légale. La solution articule ainsi cohérence et neutralité économique: l’ouverture des heures supplémentaires n’exclut pas la reprise des RTT octroyés sous le régime défaillant. Cette symétrie répond à une logique de remise à plat, et préserve l’équilibre des prestations.

La portée de l’arrêt est double. D’une part, il sécurise l’office du juge dans l’évaluation des heures, en valorisant des indices simples mais précis lorsque la structure de contrôle fait défaut. D’autre part, il rappelle l’étendue des obligations corrélatives du forfait-jours: entretien annuel, charge soutenable, et déconnexion effective. À défaut, l’inopposabilité entraîne des conséquences contentieuses et financières substantielles, que la compensation des RTT ne suffit pas à neutraliser.

La solution d’ensemble, synthétique et structurée, confirme enfin que les différents chefs de demandes interagissent sans se confondre. La dispense de préavis est strictement conditionnée, la discrimination suppose des indices précis postérieurs à l’annonce, et l’inopposabilité du forfait-jours déploie ses effets propres sur la rémunération et les repos. Le dispositif en tire des injonctions de remise de documents et une répartition des frais, selon l’issue contentieuse de chaque chef.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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