Cour d’appel de Versailles, le 11 septembre 2025, n°23/03409

Par un arrêt de la Cour d’appel de Versailles du 11 septembre 2025, la chambre sociale tranche un litige relatif à l’étendue des obligations d’information‑consultation du comité social et économique. Elle confirme le jugement du pôle social du tribunal judiciaire de Nanterre du 10 novembre 2023 et précise les critères d’ouverture de la consultation et de suffisance de l’information fournie.

Les faits tiennent à un projet de transfert d’une activité vers une entité spécialisée d’un même groupe, préparé au cours de l’année 2020, puis soumis au comité lors de deux réunions tenues en fin d’année. Le comité s’est en outre plaint de fermetures et de réorganisations d’agences intervenues sans consultation préalable, estimant que ces mesures affectaient l’organisation économique et les conditions de travail.

Sur la procédure, une saisine a été introduite le 17 janvier 2022 aux fins d’injonctions et de réparation. Le premier juge a alloué 5 000 euros de dommages‑intérêts pour atteinte aux attributions du comité, outre frais; appel principal a été relevé, tandis qu’un appel incident a été abandonné devant la Cour, laquelle confirme intégralement.

La question de droit portait, d’une part, sur le moment où la consultation devait être enclenchée au regard de la maturité du projet, d’autre part, sur le contenu exact de l’information permettant au comité d’émettre un avis éclairé, ainsi que sur la qualification de projets importants justifiant une consultation en cas de fermetures ou de suppressions d’activité.

La solution retient l’absence de retard fautif à l’ouverture de la procédure, faute de projet suffisamment déterminé lors de l’acquisition. Elle constate cependant une information incomplète, liée à l’omission d’un contentieux en nullité pour dol, privant l’avis de sa pleine portée. Elle juge enfin que des fermetures et la suppression d’un service constituaient des projets importants exigeant consultation, à la différence de deux mutations individuelles provisoires.

I – Les conditions d’ouverture et de contenu de la consultation sur le transfert d’activité

A – Le critère du projet suffisamment déterminé et l’absence de retard fautif

La Cour se réfère à l’exigence d’un objet assez déterminé pour déclencher la consultation. La jurisprudence de référence rappelle que « Si une décision s’entend d’une manifestation de volonté d’un organe dirigeant qui oblige l’entreprise, il ne s’en déduit pas qu’elle implique nécessairement des mesures précises et concrètes; qu’un projet ou des orientations, même formulés en des termes généraux doivent être soumis à consultation du comité d’entreprise lorsque leur objet est assez déterminé pour que leur adoption ait une incidence sur l’organisation, la gestion et la marche générale de l’entreprise, peu important qu’ils ne soient pas accompagnés de mesures précises et concrètes d’application dès lors que la discussion ultérieure de ces mesures n’est pas de nature à remettre en cause dans son principe le projet ou les orientations adoptés » (Cour de cassation, soc., 18 juin 2003, n° 01‑21.424).

Appliquant ce standard, la Cour constate que, au début de l’année 2020, plusieurs scénarios d’organisation coexistaient et qu’aucun transfert n’était arrêté. Le comité a été saisi en novembre et décembre 2020, lorsque les paramètres essentiels étaient clarifiés. En conséquence, le grief de consultation tardive est écarté, la maturation du projet n’étant pas achevée lors de l’opération capitalistique initiale.

B – L’exigence d’informations précises et l’atteinte aux attributions du comité

La Cour contrôle ensuite la précision et l’exhaustivité des informations communiquées pour permettre un avis utile. La motivation relève que « Il n’est pas contesté que les élus du CSE n’ont pas été informés de l’action engagée devant le tribunal de commerce en nullité de la cession pour dol. » Cette omission, portant sur un élément de contexte financier et juridique déterminant, affecte l’appréciation des impacts du projet et l’éclairage de l’avis.

Il en résulte que l’employeur n’a pas satisfait à son obligation de transmission d’informations suffisamment précises et écrites permettant au comité de délibérer en connaissance de cause. La Cour conclut en ces termes: « Ce faisant, l’employeur a porté atteinte aux attributions du CSE en matière d’information consultation sur ce projet. » La réparation allouée en première instance est dès lors confirmée, l’atteinte aux prérogatives collectives étant caractérisée.

II – La consultation requise en cas de fermetures et de réorganisations locales

A – La qualification de projets importants affectant l’organisation économique

La Cour rattache les fermetures d’unités et la suppression d’un service à la consultation générale sur l’organisation, la gestion et la marche de l’entreprise. Elle souligne, au sujet d’une fermeture d’agence, que « La cour considère que le projet considéré était important puisqu’il a conduit à la fermeture de l’agence répondant à une logique de répartition sur le territoire national. Elle en déduit que ce projet aurait dû faire l’objet d’une information consultation puisqu’il constituait une modification dans l’organisation économique de l’entreprise et qu’il avait des conséquences sur les conditions d’emploi et de travail des deux salariés intéressés, lesquels ont vu leur lieu de travail modifié. »

Le même raisonnement vaut pour la fermeture d’une antenne isolée et pour la suppression d’un service avec transfert de plusieurs techniciens, qui dépassent la simple gestion individualisée. Dans ces hypothèses, la Cour considère que l’impact sur la structure des effectifs et le maillage territorial commande une consultation préalable du comité.

B – L’exclusion des mutations individuelles ponctuelles du champ de la consultation

La Cour opère, en miroir, une mise à l’écart des réaffectations temporaires et acceptées de deux salariés, qui ne traduisent pas une modification significative de l’organisation. Elle juge, de façon nette, que « Ainsi, les 2 mutations opérées par l’employeur ne constituent pas une modification importante de l’organisation économique de l’entreprise, les deux seuls salariés concernés ayant donné leur accord à des mutations individuelles et provisoires. »

Cette distinction réaffirme la ligne constante entre projets collectifs importants, soumis à consultation, et mesures individuelles ou ponctuelles, exclues du dispositif, dès lors qu’elles n’affectent ni la marche générale ni la structure des effectifs.

Au total, l’arrêt valide une articulation claire: l’ouverture de la consultation suppose un projet suffisamment déterminé, mais l’avis doit reposer sur une information complète, surtout lorsqu’un contentieux connexe peut influer sur l’appréciation du projet; s’agissant des réorganisations locales, la qualification de projet important l’emporte pour les fermetures et suppressions d’activité, non pour de simples mutations provisoires.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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