Cour d’appel de Versailles, le 10 septembre 2025, n°23/02040

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Rendue le 10 septembre 2025 par la cour d’appel de Versailles (chambre sociale), la décision tranche un litige né de la rupture pour faute grave du contrat d’un cadre redevenu salarié après l’exercice d’un mandat social. L’employeur imputait au salarié des manquements graves liés à la gestion de marchés, de collaborateurs et d’outils techniques, intervenus après une réorganisation interne et la cessation du mandat. Le licenciement a été notifié le 15 novembre 2019.

Saisi, le conseil de prud’hommes de Versailles a jugé la rupture dénuée de cause réelle et sérieuse, allouant diverses sommes au titre des indemnités de rupture, de l’indemnisation du licenciement et de la communication tardive des documents de fin de contrat. L’employeur a interjeté appel, contestant le bien-fondé du jugement et les montants, tandis que le salarié a formé appel incident, sollicitant une revalorisation des indemnités et des mesures complémentaires.

La question portait, d’abord, sur les conditions de caractérisation d’une faute grave au regard de la charge de la preuve et du contexte d’exercice des fonctions après la fin du mandat social. Elle concernait, ensuite, la détermination du salaire de référence pour l’indemnité légale de licenciement et l’indemnité de préavis en présence de bonus non contractualisés. Enfin, elle impliquait l’appréciation d’un manquement à l’exécution loyale du contrat et à l’obligation de sécurité, la responsabilité liée à la remise erronée des documents de fin de contrat, ainsi que la compétence et le fond des demandes relatives à une garantie privée de dirigeants. La cour confirme l’absence de cause réelle et sérieuse, ajuste certaines condamnations, retient un manquement de l’employeur à la loyauté et à la sécurité, ordonne un remboursement d’allocations dans la limite légale et rejette la demande relative à la garantie privée.

I. L’appréciation des griefs et leurs effets juridiques

A. La faute grave, charge de la preuve et contextualisation des fonctions

La cour rappelle fermement le cadre probatoire. Elle énonce que « La faute grave est celle qui résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits personnellement imputables au salarié, qui doivent être d’une importance telle qu’ils rendent impossible le maintien du salarié dans l’entreprise. » Cette définition commande une appréciation stricte, centrée sur l’imputabilité et l’intensité de la violation contractuelle.

Elle ajoute que « La preuve des faits constitutifs de faute grave incombe exclusivement à l’employeur […] le doute devant bénéficier au salarié. » L’office du juge demeure pragmatique, attentif aux éléments produits, à leur rattachement aux fonctions réellement exercées, et à la cohérence temporelle de la réaction patronale.

Au fond, la cour isole quelques manquements établis, dont une inaction face à des pratiques de rédaction contraires aux règles de l’art et l’attribution de primes à des collaborateurs en décalage avec les résultats. Toutefois, elle souligne la singularité du contexte de fonctions après la fin du mandat social. Elle retient ainsi que « Au contraire, les fonctions confiées au salarié n’avaient pas été définies et il restait lié par les termes du contrat de travail qui avait été suspendu ». Cette imprécision affecte la caractérisation de manquements personnels d’une gravité ultime, surtout lorsque l’organisation modifie unilatéralement le périmètre sans avenant.

La solution s’en déduit avec netteté. Selon la cour, « Dans semblables conditions, les fautes reprochées au salarié […] ne présentent pas un caractère suffisamment sérieux pour justifier la sanction ultime que constitue le licenciement. » La faute grave est écartée, et, au-delà, l’existence d’une cause réelle et sérieuse n’est pas retenue. L’issue s’accorde avec le principe antérieurement rappelé par la jurisprudence de suspension du contrat en cas de mandat social exclusif de fonctions salariées: « Le contrat de travail d’un salarié qui devient dirigeant […] est suspendu pendant le temps d’exercice du mandat social. » La période de suspension et la transition organisationnelle orientent ainsi l’analyse de l’imputabilité et de la gravité.

