Cour d’appel de Versailles, le 11 septembre 2025, n°22/02734

Cour d’appel de Versailles, 11 septembre 2025.

La formation de la protection sociale statue sur deux appels joints relatifs à la prise en charge d’une tendinopathie des muscles épicondyliens et à la faute inexcusable. Une salariée, secrétaire médicale, a vu sa pathologie du coude gauche déclarée en 2019 et prise en charge par la caisse au titre du tableau n° 57. L’employeur a contesté la désignation de la maladie, la date de première constatation et l’adéquation des gestes aux travaux listés. Par deux jugements du 19 juillet 2022, le pôle social du tribunal judiciaire de Versailles a, d’une part, déclaré opposable la décision de prise en charge, d’autre part, rejeté la faute inexcusable. La cour rejette le sursis sollicité, rappelant que « La Cour devant statuer par une même décision sur le caractère professionnel de la maladie déclarée et sur la reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur, le sursis est inutile et sera rejeté. »

La question centrale porte sur les conditions de la présomption de maladie professionnelle au regard du tableau n° 57, spécialement la désignation clinique, la date de première constatation au sens de l’article D. 461-1-1, et l’inscription des tâches accomplies dans la liste limitative. Subsidiairement, se pose la preuve d’une faute inexcusable, appréciée au prisme de la conscience du danger et des mesures de prévention adaptées, après une première pathologie déjà prise en charge plusieurs années auparavant.

I. La présomption de maladie professionnelle au titre du tableau n° 57

A. Désignation pathologique et première constatation médicale

La cour retient sans hésitation l’équivalence clinique entre l’épicondylite, la tendinite épicondylienne et la tendinopathie des muscles épicondyliens. Elle s’appuie sur les examens successifs, dont l’échographie et l’IRM, pour asseoir l’adéquation de l’affection au libellé du tableau n° 57. Le débat sur une rupture tendineuse est écarté, le tableau n’exigeant ni rupture ni caractère rompu de la lésion. Le grief tiré d’une erreur de désignation n’est donc pas recevable.

Le point nodal porte sur la date de première constatation médicale au sens réglementaire. La cour rappelle que doit être retenue la date à laquelle un médecin a constaté les premières manifestations de la maladie, avant même l’établissement définitif du diagnostic. La prescription d’examen du 17 octobre 2019 fait foi à ce titre, peu important que l’IRM soit postérieure. Répondant à la critique d’un délai expiré, elle énonce que « Le délai prévu au tableau a donc été respecté. » Il s’ensuit que « En conséquence la deuxième condition du tableau est bien remplie et le jugement sera confirmé de ce chef. »

B. Travaux limitativement listés et fréquence des gestes

L’argumentation relative aux gestes professionnels est traitée au regard de la liste limitative du tableau n° 57. Les tâches de guichet impliquent des mouvements répétés de préhension, d’extension de la main et de pronosupination, par la gestion quotidienne des flux documentaires, des cartes, des paiements et des interfaces de travail. La discussion sur la durée cumulée des gestes est résolue avec netteté, la cour relevant que « En effet, aucune durée n’est imposée par le tableau, » et qu’ »il n’est pas nécessaire que ces tâches soient prépondérantes par rapport au reste des activités exercées. »

La présomption joue donc pleinement, la répétition et l’habitude des gestes étant caractérisées par leur survenance journalière et leur réitération au fil des dossiers traités. La cour confirme, dans une formule programmatique, que « Ainsi, c’est à juste titre que le tribunal a considéré que les conditions du tableau étaient remplies, que la caisse a pu, à bon droit, prendre en charge la maladie au titre du tableau n° 98 des maladies professionnelles et que la décision de la caisse du 27 février 2020 devait être déclarée opposable à la société. » La mention du numéro 98, isolée dans ce passage, s’analyse comme une simple inadvertance matérielle sans portée, l’ensemble des motifs visant le tableau n° 57 et sa logique propre.

II. La faute inexcusable de l’employeur: exigence probatoire et appréciation concrète

A. Conscience du danger et mesures de prévention adaptées

Le cadre juridique est rappelé dans des termes constants. La charge de la preuve incombe à la victime, et « La faute inexcusable ne se présume pas et il appartient à la victime d’en apporter la preuve. » La conscience du danger se déduit d’éléments objectifs, notamment des antécédents connus et des préconisations du médecin du travail. Après une première pathologie de l’épaule, le médecin du travail avait recommandé un appui des avant-bras et une distance œil‑écran adaptée. La cour constate la mise en place d’un poste conforme, avec mobilier réglable et cheminements adaptés, tout en soulignant la part d’appropriation nécessaire par la salariée dans l’usage du poste dédié. Elle retient en conséquence que « L’employeur a ainsi respecté les préconisations du médecin du travail, » ce qui affaiblit la démonstration d’une conscience du danger demeurée sans mesures.

La portée de ce constat est double. D’une part, il corrobore l’existence d’une organisation et de moyens adaptés au sens de l’article L. 4121-1 du code du travail. D’autre part, il interrompt la chaîne argumentative reliant mécaniquement les antécédents de l’épaule à la survenance de l’atteinte du coude, faute d’éléments probants sur une persistance d’un risque non traité. Le principe suivant est d’ailleurs opportunément rappelé: « Il est indifférent que la faute inexcusable commise par l’employeur ait été la cause déterminante de l’accident […] Il suffit qu’elle soit une cause nécessaire », encore faut-il l’établir, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.

B. Lien causal spécifique et distinction des mécanismes lésionnels

La motivation opère ensuite une distinction décisive entre les gestes incriminés au titre de l’épaule et ceux pertinents pour l’épicondylite. La cour précise que « La maladie, objet du litige, impacte le coude à cause de mouvements de préhension et d’extension de la main et des mouvements de pronosupination, » et ajoute sans détour que « Cette affection n’apparaît pas à cause de mouvements des bras vers le haut. » Cette différenciation, solidement ancrée dans le libellé du tableau n° 57, dissout l’argument centré sur l’élévation du bras à hauteur de comptoir.

L’analyse factuelle confirme d’ailleurs que l’aménagement du point d’accueil permet la pose des documents à hauteur de plan de travail, avec un passage au ras du bureau facilitant la transmission des pièces. La salariée demeurait en position d’exiger ce dépôt préalable, réduisant d’autant les contraintes en abduction. La démonstration d’une cause nécessaire imputable à l’employeur fait ici défaut, la preuve d’une carence préventive particulière s’avérant insuffisante. Le rejet de la faute inexcusable s’ensuit, dans la droite ligne d’une jurisprudence qui exige la convergence d’une conscience avérée du danger et d’une absence de mesures appropriées.

Par cette double confirmation, la décision ordonne la stabilité du régime de présomption applicable aux tendinopathies du coude et rappelle l’exigence de précision probatoire en matière de faute inexcusable. L’employeur n’est pas tenu d’anticiper, au-delà des recommandations dûment mises en œuvre, une pathologie distincte quant à ses mécanismes, lorsque les adaptations instaurées répondent aux risques effectivement connus. La solution, rigoureuse et cohérente, préserve l’équilibre entre protection de la santé au travail et sécurité juridique des prises en charge.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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