Cour d’appel de Versailles, le 10 septembre 2025, n°23/02058

La cour d’appel de Versailles a rendu le 10 septembre 2025 un arrêt qui illustre le contrôle rigoureux exercé par les juridictions sociales sur le licenciement d’un salarié absent pour maladie. Une salariée, engagée en qualité de technico-commercial depuis mars 2016, avait été placée en arrêt de travail continu à compter du 25 novembre 2019. L’employeur lui avait notifié son licenciement le 12 mars 2021 en invoquant la perturbation du bon fonctionnement de l’entreprise et la nécessité de son remplacement définitif.

La salariée avait saisi le conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt qui, par jugement du 8 juin 2023, avait déclaré le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse tout en rejetant la demande de nullité. Elle interjeta appel pour obtenir principalement la nullité du licenciement et sa réintégration.

L’employeur soutenait que l’absence prolongée de la salariée avait engendré une surcharge de travail pour ses collègues et une dégradation de la qualité de service. Il invoquait l’échec des remplacements temporaires pour justifier la nécessité d’un remplacement définitif. La salariée contestait la réalité des perturbations alléguées et faisait valoir que son licenciement était en réalité fondé sur son état de santé, constitutif d’une discrimination.

La cour devait déterminer si le licenciement pour trouble au fonctionnement de l’entreprise reposait sur une cause réelle et sérieuse et, dans la négative, si ce licenciement devait être annulé comme étant discriminatoire.

La cour d’appel a infirmé partiellement le jugement en prononçant la nullité du licenciement. Elle a considéré que l’employeur ne démontrait pas la désorganisation alléguée et que les faits établis laissaient présumer une discrimination en raison de l’état de santé, sans que l’employeur justifie sa décision par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

Cet arrêt invite à examiner successivement les conditions du licenciement pour absence prolongée liée à la maladie (I) puis le mécanisme probatoire conduisant à la reconnaissance d’une discrimination (II).

I. L’insuffisance des conditions justifiant le licenciement pour absence prolongée

La cour procède à un examen méthodique des deux conditions cumulatives requises pour licencier un salarié absent pour maladie, à savoir la perturbation objective du fonctionnement de l’entreprise (A) et la nécessité d’un remplacement définitif (B).

A. L’exigence d’une perturbation objective non satisfaite

La cour rappelle le principe selon lequel « la rupture du contrat de travail d’un salarié absent pour maladie peut être fondée quand elle est motivée, non par l’état de santé du salarié, mais par la situation objective de l’entreprise dont le fonctionnement est perturbé par cette absence prolongée ». Cette formulation reprend la jurisprudence constante de la chambre sociale qui autorise ce type de licenciement sous réserve de conditions strictes.

L’arrêt relève que l’employeur invoquait une surcharge de travail des collègues et une dégradation de la qualité de service rendu aux mutuelles partenaires. La cour constate cependant que « la société ne fait pas le lien entre l’absence de la salariée et la surcharge d’activités, qui peut également avoir des causes extérieures ». Elle ajoute que la lettre de licenciement « fait état d’une dégradation de la qualité de service rendu auprès des mutuelles, dont la société ne justifie pas ».

Cette analyse révèle l’exigence d’un lien de causalité démontré entre l’absence du salarié et les perturbations invoquées. L’employeur ne peut se contenter d’allégations générales sur les difficultés rencontrées. Il doit établir que ces difficultés résultent spécifiquement de l’absence du salarié licencié et non de facteurs conjoncturels ou organisationnels indépendants.

La cour fait également échec à l’argument relatif à la communication tardive des arrêts de travail en relevant que « l’employeur n’apporte pas la preuve que les arrêts de travail de la salariée étaient communiqués par cette dernière du jour pour le lendemain ». Le respect des règles probatoires s’impose donc avec rigueur à l’employeur qui entend se prévaloir de circonstances aggravantes.

B. L’absence de nécessité d’un remplacement définitif

La seconde condition du licenciement pour absence prolongée suppose que « les perturbations entraînent la nécessité pour l’employeur de procéder au remplacement définitif du salarié absent par l’engagement d’un autre salarié ». La cour examine cette condition à la lumière de l’article 82 b de la convention collective des sociétés d’assurances qui subordonne la cessation du contrat à « l’obligation de remplacer le salarié absent ».

L’employeur avait procédé à deux embauches en contrat à durée déterminée pour des périodes très brèves, du 5 au 20 octobre 2020 puis du 5 décembre 2020 au 7 janvier 2021. La cour observe que « les périodes de remplacement étaient de courtes périodes, ce qui ne reflète pas la nécessité du remplacement de la salariée ».

