Cour d’appel de Versailles, le 19 juin 2025, n°23/07992

Rendue par la cour d’appel de Versailles le 19 juin 2025, la décision commente l’issue d’une liquidation-partage ouverte à la suite d’un divorce prononcé en 2008. Elle tranche, d’une part, la recevabilité de prétentions nouvelles au regard du dispositif des articles 1373 à 1375 du code de procédure civile et, d’autre part, plusieurs points de fond relatifs à l’indemnité d’occupation et aux récompenses dues entre ex‑époux mariés sous communauté. Le juge aux affaires familiales avait homologué un projet d’état liquidatif, fixé une indemnité d’occupation à 710 euros mensuels depuis l’ordonnance de non‑conciliation, et tiré les conséquences d’apports de deniers propres et de flux financiers discutés. L’appelante sollicitait l’infirmation partielle, la réévaluation des droits, l’attribution d’un bien et la réduction du montant global d’occupation. L’intimé concluait à la confirmation, invoquant l’irrecevabilité de demandes non soumises au notaire. La cour reconnaît la recevabilité des prétentions, confirme l’homologation et l’indemnité, admet des récompenses au profit de la communauté ou de l’un des époux selon la preuve des emplois, et alloue une somme sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Les faits utiles tiennent à un mariage célébré en 1980, à une ordonnance de non‑conciliation de 2006 attribuant la jouissance d’un bien propre et organisant l’administration d’un bien indivis, puis à des opérations notariales de 2013 et 2018 demeurées conflictuelles. Le juge aux affaires familiales, par jugement de 2023, avait ordonné le partage, homologué le projet notarié sous réserves limitées, attribué un bien indivis, fixé l’indemnité d’occupation, dit une soulte à actualiser et renvoyé les parties chez le notaire commis. En appel, l’épouse contestait l’assiette et le quantum de l’indemnité, la qualification de certaines sommes comme deniers propres, ainsi que la consistance des récompenses. L’époux opposait le principe d’unicité d’instance et la carence probatoire adverse.

La question centrale, d’abord procédurale, portait sur la condition d’irrecevabilité prévue par l’article 1374 du code de procédure civile lorsque les prétentions n’ont pas été soumises au notaire puis au juge commis. Sur le fond, le débat recoupait trois axes complémentaires: l’assujettissement de l’occupant indivisaire à indemnité, la charge de la preuve des flux locatifs et des charges d’indivision, enfin la qualification et la traçabilité des deniers propres au regard des articles 1405 et 1433 du code civil. La cour juge, sur la recevabilité, que l’unicité d’instance suppose un rapport du juge commis, inexistant en l’espèce. Sur le fond, elle confirme l’indemnité d’occupation à 710 euros mensuels jusqu’au partage, admet la récompense en raison d’un apport de deniers propres constaté, et rejette une demande de récompense non prouvée.

I – Le contrôle de la recevabilité en l’absence du rapport du juge commis

A – L’unicité d’instance subordonnée au rapport prévu par l’article 1374 du code de procédure civile

La cour fonde sa solution sur la structure procédurale propre au partage judiciaire. Elle rappelle que l’unicité d’instance ne s’active qu’après le rapport du juge commis, qui circonscrit les points de désaccord et saisit le tribunal. Elle énonce sans ambages: « En l’espèce, il est constant que le juge commis n’a pas rédigé de rapport suite au procès-verbal de difficultés établi par le notaire le 12 septembre 2023, saisissant le tribunal sur les points de désaccords des parties de sorte que les dispositions de l’article 1374 du code de procédure civile ne sont pas applicables. » La lecture est stricte et cohérente avec la lettre des articles 1373 et 1374, lesquels organisent un enchaînement procédural précis.

Ce rappel dissipe l’argument d’irrecevabilité opposé par l’intimé. L’absence de rapport neutralise la fin de non‑recevoir tirée de l’unicité d’instance, sans pour autant dessaisir le notaire du soin d’instruire contradictoirement. La cour n’élargit pas indûment son contrôle, elle se borne à constater la condition défaillante et à en tirer la conséquence logique.

