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L’arrêt rendu par la cour d’appel de Versailles le 19 juin 2025 traite de la reconnaissance d’un accident du travail d’origine psychologique. Un salarié avait déclaré un accident survenu le 19 février 2021, à la suite d’une altercation avec son supérieur hiérarchique sur son lieu de travail. Le certificat médical initial mentionnait un « burn out », un « choc suite à altercation sur site » et une « névrose post-traumatique ». La caisse primaire d’assurance maladie avait refusé la prise en charge au titre de la législation professionnelle, décision confirmée par la commission de recours amiable puis par le tribunal judiciaire de Versailles le 22 avril 2024.
En appel, le salarié soutenait que la procédure d’instruction avait méconnu le principe du contradictoire et que la présomption d’imputabilité devait s’appliquer dès lors que les faits étaient survenus aux temps et lieu de travail. La caisse répondait qu’aucun élément probant autre que les déclarations de la victime n’établissait la matérialité du fait accidentel.
La question posée à la cour était double : d’une part, la méconnaissance éventuelle de la procédure contradictoire par la caisse pouvait-elle entraîner une prise en charge implicite de l’accident ; d’autre part, le salarié rapportait-il la preuve d’un fait accidentel survenu au temps et au lieu de travail permettant de bénéficier de la présomption d’imputabilité prévue par l’article L. 411-1 du code de la sécurité sociale.
La cour d’appel de Versailles a confirmé le jugement de première instance. Elle a écarté le moyen tiré de la violation du contradictoire en rappelant que « seul le non-respect des délais d’instruction par la caisse peut conduire à une décision implicite de prise en charge ». Sur le fond, elle a jugé que le salarié ne produisait « que des éléments qu’il a lui-même établi » et que « la déclaration d’accident du travail ne repose que sur les déclarations du salarié ». La présomption d’imputabilité ne pouvait donc jouer.
Cet arrêt illustre les exigences probatoires pesant sur la victime qui revendique la qualification d’accident du travail (I) et révèle les limites de la présomption d’imputabilité en matière de lésion psychique (II).
I. L’exigence d’une preuve extrinsèque du fait accidentel
L’arrêt rappelle le principe selon lequel la charge de la preuve incombe à la victime (A), avant d’en tirer les conséquences sur l’insuffisance des seules déclarations personnelles (B).
A. Le rappel du principe probatoire incombant à la victime
La cour d’appel de Versailles se fonde sur une « jurisprudence constante de la Cour de cassation » pour affirmer que « la charge de la preuve de l’accident survenu au temps et au lieu de travail incombe à la victime ». Cette solution résulte du principe général posé par l’article 1353 du code civil, transposé en matière de sécurité sociale. Le salarié qui prétend avoir subi un accident du travail doit établir la matérialité d’un fait précis, identifiable dans le temps et dans l’espace.
La cour rappelle la définition classique de l’accident du travail comme « l’action violente et soudaine d’une cause extérieure provoquant, au cours du travail, une lésion de l’organisme humain ». Cette formulation, héritée de la jurisprudence du début du vingtième siècle, met l’accent sur le caractère objectivable du fait générateur. La lésion doit procéder d’un événement distinct et non d’un processus diffus ou progressif.
Cette exigence probatoire se justifie par la nature même de la présomption d’imputabilité. Celle-ci ne dispense pas la victime d’établir le fait déclencheur. Elle se contente de présumer le lien entre ce fait et la lésion constatée, dispensant ainsi le salarié de prouver la causalité une fois le fait accidentel démontré.
B. L’insuffisance des seules déclarations de la victime
La cour relève que le salarié « ne produit en appel que des éléments qu’il a lui-même établi ». Elle mentionne un courriel adressé à son supérieur le jour des faits, des messages informant l’employeur de son arrêt et une déclaration d’accident « établie par un médecin sur les déclarations » du salarié. Aucun témoin, aucun écrit émanant d’un tiers, aucune réponse de l’employeur ne vient corroborer l’existence de l’altercation alléguée.
La solution retenue s’inscrit dans le prolongement d’une jurisprudence bien établie. La cour cite notamment un arrêt de la chambre sociale du 26 mai 1994 et plusieurs décisions de la deuxième chambre civile des 28 novembre 2013 et 28 mai 2014. Ces précédents posent que la preuve « doit l’être autrement que par les seules affirmations ou déclarations de la victime ».
Cette exigence n’est pas formaliste. Elle répond à un impératif de fiabilité. L’accident du travail ouvre droit à des prestations spécifiques et engage la responsabilité de l’employeur au titre de la faute inexcusable. Il serait contraire à l’équilibre du système de permettre une reconnaissance fondée sur le seul récit de l’intéressé. La cour sanctionne ainsi l’absence de tout élément objectif susceptible de conforter les allégations du salarié.
II. Les limites de la présomption d’imputabilité pour les lésions psychiques
L’arrêt met en lumière la difficulté de faire jouer la présomption légale en présence d’une atteinte psychologique (A) et soulève la question de l’adaptation du régime probatoire à ce type de lésion (B).
A. L’inapplicabilité de la présomption en l’absence de fait accidentel établi
Le salarié invoquait la présomption d’imputabilité prévue par l’article L. 411-1 du code de la sécurité sociale. Il soutenait que l’altercation étant survenue aux temps et lieu de travail, la présomption devait s’appliquer et qu’il appartenait à l’employeur de démontrer une cause étrangère.
La cour rejette ce raisonnement. Elle juge que le salarié « ne peut donc pas se prévaloir de la présomption d’imputabilité » et que « la société n’est pas tenue d’établir une cause étrangère au travail ». La présomption suppose en effet un préalable : l’existence avérée d’un fait accidentel. En l’absence de preuve de ce fait, la présomption ne peut être mise en œuvre.
Cette articulation logique découle de la structure même de l’article L. 411-1. La présomption porte sur le lien entre le travail et la lésion, non sur l’existence du fait générateur. La victime doit d’abord établir qu’un événement s’est produit au temps et au lieu de travail. Ce n’est qu’ensuite que le lien de causalité avec la lésion est présumé. La cour refuse de confondre ces deux étapes distinctes.
B. La difficulté probatoire propre aux accidents psychiques
L’arrêt illustre une difficulté récurrente en matière de reconnaissance des accidents du travail à composante psychologique. Le certificat médical mentionnait un « burn out » et une « névrose post-traumatique ». Ces pathologies se caractérisent par leur origine souvent multifactorielle et par l’absence de trace physique immédiatement constatable.
La jurisprudence admet depuis longtemps que le choc émotionnel puisse constituer un accident du travail lorsqu’il résulte d’un événement soudain et brutal. La Cour de cassation a ainsi reconnu la qualification d’accident du travail pour des faits de harcèlement moral ayant provoqué une dépression, à condition qu’un événement précis ait pu être identifié. L’arrêt commenté ne remet pas en cause cette jurisprudence. Il se borne à constater l’absence de preuve de l’événement déclencheur.
Cette exigence probatoire peut sembler rigoureuse lorsque la lésion est d’ordre psychique. L’altercation verbale ne laisse pas de traces objectives comparables à un accident physique. Le salarié se trouve alors dans une situation délicate : il doit prouver un fait dont il est souvent le seul témoin direct. La cour n’ignore pas cette difficulté mais maintient l’exigence d’un élément extrinsèque. Cette position préserve la cohérence du système mais interroge sur l’effectivité de la protection des victimes de violences psychologiques au travail.