Cour d’appel de Versailles, le 11 septembre 2025, n°25/02275

La cour d’appel de Versailles, par un arrêt du 11 septembre 2025, se prononce sur l’articulation entre l’autorité de chose jugée et la déchéance du droit aux intérêts en matière de cautionnement bancaire. Cette décision éclaire les limites du pouvoir du juge de l’exécution face à des condamnations définitives.

Un établissement bancaire a consenti deux prêts à une société civile immobilière, garantis par deux cautions solidaires. À la suite d’impayés, la banque a obtenu un jugement du tribunal judiciaire de Versailles le 6 février 2020, confirmé par un arrêt du 7 octobre 2021, condamnant solidairement les cautions au paiement de diverses sommes avec intérêts au taux conventionnel. Le créancier a ensuite engagé une procédure de saisie immobilière à l’encontre de l’une des cautions par commandement du 23 février 2023.

Devant le juge de l’exécution, le débiteur a soulevé le moyen tiré du défaut d’information annuelle de la caution prévu par l’article L.313-22 du code monétaire et financier, sollicitant la déchéance du droit aux intérêts conventionnels depuis le 31 mars 2012. Par jugement du 28 mars 2025, le juge de l’exécution a fait droit à cette demande, prononçant la déchéance à compter de cette date et déboutant la banque de l’ensemble de ses demandes. L’établissement bancaire a interjeté appel.

Devant la cour, la banque contestait le point de départ retenu pour la déchéance, soutenant que celle-ci ne pouvait remonter à une période antérieure aux condamnations définitives. La caution maintenait que la déchéance devait s’appliquer depuis l’origine du manquement à l’obligation d’information.

La question posée à la cour était de déterminer si le juge de l’exécution peut, au titre de la déchéance du droit aux intérêts pour défaut d’information de la caution, remettre en cause les intérêts conventionnels fixés par des décisions de justice passées en force de chose jugée.

La cour d’appel de Versailles infirme le jugement entrepris. Elle retient que la déchéance du droit aux intérêts ne peut s’appliquer qu’à compter du 8 octobre 2021, lendemain de l’arrêt confirmatif, et non depuis le 31 mars 2012. Elle fixe en conséquence la créance de la banque à 88 680,24 euros et ordonne le renvoi de l’affaire devant le juge de l’exécution pour la poursuite de la procédure.

Cet arrêt présente un intérêt majeur en ce qu’il pose une limite temporelle à l’invocation de la déchéance du droit aux intérêts devant le juge de l’exécution. Il convient d’examiner successivement la portée du principe d’intangibilité du titre exécutoire appliqué à la déchéance du droit aux intérêts (I), avant d’analyser les conséquences de cette solution sur l’étendue de la créance exécutoire (II).

I. L’intangibilité du titre exécutoire comme limite à l’invocation tardive de la déchéance

La cour rappelle le fondement textuel de l’interdiction faite au juge de l’exécution de modifier le titre (A), avant d’en tirer les conséquences sur le point de départ de la sanction (B).

A. Le rappel du principe d’interdiction de modification du titre exécutoire

La cour fonde sa décision sur l’article R.121-1 du code des procédures civiles d’exécution, aux termes duquel « le juge de l’exécution ne peut ni modifier le dispositif de la décision de justice qui sert de fondement aux poursuites, ni en suspendre l’exécution ». Ce texte consacre le principe d’intangibilité du titre exécutoire devant le juge de l’exécution.

La cour constate que « selon le jugement et l’arrêt susvisés, M. [G] devait régler des intérêts conventionnels sur les sommes dues à compter du 7 juin 2016, avec capitalisation ». Le dispositif des décisions fondant les poursuites fixait précisément le montant des condamnations, le taux d’intérêt applicable et son point de départ.

Cette solution s’inscrit dans une jurisprudence constante de la Cour de cassation qui veille au respect de la séparation entre le contentieux de l’exécution et le contentieux du fond. Le juge de l’exécution statue sur les difficultés d’exécution mais ne peut rejuger l’affaire. La cour souligne que le débiteur « avait la possibilité de faire valoir le moyen de défense tiré du défaut d’information de la caution lors de l’instance au fond, devant le tribunal, et/ou devant la cour d’appel, où il était intimé ».

B. L’impossibilité d’une application rétroactive de la sanction

La cour tire les conséquences du principe en jugeant que le débiteur « ne peut pas réclamer l’application rétroactive des sanctions prévues par la loi, alors qu’il a déjà été condamné au paiement de sommes déterminées, et aux intérêts de celles-ci, au taux contractuel, et à partir d’une date déterminée ».

Le raisonnement du premier juge est censuré car il avait retenu le 31 mars 2012 comme point de départ de la déchéance, date à laquelle la première information annuelle était due. Ce faisant, le juge de l’exécution avait procédé à une modification substantielle du titre en supprimant les intérêts conventionnels pour une période couverte par les condamnations définitives.

La cour précise sa position en répondant à l’argument tiré du caractère continu de l’obligation d’information. Elle relève que « ce n’est pas parce que l’information est due jusqu’à l’extinction de la dette garantie qu’il peut être revenu sur le dispositif de la décision de justice qui condamne le débiteur ». Cette formule distingue l’obligation, qui perdure effectivement, de la sanction, qui ne peut rétroagir au-delà du titre.

La solution retenue conduit à fixer le point de départ de la déchéance au « 8 octobre 2021 », soit le lendemain de l’arrêt confirmatif. Cette articulation préserve l’autorité de chose jugée tout en permettant l’application de la sanction pour la période postérieure.

II. La détermination de la créance exécutoire et les effets de la déchéance post-titre

La fixation du point de départ de la déchéance détermine le mode de calcul de la créance (A) et conditionne la poursuite de la procédure d’exécution (B).

A. Le calcul de la créance intégrant la déchéance limitée dans le temps

La cour procède à la fixation de la créance en distinguant deux périodes. Pour la période antérieure au 8 octobre 2021, elle retient les condamnations telles que prononcées par les décisions fondant les poursuites, « c’est à dire reprenant le montant des condamnations prononcées à l’encontre de M. [G], et y ajoutant les intérêts au taux contractuel et leur capitalisation ».

Pour la période postérieure, la banque a appliqué la sanction de la déchéance en calculant « les intérêts au taux légal, sans majoration et sans capitalisation, et l’imputation, sur le principal de la dette telle que calculée au 7 octobre 2021, des règlements partiels effectués ». La cour valide cette méthode de calcul.

La cour écarte le décompte proposé par le débiteur au motif que « celui-ci ne peut pas être retenu, puisque méconnaissant les titres exécutoires qui servent de fondement aux poursuites ». Elle rejette également la demande d’imputation des loyers séquestrés sur la dette, rappelant le mécanisme de l’article L.321-3 du code des procédures civiles d’exécution selon lequel « l’acte de saisie d’un immeuble emportant saisie de ses fruits » et l’article R.321-16 précisant que ces fruits « sont distribués avec le prix de l’immeuble selon le même ordre que la distribution de celui-ci ».

La créance est ainsi fixée à « 88 680,24 euros, arrêtée au 18 juin 2025, sous réserves des intérêts postérieurs et des frais de procédure ».

B. Les conséquences sur la poursuite de la procédure de saisie immobilière

La cour infirme le jugement entrepris en ce qu’il avait débouté la banque de l’ensemble de ses demandes. Le premier juge avait estimé ne pas pouvoir fixer la créance au motif que le créancier n’avait pas produit les pièces demandées. La cour relève que la banque avait bien produit des décomptes, mais établis selon une méthodologie conforme à sa position juridique sur le point de départ de la déchéance.

La décision ordonne « le renvoi de l’affaire devant le juge de l’exécution du tribunal judiciaire de Versailles, pour la poursuite de l’orientation de la procédure de saisie immobilière ». La créance étant désormais fixée, le juge de l’exécution pourra statuer sur les modalités de la vente.

La cour rejette la demande de délais de paiement formée par le débiteur. Elle constate que celui-ci n’a fourni « aucune garantie que la dette sera effectivement réglée à l’issue de ce délai, puisqu’il se borne à indiquer qu’il va recourir à sa famille pour réunir les fonds nécessaires ». Elle rappelle toutefois au débiteur « qu’il lui est toujours possible de mettre fin à la saisie immobilière par l’apurement de sa dette avant l’issue de celle-ci ».

Les demandes de radiation du commandement de payer et de mainlevée de l’opposition aux loyers sont rejetées, la procédure devant se poursuivre.

📄 Circulaire officielle

Nos données proviennent de la Cour de cassation (Judilibre), du Conseil d'État, de la DILA, de la Cour de justice de l'Union européenne ainsi que de la Cour européenne des droits de l'Homme.
Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

Maître Kohen, avocat à Paris en droit pénal et droit du travail, accompagne ses clients avec rigueur et discrétion dans toutes leurs démarches juridiques, qu'il s'agisse de procédures pénales ou de litiges liés au droit du travail.

En savoir plus sur Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture