Cour d’appel de Versailles, le 12 septembre 2025, n°24/06257

La Cour d’appel de Versailles, par un arrêt rendu le 12 septembre 2025, apporte une contribution significative à la définition de la bonne foi en matière de surendettement des particuliers. Cette décision intéresse directement les conditions de recevabilité au bénéfice des procédures de traitement du surendettement.

Un couple avait saisi la commission de surendettement le 5 octobre 2023. Leur demande fut déclarée recevable le 13 novembre 2023. La commission décida, le 9 janvier 2024, d’imposer une mesure de rétablissement personnel sans liquidation judiciaire. Un créancier, bailleur social, forma un recours contre cette décision. Le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de Versailles, par jugement du 28 août 2024, déclara les débiteurs irrecevables au bénéfice de la procédure de surendettement en raison de leur mauvaise foi. Le premier juge avait relevé d’office cette mauvaise foi, retenant l’absence de recherche active d’emploi et donc l’absence d’intention réelle d’améliorer leur situation pour régler leurs dettes. Les débiteurs interjetèrent appel le 18 septembre 2024.

Devant la cour, les appelants firent valoir que le mari avait été reconnu travailleur handicapé, avec un taux d’incapacité de cinquante pour cent, qu’il bénéficiait d’un suivi par un conseiller spécialisé, que son épouse avait suivi une formation puis obtenu un contrat à durée déterminée, et qu’ils assumaient la charge de quatre enfants en bas âge.

La question posée à la Cour d’appel de Versailles était la suivante : l’absence de retour effectif à l’emploi de débiteurs confrontés à des difficultés particulières d’insertion professionnelle caractérise-t-elle la mauvaise foi faisant obstacle à la recevabilité de la procédure de surendettement ?

La cour infirme le jugement entrepris. Elle juge que la mauvaise foi ne peut être retenue et déclare les débiteurs recevables au bénéfice de la procédure. Elle prononce toutefois non pas le rétablissement personnel demandé mais un moratoire de quinze mois.

Cet arrêt mérite attention en ce qu’il précise les contours de la bonne foi exigée du débiteur surendetté (I) tout en illustrant le pouvoir d’appréciation du juge dans le choix de la mesure appropriée (II).

I. La caractérisation exigeante de la mauvaise foi du débiteur surendetté

La cour rappelle le cadre juridique de l’appréciation de la bonne foi (A) avant de l’appliquer aux circonstances particulières de l’espèce (B).

A. Le rappel du cadre juridique de l’appréciation de la bonne foi

La cour énonce que « la bonne foi se présume, que la mauvaise foi peut résulter des circonstances dans lesquelles l’endettement s’est constitué et du comportement du débiteur vis-à-vis de ses créanciers ou de la commission lors du dépôt de son dossier, qu’elle doit cependant être appréciée en fonction des éléments existant au jour où le juge statue ». Cette formulation reprend une jurisprudence constante de la Cour de cassation.

L’arrêt précise ensuite l’élément constitutif de la mauvaise foi. Il exige « la preuve d’un élément intentionnel chez le débiteur de créer ou d’aggraver consciemment sa situation de surendettement ou d’essayer d’échapper à ses engagements en fraude des droits de ses créanciers ». La cour admet également que « la mauvaise foi peut aussi être retenue lorsque la preuve est rapportée d’une inconséquence assimilable à une faute ».

La cour établit en revanche une distinction fondamentale : « une simple erreur, négligence ou légèreté blâmable sont des comportements insuffisants pour retenir la mauvaise foi ». Cette distinction entre la faute intentionnelle et la simple négligence constitue le cœur du raisonnement. Elle protège le débiteur de bonne foi qui, sans intention frauduleuse, se trouve dans l’incapacité d’améliorer sa situation malgré ses efforts.

La cour ajoute une exigence supplémentaire : « la mauvaise foi doit être en rapport direct avec la situation de surendettement ». Ce lien de causalité impose au juge de vérifier que le comportement reproché au débiteur a effectivement contribué à créer ou aggraver son surendettement.

B. L’application circonstanciée aux difficultés d’insertion professionnelle

Le premier juge avait retenu la mauvaise foi en raison de « l’absence de recherche active d’emploi de la part des débiteurs et donc d’intention réelle d’améliorer leur situation pour régler leurs dettes ». La cour réforme cette appréciation.