Cette appréciation souligne que la nécessité du remplacement définitif doit être réelle et non artificielle. Des contrats temporaires de quelques semaines ne sauraient démontrer l’impossibilité de poursuivre le remplacement provisoire jusqu’au retour du salarié. L’argument de la technicité du poste et de la formation requise ne suffit pas à justifier le recours au licenciement lorsque l’employeur n’a manifestement pas déployé les efforts nécessaires pour pallier temporairement l’absence.

La cour conclut que « la désorganisation de l’entreprise consécutive à l’absence de la salariée n’est pas établie », confirmant ainsi l’absence de cause réelle et sérieuse retenue par les premiers juges. Cette conclusion ouvre la voie à l’examen de la nullité pour discrimination.

II. La caractérisation d’une discrimination liée à l’état de santé

L’arrêt applique le mécanisme probatoire propre à la discrimination en vérifiant d’abord la présomption établie par la salariée (A) puis en constatant l’absence de justification objective de l’employeur (B).

A. L’établissement d’une présomption de discrimination

L’article L. 1134-1 du code du travail impose au salarié de présenter « des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination ». La cour examine les éléments invoqués par la salariée avec une approche nuancée.

Elle écarte d’abord certains arguments en relevant que « les échanges de courriels visés par la salariée ne laissent pas supposer l’existence d’une discrimination en raison de son état de santé ». Elle ajoute que « contrairement à ce que soutient la salariée, sa supérieure a organisé son retour lorsqu’elle en a connu la date, en lui confiant des missions à réaliser ». Ces constatations témoignent d’un examen objectif des pièces produites, la cour ne se contentant pas des allégations de la salariée.

L’élément déterminant réside dans l’articulation entre l’absence de cause réelle et sérieuse précédemment retenue et le motif de licenciement invoqué. La cour énonce que « la salariée a été licenciée pour trouble au fonctionnement de l’entreprise en raison de ses absences prolongées et la cour a précédemment retenu que ce licenciement ne reposait pas sur une cause réelle et sérieuse ». Elle en déduit que « les faits matériellement établis laissent donc supposer l’existence d’un licenciement motivé par l’état de santé de la salariée ».

Ce raisonnement illustre la spécificité du licenciement pour absence maladie. Lorsque l’employeur invoque formellement les conséquences de l’absence sur l’organisation et que ces conséquences ne sont pas établies, le lien avec l’état de santé du salarié devient prépondérant dans la motivation réelle du licenciement.

B. La carence de l’employeur dans la justification objective

Une fois la présomption établie, la charge de la preuve bascule sur l’employeur qui doit « prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination ». La cour constate laconiquement que « l’employeur ne justifiant sa décision de licencier la salariée par aucun élément objectif étranger à toute discrimination en raison de cet état de santé ».

Cette carence probatoire s’explique par la structure même du contentieux. L’employeur ayant fondé sa défense sur la réalité des perturbations et la nécessité du remplacement définitif, il n’avait pas véritablement anticipé la question de la nullité pour discrimination. L’absence de réponse substantielle sur la demande de réintégration confirme cette lacune stratégique.

La cour prononce donc la nullité du licenciement et ordonne d’office le remboursement des indemnités de chômage aux organismes concernés dans la limite de six mois. Elle surseoit à statuer sur la réintégration et les salaires afférents, ordonnant la réouverture des débats pour permettre aux parties de conclure sur ces points.

La portée de cet arrêt dépasse le cas d’espèce. Il confirme que le licenciement pour absence prolongée liée à la maladie demeure un terrain périlleux pour l’employeur. Lorsque les conditions objectives ne sont pas réunies, la nullité pour discrimination peut être retenue sur le fondement même des motifs avancés dans la lettre de licenciement. L’employeur qui ne parvient pas à démontrer la perturbation réelle de son entreprise se trouve dans l’impossibilité de justifier sa décision par des éléments étrangers à l’état de santé du salarié, précisément parce qu’il a lui-même établi le lien entre l’absence pour maladie et le licenciement.

📄 Circulaire officielle

Nos données proviennent de la Cour de cassation (Judilibre), du Conseil d'État, de la DILA, de la Cour de justice de l'Union européenne ainsi que de la Cour européenne des droits de l'Homme.
Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

Maître Kohen, avocat à Paris en droit pénal et droit du travail, accompagne ses clients avec rigueur et discrétion dans toutes leurs démarches juridiques, qu'il s'agisse de procédures pénales ou de litiges liés au droit du travail.

En savoir plus sur Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture