Cour d’appel de Versailles, le 19 juin 2025, n°23/01591

Par un arrêt du 19 juin 2025, la cour d’appel de Versailles statue sur le licenciement pour faute grave d’un agent de sécurité mobile. Le salarié contestait la rupture de son contrat et sollicitait l’annulation de deux avertissements. La cour confirme partiellement le jugement de première instance, reconnaît la faute grave et annule l’un des avertissements.

Un salarié est engagé le 1er mai 2020 en qualité d’agent de sécurité mobile. Son contrat est transféré à une société de sécurité humaine. Il reçoit deux avertissements, le 24 juin puis le 4 octobre 2021, avant d’être convoqué à un entretien préalable le 12 janvier 2022. Son licenciement pour faute grave lui est notifié le 7 mars 2022. L’employeur lui reproche de ne pas respecter les temps de ronde, de clôturer ses missions avec des écarts significatifs par rapport aux derniers pointages, et de ne pas avoir appliqué une nouvelle consigne relative à un bâtiment depuis octobre 2021.

Le conseil de prud’hommes de Montmorency, par jugement du 11 mai 2023, rejette la demande de nullité du licenciement, le qualifie néanmoins de dépourvu de cause réelle et sérieuse, et déboute le salarié de sa demande d’annulation des avertissements. L’employeur interjette appel le 15 juin 2023. Le salarié forme appel incident, sollicitant la nullité du licenciement et l’annulation des deux sanctions disciplinaires.

La cour d’appel de Versailles est confrontée à plusieurs questions. La première porte sur l’étendue de l’effet dévolutif de l’appel concernant l’ancienneté du salarié. La deuxième interroge le bien-fondé des avertissements. La troisième examine si les manquements reprochés caractérisent une faute grave justifiant le licenciement sans préavis ni indemnité.

La cour refuse de statuer sur l’ancienneté faute de critique expresse dans la déclaration d’appel. Elle confirme le premier avertissement, annule le second pour défaut de preuve, et reconnaît la faute grave du salarié. Elle infirme le jugement en ce qu’il avait qualifié le licenciement de sans cause réelle et sérieuse.

Cet arrêt illustre les exigences probatoires en matière disciplinaire et la caractérisation de la faute grave dans le secteur de la sécurité privée. Il convient d’examiner d’abord la rigueur procédurale et probatoire appliquée aux sanctions disciplinaires (I), puis la qualification de la faute grave au regard des obligations professionnelles de l’agent de sécurité (II).

I. La rigueur procédurale et probatoire en matière disciplinaire

La cour applique strictement les règles de l’effet dévolutif de l’appel (A), puis opère un contrôle différencié du bien-fondé des avertissements selon la preuve rapportée (B).

A. L’application stricte de l’effet dévolutif de l’appel

La cour rappelle que « l’appel défère à la cour la connaissance des chefs du dispositif de jugement qu’il critique expressément et de ceux qui en dépendent ». Elle constate que la déclaration d’appel ne vise pas le chef de jugement relatif à l’ancienneté du salarié. Cette omission produit des effets radicaux puisque la cour refuse de statuer sur ce point.

Cette solution s’inscrit dans la jurisprudence constante de la Cour de cassation depuis les décrets réformant la procédure d’appel. La déclaration d’appel constitue l’acte qui saisit la cour et délimite son office. L’appelant doit identifier avec précision les chefs de jugement critiqués. A défaut, le chef omis acquiert autorité de chose jugée.

La cour relève en outre que l’employeur sollicitait l’infirmation seulement dans ses motifs, en méconnaissance de l’article 954 du code de procédure civile. Cette disposition impose que les prétentions figurent au dispositif des conclusions. La demande formulée dans les seuls motifs demeure inopérante.

Cette rigueur procédurale peut sembler sévère. Elle répond toutefois à un impératif de sécurité juridique. L’intimé doit pouvoir identifier dès la déclaration d’appel les points contestés pour organiser sa défense. Le formalisme procédural n’est pas une fin en soi mais garantit la loyauté du débat.

B. Le contrôle différencié du bien-fondé des avertissements

La cour examine les deux avertissements à l’aune de l’article L.1333-1 du code du travail. Ce texte impose à l’employeur de fournir les éléments retenus pour prendre la sanction. « Si un doute subsiste, il profite au salarié. »

Pour l’avertissement du 24 juin 2021, la cour retient que le rapport de main courante ne mentionne aucun événement, contrairement aux rapports des collègues sur les mêmes secteurs. Le salarié invoquait une défaillance du matériel sans jamais avoir alerté sa hiérarchie. L’absence de signalement contemporain affaiblit cette allégation. La cour confirme donc la sanction, qui « ne manquait de mesure ».

Pour l’avertissement du 4 octobre 2021, la cour adopte une position inverse. L’employeur reprochait au salarié de ne pas avoir fermé une porte-fenêtre et une grille. Or « il ne ressort pas des pièces soumises aux débats que la fédération avisa l’employeur de l’absence de clôture de la terrasse ». Faute de preuve, la sanction est annulée.

Cette dualité de solutions démontre l’effectivité du contrôle judiciaire. Le juge ne se contente pas des affirmations de l’employeur. Il exige une démonstration tangible des faits reprochés. L’avertissement, bien que sanction mineure, obéit aux mêmes exigences probatoires que les mesures plus graves.

II. La caractérisation de la faute grave de l’agent de sécurité

La cour établit les manquements professionnels par des éléments objectifs (A), puis en déduit l’impossibilité de maintenir le salarié dans l’entreprise (B).

A. L’établissement des manquements par des éléments objectifs

La lettre de licenciement reproche au salarié de ne pas respecter les temps de ronde et de ne pas appliquer une nouvelle consigne. La cour examine ces griefs au regard des relevés informatiques versés aux débats.

Elle constate que le salarié « ne querelle pas l’écart relevé par l’employeur dans la nuit du 7 au 8 janvier 2022, de 14 minutes sur l’heure prévue ». Sur le site Cirad, son dernier pointage laissait 14 points sur 36 avec un minimum requis de 34. Sur le site Le Sextant, l’écart atteignait 39 minutes entre le dernier pointage et la clôture, pour une ronde ayant duré 16 minutes au lieu de 30 en moyenne.

La cour souligne que le salarié « n’explique pas l’activité effectuée pour son employeur durant son temps de travail dans ces interstices s’établissant de 25 à 80% du temps programmé ». Cette absence de justification pèse lourdement. L’agent de sécurité doit rendre compte de l’emploi de son temps de travail, particulièrement lorsque sa mission consiste à assurer la protection des biens.

Concernant la nouvelle consigne, la cour retient qu’elle « parut sur l’application professionnelle le 27 décembre 2021 » et ne fut lue par le salarié que le 27 janvier suivant. Ce délai d’un mois pour consulter une instruction relative à ses fonctions caractérise une négligence certaine.

B. L’impossibilité du maintien du salarié dans l’entreprise

La faute grave suppose une violation des obligations d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié pendant le préavis. La cour qualifie les faits de « délaissement dissimulé » des tâches professionnelles.

Elle relève que les manquements interviennent « en dépit d’avertissements antérieurs dont l’un justifié d’un même motif ». L’antécédent disciplinaire démontre que le salarié avait été alerté sur ses insuffisances. La persistance de comportements similaires révèle une inaptitude à se conformer aux exigences de l’emploi.

La cour rejette également la demande de nullité du licenciement. Le salarié invoquait ses revendications salariales et sa liberté d’expression. Or ses réclamations, formulées par un court message du 18 juillet 2021, sont antérieures à la procédure disciplinaire mais sans lien démontré avec celle-ci. La faute grave étant établie, elle constitue la cause véritable du licenciement.

Cette solution rappelle que le contentieux du licenciement pour faute grave dans le secteur de la sécurité privée présente des particularités. Les obligations de l’agent sont tracées avec précision par des outils numériques. Ces relevés constituent des éléments probatoires objectifs difficiles à contester. Le salarié qui n’accomplit pas ses rondes manque à l’essence même de sa mission : garantir la sécurité des sites confiés.

📄 Circulaire officielle

Nos données proviennent de la Cour de cassation (Judilibre), du Conseil d'État, de la DILA, de la Cour de justice de l'Union européenne ainsi que de la Cour européenne des droits de l'Homme.
Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

Maître Kohen, avocat à Paris en droit pénal et droit du travail, accompagne ses clients avec rigueur et discrétion dans toutes leurs démarches juridiques, qu'il s'agisse de procédures pénales ou de litiges liés au droit du travail.

En savoir plus sur Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture