Cour d’appel de Versailles, le 11 septembre 2025, n°23/01945

Par un arrêt de la cour d’appel de Versailles du 11 septembre 2025 (chambre sociale, n° RG 23/01945), la juridiction confirme le rejet d’une action en discrimination salariale et en inégalité de traitement, articulée autour d’une revendication de reclassification. Le litige oppose une salariée d’une entreprise relevant du statut des industries électriques et gazières à son employeur, au sujet de la valeur de son emploi et des conséquences indemnitaires alléguées.

Les faits tiennent à un long parcours débuté en 1978, achevé par un départ à la retraite en 2016. En fin de carrière, l’intéressée occupait un emploi de formateur concepteur, classé au groupe fonctionnel 12, correspondant au premier niveau cadre. Elle soutenait toutefois avoir exercé en réalité des fonctions de formateur chef de projet, impliquant un niveau de classification supérieur et, par suite, des droits salariaux plus élevés.

La salariée a d’abord saisi les commissions internes de l’entreprise, qui ont rejeté la revalorisation sollicitée. Elle a ensuite saisi le conseil de prud’hommes, lequel a débouté l’ensemble des demandes. Devant la cour, l’appelante invoquait une discrimination non caractérisée par un motif précis et, à titre principal, une inégalité de traitement au regard du principe “à travail égal, salaire égal”. L’employeur contestait toute assimilation des fonctions exercées à celles d’un chef de projet, en soulignant les différences hiérarchiques et fonctionnelles déterminantes.

La question posée à la cour consistait à déterminer si la salariée présentait des éléments de fait propres à laisser supposer une discrimination ou, à défaut, une inégalité de traitement liée à une sous‑classification, au regard des critères de comparaison pertinents. La cour répond par la négative, après avoir rappelé le régime probatoire applicable et confronté les pièces produites aux référentiels d’emploi. Elle relève que “Ces éléments ne laissent pas plus supposer une discrimination ou une inégalité de traitement à l’égard de la salariée”, ce qui conduit à la confirmation du jugement de première instance et au rejet des demandes indemnitaires corrélatives.

I. Le contrôle des éléments de présomption

A. Le cadre juridique et la charge de la preuve

La décision s’inscrit dans l’orthodoxie du droit du travail, en rappelant la prohibition générale des discriminations et le mécanisme probatoire aménagé. La cour énonce que “lorsque survient un litige sur ce point, le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte et au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination”. Cette formulation, qui reprend l’économie des articles L. 1132-1 et L. 1134-1, fixe clairement le seuil d’entrée du débat.

S’agissant de “à travail égal, salaire égal”, le salarié doit produire des indices sérieux d’une identité ou d’une valeur égale du travail, ce qui suppose des comparaisons pertinentes. La cour rappelle que la comparaison s’opère à périmètre homogène, en tenant compte des attributions effectives, des responsabilités assumées et de l’environnement hiérarchique. À défaut d’éléments de présomption, la preuve ne bascule pas et l’employeur n’a pas à se justifier davantage.

B. La comparaison des emplois et la classification IEG

L’analyse factuelle est structurée autour des référentiels internes et des fonctions réellement exercées. La cour constate l’évolution régulière de carrière et la position atteinte en fin de parcours au groupe fonctionnel 12, correspondant à l’emploi de formateur concepteur. Elle souligne la cohérence de cette classification avec la grille applicable aux métiers de la formation dans le secteur considéré. Dès lors, l’existence d’un déroulé ascendant neutralise l’allégation d’un plafonnement suspect.

Le point décisif tient à la distinction fonctionnelle entre les deux emplois en cause. La cour précise que “De la même manière, et surtout, le chef de projet a une responsabilité fonctionnelle sur les équipes projets, et notamment les formateurs concepteurs, pour la mise en œuvre et le suivi des projets que n’a pas le formateur concepteur”. Elle ajoute, s’agissant du périmètre d’intervention, que “En d’autres termes, le spectre d’intervention du formateur chef de projet, du fait de ses responsabilités fonctionnelles d’encadrement, est beaucoup plus large que celui du formateur concepteur”. Ces deux extraits forment le cœur de la motivation: ils valorisent la responsabilité d’encadrement et le pilotage d’équipe comme critères discriminants de niveau, au‑delà de la production pédagogique et de l’animation.

La preuve communiquée, composée de dossiers pédagogiques, cahiers des charges, attestations d’intervention et comptes rendus d’évaluation, atteste une activité riche mais centrée sur la conception et l’animation. Elle ne démontre pas l’exercice d’un encadrement fonctionnel ni le pilotage de projets dans l’acception retenue par la grille. La présence ponctuelle dans des comités, qui ne confère pas la qualité de membre de droit, ne suffit pas à translater l’emploi vers la sphère du chef de projet. Ainsi structurée, l’analyse factuelle ferme la voie à la présomption utile.

II. Valeur et portée de la solution

A. Une méthode d’analyse des revendications de reclassification

La décision présente une méthode claire et reproductible pour traiter les demandes de reclassification adossées à l’égalité de traitement. Elle impose, en premier lieu, l’identification d’un référentiel pertinent et la vérification de l’alignement entre intitulé, rattachement hiérarchique et missions centrales de l’emploi effectivement exercé. Elle exige, en second lieu, l’établissement d’éléments factuels précis et concordants sur l’ampleur du périmètre fonctionnel, notamment l’existence d’une responsabilité d’équipe et d’un pilotage durable de projets.

La force de la motivation tient à la hiérarchisation des critères. La cour place l’encadrement fonctionnel et la conduite de projets au-dessus des tâches de conception et d’animation, pourtant substantielles mais insuffisantes. En l’absence d’indices sur ces responsabilités étendues, la comparaison devient inopérante et la présomption se délite. D’où le constat, rappelé plus haut, selon lequel “Ces éléments ne laissent pas plus supposer une discrimination ou une inégalité de traitement à l’égard de la salariée”.

B. Enseignements pour l’égalité de traitement et la preuve

L’arrêt confirme une ligne constante en matière d’égalité de traitement et de classification: la proximité matérielle des tâches ne suffit pas si la structure des responsabilités diverge. Le principe “à travail égal, salaire égal” opère à niveau de valeur du travail, ce qui requiert d’embrasser la totalité du poste, y compris les composantes invisibles que sont la coordination, l’animation d’équipe et la redevabilité fonctionnelle. La preuve doit donc documenter ces dimensions avec des éléments objectifs, répétés et contemporains.

L’approche présente des vertus de sécurité juridique, car elle s’appuie sur des critères identifiables et, en principe, vérifiables. Elle comporte néanmoins un risque de formalisme si les référentiels internes sont tenus pour décisifs sans reconstitution minutieuse des fonctions réelles. La décision y échappe en confrontant la grille aux faits concrets, ce qui renforce la portée de son contrôle. La conclusion s’impose alors, dans des termes nets: “Il y a donc lieu de confirmer le jugement sur ce point et le débouté de ses demandes subséquentes d’indemnités”, la demande de préjudice moral connaissant le même sort faute de fondement autonome.

Au total, l’arrêt illustre un contrôle exigeant de la présomption en matière de discrimination salariale et d’inégalité de traitement. Il éclaire la pratique contentieuse des reclassifications en milieu fortement normé, en rappelant que la comparaison pertinente se mesure moins à la technicité de la production qu’à l’étendue des responsabilités exercées et assumées.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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