S’agissant du mari, la cour relève qu’il « s’est vu reconnaître la qualité de travailleur handicapé à compter du 12 octobre 2023 rendant difficile l’accès à l’emploi » et « qu’il est suivi par un conseiller Cap emploi au sein de France travail ». Ces éléments démontrent non pas une inaction mais une démarche d’insertion adaptée à sa situation particulière.

Concernant l’épouse, la cour constate qu’« après avoir suivi une formation financée par Pôle emploi entre février et septembre 2023 d’agent de propreté et d’hygiène, elle justifie d’un contrat à durée déterminée du 2 avril 2025 au 31 août 2025 ». La cour note également qu’elle « avait justifié, devant le premier juge, du refus de deux offres d’emploi », ce qui atteste de démarches effectives.

La cour prend en compte la situation familiale : « leur dernier enfant est né le 12 juin 2021 et n’a donc pas été scolarisé avant 2024, et qu’ils ont trois autres enfants dont deux sont encore trop jeunes pour être laissés seuls en dehors des heures d’école, ce qui complique les recherches d’emploi ». Elle ajoute que « leur budget ne permet pas d’assumer des frais de garde d’enfants ou d’accueil périscolaire ». Cette motivation témoigne d’une appréciation concrète des obstacles à l’emploi.

Cette approche in concreto de la bonne foi s’inscrit dans une conception sociale de la procédure de surendettement. Le juge ne peut exiger du débiteur des efforts que sa situation personnelle rend impossibles.

II. Le pouvoir d’appréciation du juge dans le choix de la mesure appropriée

La cour exerce pleinement son office en appréciant la situation du débiteur (A) pour déterminer la mesure la plus adaptée (B).

A. L’appréciation souveraine de la situation du débiteur

La cour procède à un examen détaillé de la situation financière des débiteurs. Elle établit leurs ressources mensuelles à 2 121,50 euros, comprenant l’allocation de retour à l’emploi, le salaire de l’épouse, le revenu de solidarité active et les prestations familiales.

Elle évalue ensuite les charges : « le montant des dépenses courantes de M. [B] et Mme [F] doit être évalué, au vu des pièces justificatives produites et des éléments du dossier ». Le loyer résiduel s’établit à 257 euros. Les charges forfaitisées selon le barème de la commission atteignent 2 411 euros.

Le constat est sans appel : « La différence entre les ressources et les charges est nulle et le budget est fortement déficitaire. Les débiteurs n’ont donc aucune capacité de remboursement. »

La cour vérifie également l’absence de patrimoine : les débiteurs « ne sont propriétaires d’aucun bien immobilier et leur patrimoine mobilier n’est composé que de biens dépourvus de valeur marchande ou dont les frais de vente seraient manifestement disproportionnés compte tenu de leur valeur vénale ».

Ces constatations auraient pu conduire au prononcé du rétablissement personnel sans liquidation judiciaire sollicité par les débiteurs. La cour en décide autrement.

B. Le choix du moratoire comme mesure préservant l’avenir

La cour refuse le rétablissement personnel au motif que « la situation des débiteurs n’apparaît pas irrémédiablement compromise au sens de l’article L. 724-1 1° du code de la consommation ». Elle motive cette appréciation par plusieurs éléments prospectifs.

Elle retient que « compte tenu de leur âge, de l’accompagnement dont bénéficie M. [B] pour retrouver un emploi du fait de son statut de travailleur handicapé, du retour à l’emploi de Mme [F] même de courte durée, il convient de prononcer un moratoire de 15 mois ». La cour précise que les débiteurs n’avaient bénéficié d’un tel moratoire que pendant neuf mois auparavant.

Le moratoire prononcé emporte « suspension de l’exigibilité des créances et des intérêts dus à ce titre ». La cour assortit cette mesure d’une condition : les débiteurs devront justifier « à l’issue du délai de 15 mois de leur retour à l’emploi, d’une formation ou de leurs recherches actives en ce sens ».

Cette décision illustre la recherche d’un équilibre entre la protection du débiteur et les droits des créanciers. Le rétablissement personnel efface les dettes de manière définitive. Le moratoire préserve les créances tout en accordant au débiteur un temps de respiration.

La cour fait ainsi prévaloir une conception dynamique du surendettement. Elle refuse de figer la situation par un effacement des dettes alors que les perspectives d’amélioration existent. Cette approche responsabilise le débiteur tout en lui accordant le bénéfice de la procédure.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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