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Par un arrêt du 19 juin 2025, la cour d’appel de Versailles s’est prononcée sur la licéité d’un licenciement fondé sur les perturbations causées par l’absence prolongée d’un salarié pour maladie. Un magasinier, employé depuis le 9 novembre 2009 au sein d’une société spécialisée dans la distribution de prothèses orthopédiques, avait été placé en arrêt de travail à compter du 16 mars 2020. Cet arrêt fut renouvelé de manière continue jusqu’à la rupture du contrat de travail, intervenue le 19 janvier 2021. L’employeur avait alors procédé au licenciement du salarié, invoquant les perturbations engendrées par cette absence et la nécessité de pourvoir à son remplacement définitif.
Contestant cette rupture, le salarié a saisi le conseil de prud’hommes de Versailles le 28 juin 2021, sollicitant que son licenciement soit déclaré sans cause réelle et sérieuse. Par jugement du 22 novembre 2022, cette juridiction l’a débouté de l’ensemble de ses demandes. Le salarié a interjeté appel de cette décision le 12 décembre 2022.
Devant la cour, le salarié soutenait que son poste de magasinier n’avait rien de stratégique, qu’aucune formation particulière n’était requise pour l’occuper, et que l’employeur n’établissait pas la réalité des perturbations alléguées. Il faisait valoir qu’un remplacement temporaire par intérim ou contrat à durée déterminée était parfaitement envisageable. L’employeur rétorquait que le poste comportait une dimension de contrôle d’instruments chirurgicaux impliquant des questions de santé publique, et que le remplacement définitif s’imposait en raison de la désorganisation de l’entreprise.
La question posée à la cour était la suivante : l’absence prolongée d’un salarié pour maladie, d’une durée de dix mois, caractérise-t-elle une perturbation du fonctionnement de l’entreprise justifiant son remplacement définitif et, partant, son licenciement ?
La cour d’appel de Versailles a infirmé le jugement entrepris et jugé que le licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse. Elle a retenu que l’employeur ne rapportait pas la preuve de dysfonctionnements au niveau global de l’entreprise et que la durée de l’absence demeurait « limitée eu égard à la taille de l’entreprise et à l’ancienneté du salarié ».
La question de la perturbation du fonctionnement de l’entreprise mérite d’être analysée au regard des exigences probatoires imposées à l’employeur (I), avant d’examiner les critères d’appréciation retenus par la juridiction pour caractériser ou exclure cette perturbation (II).
I. L’exigence d’une preuve tangible de la perturbation du fonctionnement de l’entreprise
Le licenciement pour absence prolongée suppose la démonstration d’une désorganisation objective (A), laquelle ne saurait se déduire de la seule nature supposée stratégique du poste occupé (B).
A. Le principe d’une désorganisation objective et non présumée
La cour rappelle que « l’absence prolongée du salarié, ou ses absences répétées peuvent constituer un motif réel et sérieux de rupture en raison de la situation objective de l’entreprise dont le fonctionnement serait perturbé ». Cette formulation reprend la jurisprudence constante de la Cour de cassation, laquelle exige que la perturbation soit caractérisée par des éléments concrets et vérifiables.
En l’espèce, la cour constate que « le seul fait comme attesté par le responsable de service, que celui-ci a dû effectuer une partie de son travail avec son responsable d’entrepôt est insuffisant à démontrer l’existence de perturbations ayant touché d’autres activités que le service ». L’absence de preuves tangibles telles que des retards de livraison ou des réclamations de clients conduit la juridiction à considérer que la désorganisation demeure cantonnée au niveau d’un service, sans répercussion sur le fonctionnement global de l’entreprise.
Cette exigence probatoire se révèle conforme à l’objectif de protection du salarié malade. Le licenciement fondé sur l’absence pour maladie constitue une exception au principe selon lequel la maladie ne peut justifier une rupture. Cette exception ne se présume pas : elle doit être établie par des éléments probants que l’employeur est seul en mesure de produire.
B. L’insuffisance de la caractérisation du poste comme stratégique
L’employeur invoquait le caractère essentiel du poste, arguant que le salarié exerçait des fonctions de contrôle d’instruments chirurgicaux relevant de la santé publique. La cour écarte cet argument en relevant que le contrat de travail initial définissait des fonctions de magasinier comportant certes une dimension de contrôle, mais que « l’employeur ne justifiant pas que le salarié a suivi une formation externe spécifique ou même une formation interne de longue durée pour occuper son poste ».
La qualification du poste par l’employeur se heurte ainsi à l’absence de preuves objectives. La cour observe par ailleurs que « quatre autres salariés exerçaient les mêmes fonctions au sein du service et deux autres postes étaient vacants ». Cette pluralité de postes identiques affaiblit considérablement la thèse d’un caractère irremplaçable du salarié absent.
L’arrêt illustre la vigilance des juridictions face aux tentatives de requalification a posteriori des fonctions d’un salarié licencié. Le statut d’agent de maîtrise acquis au fil du temps ne suffit pas à établir le caractère stratégique du poste dès lors que les missions contractuelles demeurent inchangées.
II. Les critères d’appréciation de la nécessité du remplacement définitif
L’appréciation de la perturbation suppose la prise en compte de facteurs contextuels tenant à la durée de l’absence et à la structure de l’entreprise (A), ainsi qu’à la réalité du besoin de remplacement définitif (B).
A. La relativité de la durée d’absence au regard de la taille de l’entreprise
La cour retient que « les absences du salarié ont eu lieu sur une période de 10 mois, ce qui reste limité eu égard à la taille de l’entreprise et à l’ancienneté du salarié ». L’entreprise comptait 76 salariés au moment de la rupture, et le salarié justifiait de plus de onze années d’ancienneté.
Cette appréciation in concreto de la durée d’absence constitue un apport significatif de la décision. Une absence de dix mois ne saurait être qualifiée de brève en valeur absolue. La cour procède néanmoins à une mise en perspective : l’effectif de l’entreprise permettait une réorganisation interne, d’autant que le service concerné comptait plusieurs salariés occupant des fonctions identiques.
L’ancienneté du salarié participe également à cette appréciation. Un collaborateur présent depuis plus d’une décennie a contribué au fonctionnement de l’entreprise sur une longue période. Cette considération, sans être explicitement développée, sous-tend l’analyse de la cour qui refuse de considérer comme disproportionnée l’attente d’un retour du salarié.
B. L’absence de nécessité d’un remplacement définitif établi
La cour relève que « l’employeur ne rapporte pas davantage la preuve qu’il s’est trouvé dans l’obligation de remplacer le salarié à titre définitif pendant son absence ». Elle constate que l’absence a été palliée par une réorganisation interne du travail et par le recours à des contrats de courte durée sous forme d’intérim ou de contrat à durée déterminée.
La solution retenue s’inscrit dans la continuité de la jurisprudence exigeant que le remplacement définitif soit non seulement effectif mais également nécessaire. L’existence de solutions alternatives praticables, effectivement mises en oeuvre par l’employeur pendant l’absence, contredit l’affirmation selon laquelle seul un remplacement définitif pouvait remédier aux perturbations alléguées.
L’arrêt confirme que la charge de la preuve pèse intégralement sur l’employeur. Celui-ci doit établir tout à la fois la réalité des perturbations, leur ampleur suffisante pour affecter le fonctionnement global de l’entreprise, et l’impossibilité d’y remédier autrement que par un remplacement définitif. Le défaut de l’un de ces éléments suffit à priver le licenciement de cause réelle et sérieuse.