B – Les effets sur l’office du juge d’appel et la conduite des opérations de partage

Cette solution ouvre l’examen des prétentions nouvelles en cause d’appel, dans le respect de l’effet dévolutif. Le juge d’appel statue sur les points contestés, tout en préservant l’économie du partage et la mission du notaire. L’office se recentre sur les nœuds litigeux: indemnité d’occupation, qualifications d’actifs et de passifs, et comptes d’administration.

La portée pratique est importante. Les parties ne sont pas privées d’un débat utile au seul motif de n’avoir pas intégré tous leurs griefs avant le rapport. Toutefois, la décision rappelle implicitement l’impératif probatoire attaché à chaque prétention. L’ouverture procédurale ne se confond pas avec une indulgence quant à la preuve, surtout lorsque des flux anciens ou mélangés sont invoqués.

II – Indemnité d’occupation et récompenses: exigences probatoires et qualification des flux

A – L’indemnité d’occupation au regard de l’article 815‑9 du code civil et de l’article 9 du code de procédure civile

La cour rappelle le double ancrage normatif. L’occupant indivisaire est redevable d’une indemnité, sauf convention contraire; il doit, de surcroît, établir les éléments servant à la fixation du montant. La motivation souligne l’insuffisance des pièces produites pour la période antérieure à 2013 et retient la base locative connue ensuite. Elle constate ainsi: « Il ressort des débats qu’elle n’a pas produit, dans le cadre des opérations de partage, les justificatifs des loyers perçus pour la période d’octobre 2006 à octobre 2013. »

La pièce adverse, consistant en un tableau récapitulatif unilatéral, est écartée pour défaut de force probante. La cour réaffirme un principe constant de technique probatoire: « nul ne pouvant se constituer de preuve à lui-même. » Elle fixe en conséquence l’indemnité à 710 euros par mois, de l’ordonnance de non‑conciliation jusqu’au partage, solution conforme à la pratique consistant à s’aligner sur la valeur locative avérée lorsqu’elle est objectivable. La démarche équilibre les intérêts: elle évite un enrichissement indu de l’occupant et ménage la sécurité des comptes.

B – Les récompenses liées aux deniers propres: traçabilité, remploi et encaissement par la communauté

S’agissant des récompenses, la cour articule clairement les articles 1405 et 1433 du code civil. Les biens acquis par succession ou legs demeurent propres. La communauté doit récompense « toutes les fois qu’elle a tiré profit de ses biens propres », le profit résultant, sauf remploi ou emploi, de l’encaissement par la communauté de deniers propres. La preuve de l’origine et des emplois demeure déterminante, ce qui exige des pièces traçables et concordantes.

D’une part, l’apport initial de deniers propres affecté à l’acquisition d’un immeuble commun est retenu, sur la base d’éléments concordants issus d’un contrat de mariage et de projets liquidatifs successifs. La conséquence est classique: la communauté doit récompense proportionnelle à l’apport, conformément à la logique de préservation des patrimoines. D’autre part, des flux issus de successions et d’assurances‑vie, en partie réemployés sur des supports identifiables, sont appréhendés selon leur destination et leur mélange. Lorsque un compte n’est pas alimenté exclusivement par des deniers propres, la qualification commune des sommes y transitant s’impose, à défaut de preuve de remploi. La cour en déduit que la différence non réemployée a été consommée par la communauté, ce qui justifie la récompense.

À l’inverse, la demande de récompense formée au titre de titres donnés puis prétendument encaissés par la communauté est rejetée pour défaut de preuve. L’absence de traçabilité, jointe à des mentions manuscrites isolées, ne suffit pas à établir l’encaissement par la communauté ni l’usage communautaire des deniers. L’économie de la motivation protège la cohérence des comptes et prévient les reconstitutions spéculatives de flux anciens.

Cette cohérence se retrouve enfin dans la consolidation de l’homologation du projet d’état liquidatif. La cour confirme la distribution des actifs et passifs et renvoie les parties chez le notaire pour l’acte de partage. Elle sanctionne la partie succombante aux dépens et alloue une somme au titre de l’article 700 du code de procédure civile, dans une appréciation mesurée de l’équité procédurale.

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