Cour d’appel de Versailles, le 18 juin 2025, n°24/01909

La péremption d’instance, mécanisme extinctif fondé sur l’inaction des parties, constitue un outil de régulation du contentieux dont l’application suscite un contentieux nourri. La question de savoir quels actes sont susceptibles d’interrompre le délai biennal prévu par l’article 386 du code de procédure civile revêt une importance pratique considérable pour les justiciables.

Un salarié engagé en qualité de consultant junior le 11 septembre 2000 a vu son contrat transféré à une société de conseil en octobre 2014. Le 13 octobre 2018, il a pris acte de la rupture de son contrat de travail. Par requête du 13 octobre 2020, il a saisi le conseil de prud’hommes de Nanterre aux fins de paiement de diverses sommes salariales et indemnitaires. Lors de l’audience de conciliation du 22 mars 2021, le bureau de conciliation et d’orientation a fixé un calendrier de mise en état prévoyant notamment la communication des pièces du demandeur pour le 16 septembre 2021, celles du défendeur pour le 16 avril 2022, et une ordonnance de clôture au 14 novembre 2023. Le salarié avait toutefois déjà communiqué sa requête motivée et ses pièces le 25 février 2021. L’employeur n’a jamais communiqué ses pièces ni ses conclusions dans le délai imparti.

L’employeur a soulevé un incident de péremption, soutenant qu’aucune diligence n’avait été accomplie par le salarié entre le 25 février 2021 et le 14 novembre 2023. Le conseil de prud’hommes, par jugement du 8 mars 2024, a rejeté l’exception de péremption. L’employeur a interjeté appel, maintenant que l’instance était périmée faute de diligences accomplies dans le délai de deux ans. Le salarié a conclu à la confirmation, invoquant des courriels adressés à son adversaire les 14 mars 2022 et 25 octobre 2023.

La question posée à la cour d’appel de Versailles était de déterminer si un courriel officiel adressé par le conseil d’une partie à son adversaire, l’invitant à accomplir les diligences procédurales attendues de lui, constitue une diligence interruptive du délai de péremption au sens de l’article 386 du code de procédure civile.

Par arrêt du 18 juin 2025, la cour d’appel de Versailles confirme le jugement en toutes ses dispositions. Elle retient que le courriel du 14 mars 2022 par lequel le conseil du salarié demandait à celui de l’employeur de lui adresser ses conclusions « caractérise la volonté du salarié de poursuivre l’instance en invitant l’employeur à accomplir les diligences attendues de lui ». Elle juge de même pour le courriel du 25 octobre 2023. L’instance n’étant pas périmée, l’employeur est condamné aux dépens et au paiement d’une indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Cet arrêt présente l’intérêt de préciser les contours de la notion de diligence interruptive de péremption dans un contexte procédural où une partie a satisfait à l’ensemble de ses obligations. Il convient d’examiner successivement la conception souple de la diligence interruptive retenue par la cour (I), puis les conséquences de cette solution sur la répartition de la charge procédurale entre les parties (II).

I. Une conception souple de la diligence interruptive de péremption

La cour d’appel de Versailles adopte une interprétation large de la notion de diligence, tant dans la définition du critère retenu (A) que dans son application aux correspondances officielles entre conseils (B).

A. Le critère de la volonté de poursuivre l’instance

La cour rappelle le principe selon lequel « l’article 386 du code de procédure civile ne prescrit aucune forme que devrait revêtir la diligence attendue d’une partie pour qu’elle interrompe le délai de péremption ». Elle en déduit que « pour être interruptive, la démarche accomplie par une partie à l’instance doit seulement traduire sa volonté de donner à l’instance une impulsion processuelle apportant la démonstration de sa volonté de poursuivre l’instance ».

Cette formulation mérite attention. Le critère retenu n’est pas celui de l’utilité procédurale objective de l’acte accompli, mais celui de l’intention manifestée par son auteur. La cour se détache ainsi d’une conception strictement formaliste qui aurait exigé un acte de procédure au sens technique du terme.

Cette approche s’inscrit dans une évolution jurisprudentielle que la cour prend soin de rappeler. Elle cite notamment un arrêt de la deuxième chambre civile du 7 mars 2024 selon lequel « une fois que les parties ont accompli toutes les charges procédurales leur incombant, la péremption ne court plus à leur encontre ». Elle mentionne également un arrêt du 10 octobre 2024 jugeant qu’« il ne saurait être imposé aux parties de solliciter la fixation de l’affaire à une audience à la seule fin d’interrompre le cours de la péremption ».

La solution retenue apparaît cohérente avec cette jurisprudence protectrice du droit d’accès au juge. Elle refuse de faire peser sur une partie diligente les conséquences de l’inertie de son adversaire.