B. Les conséquences pécuniaires: salaire de référence et indemnités

La décision distingue clairement les régimes applicables. D’un côté, la convention collective exclut les primes non prévues au contrat de la base de l’indemnité conventionnelle. De l’autre, le droit commun des ruptures exige une approche inclusive pour l’indemnité légale et pour le préavis. La motivation est précise lorsque la cour retient, s’agissant du préavis, que « Les “bonus” versés au salarié ne représentent pas des remboursements de frais engagés. Ils doivent donc être inclus ». Cette intégration reflète l’économie des articles R. 1234-4 et L. 1234-5 du code du travail, privilégiant le montant le plus favorable au salarié.

La cour en tire des montants ajustés, retenant une moyenne intégrant les bonus pour l’indemnité légale et pour l’indemnité compensatrice de préavis, tout en corrigeant le quantum de l’indemnité légale en conséquence. Le barème d’indemnisation du licenciement sans cause réelle et sérieuse est ensuite mobilisé, au regard de l’ancienneté recomposée, de la rémunération de référence et de la situation personnelle, pour confirmer la réparation allouée par les premiers juges. L’assiette et la finalité distinctes des composantes indemnitaires sont ainsi nettement séparées.

II. La valeur normative et la portée pratique de la solution

A. Loyauté contractuelle, sécurité et mise à l’écart

Sur l’exécution du contrat, la cour rappelle le texte cardinal: « Selon l’article L. 1222-1, le contrat de travail est exécuté de bonne foi. » Elle examine les éléments produits, retient l’existence d’une mise à l’écart durable au sein de la nouvelle organisation, et la modification unilatérale des fonctions. Elle en conclut que « Ces éléments, associés au fait que le contrat de travail du salarié a été unilatéralement modifié caractérisent un manquement de l’employeur à son obligation d’exécuter le contrat de travail de bonne foi. »

La solution se prolonge sur le terrain de la sécurité, qualifiée de moyen renforcé. La cour juge que « Le traitement réservé au salarié pendant l’année 2019 caractérise également un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité », constatant l’altération de l’état de santé et la chronologie de l’arrêt de travail. La réparation accordée demeure mesurée, mais significative. Elle encadre, pour l’avenir, les réorganisations internes affectant des fonctions de cadres issus d’un mandat social, et rappelle la responsabilité de l’employeur dans la prévention des risques psychosociaux.

B. Documents sociaux, remboursement légal et demandes périphériques

La cour examine ensuite la responsabilité liée aux documents de fin de contrat. Elle constate que « Le manquement initial de l’employeur, qui a de façon inexacte renseigné les documents de fin de contrat, a causé un retard » dans l’ouverture des droits du salarié. Une indemnisation spécifique est confirmée, cohérente avec l’exigence légale de délivrance correcte et immédiate des documents.

Au titre des effets légaux du licenciement sans cause réelle et sérieuse, la juridiction ordonne le remboursement dans la limite de six mois des allocations servies. La mesure, d’ordre public, s’inscrit dans le mécanisme correctif attaché à l’absence de cause, sans excéder son périmètre.

Enfin, la cour encadre une demande périphérique relative à une garantie privée de dirigeants. Elle retient d’abord l’incompétence matérielle de la juridiction prud’homale, puis statue au fond en appel, relevant que « Cette demande est sans lien avec le contrat de travail du salarié » et que « l’employeur n’a pas obligation de souscrire l’assurance litigieuse ». Le rejet s’impose, en cohérence avec la nature facultative de ce type de couverture et la dissociation entre mandat social et contrat de travail.

Ainsi structurée, la décision articule rigueur probatoire et contextualisation des fonctions, distingue utilement les régimes indemnitaires, et consolide les obligations de loyauté et de sécurité lors des transitions organisationnelles. Elle précise, enfin, la responsabilité documentaire de l’employeur et fixe des bornes claires aux demandes connexes détachées du champ contractuel.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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