Cour d’appel de Versailles, le 11 septembre 2025, n°23/00847

Rendue par la Cour d’appel de Versailles le 11 septembre 2025, la décision commente une demande de reconnaissance de faute inexcusable fondée sur un événement psychique daté du 20 ou du 23 mars 2015. L’organisme social avait pris en charge l’accident au titre professionnel, tandis que la victime sollicitait aussi la requalification en rechute d’un accident du 30 avril 2014, et la jonction de deux instances. Le débat portait ainsi sur la matérialité d’un fait soudain au temps et au lieu du travail, sur la possibilité d’une rechute avant consolidation, et sur les incidences procédurales propres au contentieux social.

En première instance, le pôle social du tribunal judiciaire de Versailles a rejeté la faute inexcusable, refusé la jonction, déclaré irrecevable l’inopposabilité recherchée, et décliné compétence pour les demandes indemnitaires de droit du travail au profit du conseil de prud’hommes de Paris. En appel, l’employeur a soutenu l’absence d’origine professionnelle, l’organisme social a combattu la requalification en rechute, et l’appelante a demandé une expertise, une provision et la jonction.

La question de droit tenait à la possibilité de discuter l’imputabilité professionnelle malgré la prise en charge, à l’exigence probatoire d’un fait accidentel psychique, et à la définition de la rechute au regard de la consolidation. La cour confirme l’impossibilité d’une rechute avant consolidation, écarte la jonction, retient l’inapplicabilité de l’article 909 du code de procédure civile en procédure orale, et nie l’existence d’un fait accidentel établi, ce qui exclut la faute inexcusable. Elle énonce que « les dispositions de l’article 909 du code de procédure civile ne sont pas applicables en l’espèce », puis juge qu’ »il convient donc d’apprécier le caractère professionnel de l’accident du 23 mars 2015 déclaré, même si la caisse a pris en charge l’accident au titre de la législation professionnelle ».

I. Le contrôle du juge sur l’imputabilité professionnelle et la faute inexcusable
A. L’indépendance de l’action en faute inexcusable vis‑à‑vis de la prise en charge
La cour rappelle le principe selon lequel la décision de l’organisme social sur la prise en charge ne préjuge pas de l’action en faute inexcusable. Elle cite que « la décision prise par la caisse […] est sans incidence sur l’action en reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur ». Le contentieux de la prise en charge répond à la logique de l’instruction administrative, quand la faute inexcusable suppose la preuve d’un manquement grave à l’obligation de sécurité et la démonstration d’un accident professionnel.

Cette autonomie se prolonge par la faculté, reconnue à l’employeur, de contester l’origine professionnelle devant le juge de la faute inexcusable. La cour reprend que « l’employeur peut soutenir, en défense à l’action en reconnaissance de la faute inexcusable […] que l’accident, la maladie ou la rechute n’a pas d’origine professionnelle ». Cette affirmation, conforme à la jurisprudence de la deuxième chambre civile, légitime l’examen judiciaire intégral des conditions de l’article L. 411-1 du code de la sécurité sociale.

B. L’exigence probatoire d’un fait soudain et la portée de la présomption
Le cadre légal reste classique. L’article L. 411-1 instaure une présomption d’imputabilité pour l’accident « survenu par le fait ou à l’occasion du travail », à la condition que la victime établisse la matérialité d’un fait soudain au temps et au lieu du travail. La cour précise que « les déclarations du salarié ne suffisent pas à elles seules à établir le caractère professionnel de l’accident ». L’office du juge exige donc un élément objectif, fût-il minimal, corroborant l’événement.

L’arrêt ajoute que « la faute inexcusable ne se présume pas et il appartient à la victime d’en apporter la preuve ». S’agissant d’un dommage psychique, l’exigence ne se relâche pas. L’événement doit être circonscrit et daté, distinct d’un contexte délétère ou de difficultés récurrentes. Cette ligne, ferme mais cohérente, évite que la présomption ne se substitue à la preuve de l’événement déclencheur.

II. L’application aux faits: absence de fait accidentel et impossibilité d’une rechute avant consolidation
A. Défaillance de la preuve d’un fait soudain psychique au temps et au lieu du travail
La déclaration tardive, l’incertitude sur la date, l’existence d’arrêts maladie sans référence initiale à un accident, et l’absence de témoin direct fragilisent la matérialité alléguée. La cour souligne la discordance entre l’état psychologique antérieur et un prétendu choc immédiat lié à un blocage informatique, non corroboré par des éléments extrinsèques. Elle en déduit que « les déclarations du salarié ne suffisent pas à elles seules », et que l’événement invoqué ne satisfait pas à l’exigence d’un fait précis et soudain.

La motivation se tient sur un fil probatoire constant pour les accidents psychiques. Le contexte conflictuel ne suffit pas. La mention d’un environnement de travail tendu peut éclairer le fond, sans suppléer la preuve d’un événement. La solution écarte ainsi le fondement de la faute inexcusable, qui suppose d’abord un accident du travail juridiquement caractérisé.

B. Rechute et consolidation: rappels normatifs et portée de la solution
La cour applique les articles L. 443-1 et L. 443-2. Elle cite que « constitue une rechute toute modification dans l’état de la victime, dont la première constatation médicale est postérieure à la date de la guérison apparente ou de la consolidation de la blessure ». L’espèce révèle une consolidation de l’accident de 2014 fixée postérieurement aux faits de 2015, ce qui exclut par principe la requalification en rechute.

La conclusion se résume nettement: « Ainsi, l’accident du 20 ou du 23 mars 2015 ne peut être pris en compte au titre d’une rechute d’un accident du travail dont la consolidation n’est pas encore acquise. » La portée est double. D’une part, la rechute reste indissociable d’une consolidation préalable, même en présence de symptômes psychiques évolutifs. D’autre part, la décision encourage une qualification adéquate des atteintes psychiques, soit par la voie de l’accident si un fait soudain est établi, soit par d’autres vecteurs, le cas échéant devant la juridiction prud’homale.

Au plan procédural, la cour précise encore que « les dispositions de l’article 909 du code de procédure civile ne sont pas applicables en l’espèce », en raison de la procédure orale applicable en protection sociale. La jonction est refusée au regard de la distinction des faits. L’ensemble confirme une lecture rigoureuse du droit positif, soucieuse de sécurité juridique et d’une articulation claire entre contentieux social et prud’homal.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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