B. La qualification des correspondances officielles entre conseils

La cour qualifie de diligence interruptive le courriel du 14 mars 2022 par lequel le conseil du salarié demandait à celui de l’employeur de lui adresser ses conclusions. Elle relève que par ce courrier, « le salarié a accompli une démarche démontrant sa volonté de poursuivre l’instance en invitant l’employeur à accomplir les diligences attendues de lui ».

Cette qualification pourrait sembler audacieuse. Un courriel entre conseils ne constitue pas un acte de procédure au sens strict. Il n’est pas adressé à la juridiction et ne figure pas au dossier de l’affaire. L’employeur contestait d’ailleurs cette qualification, soutenant qu’il ne voyait « aucune diligence propre à faire avancer la procédure » dans ces courriels.

La cour écarte cette objection en se fondant sur le contenu du courriel. Celui-ci comportait une demande explicite de communication des conclusions adverses avec rappel du calendrier fixé par le bureau de conciliation. La formule « Je vous remercie par avance pour vos diligences » traduisait sans ambiguïté la volonté de voir l’instance progresser.

La solution retenue présente l’avantage de la cohérence pratique. Exiger d’une partie qui a satisfait à toutes ses obligations procédurales qu’elle saisisse la juridiction d’une demande formelle pour interrompre la péremption aurait constitué une exigence disproportionnée. Le courriel de relance apparaît comme le prolongement naturel de sa diligence antérieure.

II. Les implications sur la charge procédurale des parties

La solution retenue par la cour emporte des conséquences significatives sur la répartition des obligations entre les parties (A) et sur la sanction de l’inertie procédurale (B).

A. La prise en compte de la situation procédurale respective des parties

La cour souligne que « le salarié avait lui-même déjà conclu et adressé ses pièces et qu’il n’attendait plus en définitive que l’argumentation en défense de l’employeur ». Cette circonstance est déterminante dans le raisonnement adopté.

En effet, la cour raisonne a contrario à partir de la jurisprudence relative à la péremption en procédure d’appel avec représentation obligatoire. Elle rappelle que « lorsqu’elles ont accompli l’ensemble des charges leur incombant dans les délais impartis, sans plus rien avoir à ajouter au soutien de leurs prétentions respectives, les parties n’ont plus de diligence utile à effectuer ». Elle en déduit qu’« une demande de fixation de l’affaire n’est pas, à elle seule, de nature à interrompre le délai de péremption, lorsque les parties n’ont pas accompli l’ensemble des charges leur incombant ».

La transposition de ce raisonnement à la première instance conduit à distinguer selon que la partie a ou non satisfait à ses propres obligations. Celle qui a accompli toutes les diligences attendues d’elle ne saurait se voir opposer la péremption résultant de l’inaction de son adversaire, dès lors qu’elle manifeste sa volonté de poursuivre l’instance.

Cette approche respecte le principe selon lequel « tant que les parties conservent la maîtrise du procès la péremption peut leur être opposée mais elle est exclue si elles ne sont plus en situation d’accomplir des diligences ». Le salarié, ayant communiqué ses pièces et conclusions, n’était plus en mesure de faire progresser utilement l’instance sans la réplique de l’employeur.

B. La sanction de l’inertie de l’employeur

L’arrêt met en lumière le comportement procédural de l’employeur qui « n’a communiqué aucune pièce dans le délai qui lui était imparti ni fait parvenir au salarié aucune conclusion ». Cette inertie s’étend sur toute la durée de la procédure, du 16 avril 2022 jusqu’à l’audience de jugement.

L’employeur se trouvait ainsi dans une situation paradoxale. Il invoquait la péremption alors même que son propre défaut de diligence avait empêché l’instance de progresser. La cour refuse de faire droit à cette argumentation qui reviendrait à permettre à une partie de se prévaloir de sa propre inaction.

Cette solution s’inscrit dans la logique du principe selon lequel nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude. L’employeur qui n’a pas respecté le calendrier fixé par le bureau de conciliation ne saurait reprocher au salarié de n’avoir pas accompli de diligences supplémentaires alors que celui-ci attendait précisément les conclusions adverses pour pouvoir répliquer.

La condamnation de l’employeur aux dépens et au paiement d’une indemnité de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile parachève cette sanction de son comportement procédural dilatoire.

L’arrêt de la cour d’appel de Versailles du 18 juin 2025 apporte une contribution utile à la définition des diligences interruptives de péremption. En retenant qu’un courriel de relance adressé à l’adversaire défaillant suffit à interrompre le délai biennal, il protège le justiciable diligent contre les conséquences de l’inertie de son contradicteur. Cette solution, conforme à l’exigence du procès équitable, invite à repenser la péremption moins comme un mécanisme de sanction automatique que comme un outil d’incitation à la célérité procédurale pesant sur l’ensemble des parties.

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Hassan KOHEN
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