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La Cour d’appel de Versailles, 10 septembre 2025, statue sur un litige opposant un salarié cadre à son employeur, à la suite d’un licenciement disciplinaire motivé par des remboursements de frais et par la non-exécution d’engagements de relocalisation. Le contrat prévoyait un forfait annuel en jours, et l’intéressé réclamait des heures supplémentaires, l’inopposabilité du forfait, ainsi que diverses indemnités. Le conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt avait écarté la faute grave, alloué des sommes substantielles, et rejeté plusieurs demandes accessoires. L’employeur a interjeté appel, le salarié a formé appel incident.
Les faits utiles tiennent à l’embauche en janvier 2018, aux fonctions d’ingénieur d’application, à la stipulation d’un forfait-jours à 218 jours, et au licenciement notifié en février 2020. La procédure montre un premier jugement favorable au salarié sur l’absence de cause réelle et sérieuse, avec rejet de la nullité du forfait-jours et de certaines prétentions indemnitaires. En cause d’appel, l’employeur sollicite la faute grave ou, subsidiairement, une cause réelle et sérieuse. Le salarié demande l’inopposabilité du forfait, des rappels d’heures supplémentaires, une indemnité pour travail dissimulé, et la majoration des indemnités de rupture.
La question centrale porte sur les garanties exigées pour l’opposabilité d’une convention de forfait en jours et, corrélativement, sur le régime probatoire des heures supplémentaires en cas d’inopposabilité. S’y ajoute la détermination de la cause du licenciement au regard de griefs afférents aux frais et à une clause de relocalisation. La cour déclare inopposable le forfait-jours au motif d’un défaut de suivi effectif, reconnaît des heures supplémentaires sur la base d’éléments suffisamment précis, écarte le travail dissimulé, retient un manquement de l’employeur à l’obligation de sécurité et de loyauté, et confirme l’absence de cause réelle et sérieuse du licenciement. Elle énonce que « Il s’ensuit que la convention de forfait est inopposable au salarié », condamne l’employeur à un rappel de salaire conséquent, et fixe une indemnité prud’homale de référence élevée.
I. Le contrôle du forfait-jours et la preuve des heures supplémentaires
A. Les garanties de santé et de repos exigées par le droit positif
La cour rappelle qu’« Toute convention de forfait en jours doit être prévue par un accord collectif dont les stipulations assurent la garantie du respect de durées raisonnables de travail ainsi que des repos, journaliers et hebdomadaires ». Elle en tire les conséquences sur le contrôle effectif de la charge, en exigeant la tenue d’un entretien annuel dédié, conformément à l’accord de la métallurgie. Or, « il n’est pas démontré que le salarié a (…) bénéficié, chaque année, d’un “entretien (…) au cours duquel seront évoquées l’organisation et la charge de travail (…) et l’amplitude de ses journées d’activité” ». Ce défaut de suivi prive d’effet la convention, car l’exigence de protection de la santé irrigue la validité du forfait-jours, conformément à la jurisprudence et au cadre européen.
La solution s’inscrit dans la ligne de la chambre sociale, qui subordonne l’opposabilité à des garanties concrètes, et non à une simple stipulation abstraite. La référence à l’entretien annuel, au contrôle du nombre de jours, et au suivi de l’amplitude confirme une conception matérielle de la protection. L’arrêt offre une mise en œuvre cohérente, en articulant l’accord collectif, l’obligation de sécurité et l’exigence de vérifiabilité des mesures de prévention.
B. L’administration de la preuve et l’acceptation d’une extrapolation représentative
Privée d’effet, la convention rétablit le régime horaire commun et le débat sur les heures accomplies. La cour souligne que « La charge de la preuve ne pèse donc pas uniquement sur le salarié », et qu’« Après appréciation des éléments de preuve produits, le juge évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul ». Elle retient que les tableaux horaires, agendas, courriels et connexions présentés sont « suffisamment précis » pour déplacer la charge vers l’employeur, qui ne produit aucun décompte.
La motivation admet l’extrapolation d’une période courte vers une période plus large, dès lors que la période de référence est représentative et que des témoignages circonstanciés attestent d’un mode de fonctionnement pérenne. La cour précise encore que « ouvrent droit à une rémunération majorée les heures pour lesquelles le salarié établit que leur réalisation a été rendue nécessaire par les tâches qui lui ont été confiées ». La démonstration convainc, car elle s’adosse aux exigences de l’article L. 3171-4, évite la pure arithmétique, et sanctionne l’absence de contrôle patronal effectif des horaires.
II. Les griefs disciplinaires et la cause du licenciement
A. Frais professionnels, relocalisation et insuffisance probatoire des manquements
Sur les frais, la cour constate que le supérieur a validé des dépenses sur une période prolongée, ce qui interdit de les ériger ensuite en faute. Elle relève que, « Dès lors qu’il est établi que l’employeur a eu connaissance des faits (…) et les a tolérés, il est mal fondé à en faire le reproche au salarié ». La faute grave suppose une réaction rapide et une intolérance avérée au comportement, incompatibles avec une tolérance documentée.
La relocalisation se heurte à un double obstacle. D’abord, les relevés VPN ne prouvent pas le lieu de connexion, la cour retenant que « s’il n’est pas possible de douter de la fiabilité de la pièce (…) quant à la réalité des connexions, l’indication du lieu de la connexion, elle, n’est pas fiable ». Ensuite, l’exigence de travailler 75 % du temps en France n’est pas entrée dans le champ contractuel, la cour jugeant que « le fait de le contraindre à travailler en France dans cette proportion s’analyse en une modification de son contrat de travail », non valablement acceptée, et que « le document (…) n’a pas la valeur d’un avenant ». Les griefs disciplinaires manquent donc d’assise juridique et factuelle.
B. Portée indemnitaire et enseignements procéduraux de l’arrêt
La cour énonce logiquement que « En définitive, aucun des griefs n’étant établi, le licenciement est (…) dénué de cause réelle et sérieuse ». Elle alloue une indemnité notable au titre de l’article L. 1235-3, confirme l’indemnité conventionnelle et le préavis fondés sur l’ancienneté et la convention applicable, et écarte l’allégation de travail dissimulé, faute d’intention. Elle retient toutefois des manquements de l’employeur à l’obligation de sécurité et à l’exécution loyale, notamment au regard de la carence de suivi du forfait et de la gestion administrative initiale, en accordant une réparation mesurée.
L’arrêt présente une portée pratique claire. D’une part, il confirme l’exigence matérielle d’un entretien annuel structuré pour sécuriser un forfait-jours, attachée à une logique de santé au travail. D’autre part, il valide une méthode probatoire mixte pour les heures supplémentaires, combinant pièces variées et extrapolation représentative, tout en sanctionnant l’inertie probatoire de l’employeur. Enfin, il encadre l’usage de traces numériques en imposant un contrôle de fiabilité de la localisation, et rappelle que la tolérance des supérieurs neutralise la gravité disciplinaire, sauf réaction immédiate et non équivoque.