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Cour d’appel de Versailles, 11 septembre 2025. Le litige oppose un salarié conducteur et l’organisme de sécurité sociale, à propos de la qualification d’un événement douloureux survenu en conduite. La question porte sur la caractérisation d’un accident du travail lorsque la lésion résulte d’une aggravation progressive, en présence d’un équipement déclaré défectueux.
Les faits utiles tiennent en peu d’éléments. Lors d’une conduite de bus, une douleur a été ressentie au bras gauche, le jour même, un certificat initial a mentionné une tendinite de l’épaule. L’employeur a déclaré l’événement, et d’autres conducteurs ont signalé un défaut de direction sur le même véhicule.
La procédure a connu plusieurs étapes. L’organisme a refusé la prise en charge le 26 décembre 2018. Le tribunal judiciaire de Versailles, 9 mai 2022, a retenu l’accident du travail et condamné l’organisme aux dépens. En appel, l’organisme a soutenu l’absence de fait accidentel distinct, en faisant valoir une symptomatologie antérieure et une instruction concomitante en maladie professionnelle. L’assuré a demandé la confirmation, invoquant la présomption d’imputabilité et l’absence de cause étrangère.
La question de droit tient à la soudaineté exigée par la notion d’accident du travail, au regard d’une lésion évolutive et d’un contexte technique défavorable. La cour rappelle, d’abord, le texte applicable et sa définition prétorienne: « Est considéré comme accident du travail, quelle qu’en soit la cause, l’accident survenu par le fait ou à l’occasion du travail à toute personne salariée ou travaillant, à quelque titre ou en quelque lieu que ce soit, pour un ou plusieurs employeurs ou chefs d’entreprise. » Elle précise: « L’accident du travail se définit comme l’action violence et soudaine d’une cause extérieure provoquant, au cours du travail, une lésion de l’organisme humain. »
La cour énonce ensuite la règle probatoire: « La preuve de l’accident survenu au temps et au lieu de travail peut être rapportée par tous moyens, mais elle doit l’être autrement que par les seules affirmations ou déclarations de la victime (Soc., 26 mai 1994, Bull. 2004, V, n°18 ; 2è Civ, 28 novembre 2013, pourvoi n°12-24.859, 28 mai 2014, pourvoi n°13-16.968). » Appliquant ces principes, elle retient que « le dommage n’est pas survenu soudainement mais a été une dégradation progressive pendant plusieurs mois » et en déduit qu’« il n’y a pas eu de fait accidentel […] sans fait extérieur violent et soudain ». Le jugement de première instance est infirmé, les demandes de l’assuré sont rejetées, les dépens mis à sa charge.
I. La qualification d’accident du travail à l’épreuve de la soudaineté
A. Le cadre normatif et prétorien de l’accident du travail
Le texte visé impose un fait dommageable par le fait ou à l’occasion du travail, mais la jurisprudence y adjoint l’exigence de soudaineté. La définition reprise par l’arrêt, « l’action violence et soudaine d’une cause extérieure », structure l’analyse du lien causal et du tempo lésionnel. Elle circonscrit l’accident par opposition à la pathologie cumulative, souvent appréhendée par le régime des maladies professionnelles, lorsque l’atteinte résulte d’une exposition prolongée.
La charge de la preuve se gouverne par une présomption d’imputabilité lorsque la lésion est constatée au temps et au lieu du travail, sous réserve de preuve contraire. Néanmoins, la cour rappelle l’exigence probatoire minimale posée par la chambre sociale et la deuxième chambre civile: « elle doit l’être autrement que par les seules affirmations ou déclarations de la victime ». Cette exigence évite que la seule subjectivité de la douleur fonde la qualification, en l’absence d’un fait accidentel objectivable.
B. L’examen des éléments factuels par la cour d’appel
Les éléments constants sont ambivalents. L’information immédiate de l’employeur, la consultation le jour même et l’item médical de tendinite militent pour une survenance en cours de travail. Toutefois, l’existence d’alertes antérieures sur la direction du bus et la description d’une douleur « aggravée au fil des mois » fragilisent la soudaineté.
La cour privilégie la dynamique lésionnelle. Elle retient que « le dommage n’est pas survenu soudainement mais a été une dégradation progressive pendant plusieurs mois ». Dans cette perspective, l’argument tiré d’un « défaut » de direction ne suffit pas, faute d’événement daté et distinct. La conséquence est logique: « il n’y a pas eu de fait accidentel […] sans fait extérieur violent et soudain », ce qui exclut la qualification d’accident et justifie l’infirmation.
II. Valeur et portée de la solution retenue
A. Conformité aux exigences probatoires et à la ligne de cassation
La solution s’inscrit dans un courant constant qui dissocie nettement l’accident du processus cumulatif. Elle renforce l’exigence d’un fait accidentel identifiable, non réductible à la seule perception douloureuse. L’arrêt mobilise expressément la règle cardinale: « la preuve […] doit l’être autrement que par les seules affirmations ou déclarations de la victime », en citant Social, 26 mai 1994, et 2e Civ., 28 novembre 2013 et 28 mai 2014.
Cette référence atteste une application orthodoxe du droit positif. Le juge du fond vérifie la matérialité d’un événement datable et singulier, condition de la présomption d’imputabilité. En l’absence d’un tel fait, la présomption ne joue pas, et la voie adéquate demeure celle de la maladie professionnelle, dès lors que la preuve du tableau ou de l’origine professionnelle pourra être discutée.
B. Incidences pratiques et lignes de vigilance pour les acteurs sociaux
La décision éclaire la frontière entre microtraumatismes répétés et accident. Elle signifie que des douleurs accentuées par l’usage d’un équipement défectueux ne suffisent pas, sans identification d’un moment précis de bascule lésionnelle. Les déclarations antérieures et les signalements techniques ont ici une portée ambivalente, car ils corroborent la continuité plutôt que la soudaineté.
La portée est mesurée mais réelle. Elle invite les employeurs à documenter précisément tout incident daté, et les assurés à établir un fait déclencheur distinct des symptômes cumulatifs. Elle incite enfin les organismes à articuler clairement, dès l’enquête, l’orientation du dossier vers l’un ou l’autre régime, afin d’éviter une reconnaissance inadaptée en accident alors que l’atteinte relève d’un processus progressif.