Cour d’appel de Versailles, le 19 juin 2025, n°24/02702

Par un arrêt du 19 juin 2025, la cour d’appel de Versailles tranche un litige relatif à l’exécution de deux prêts immobiliers consentis en 2010, dont les échéances ont cessé fin 2021. Le premier juge avait rejeté l’action en paiement faute de production des contrats signés, estimant que les pièces produites ne constituaient pas un commencement de preuve par écrit. La juridiction d’appel est saisie par le prêteur qui poursuit le capital restant dû, ou à défaut la restitution de sommes indûment versées, tandis que l’emprunteur n’a pas conclu et a été jugé défaillant.

La procédure a suivi un parcours classique. Une hypothèque judiciaire provisoire a été autorisée en 2023 par le juge de l’exécution. Le tribunal judiciaire de Nanterre, par jugement du 16 février 2024, a débouté le prêteur en l’absence d’écrit signé, avec exécution provisoire de droit. L’appel a été relevé en avril 2024 et signifié selon l’article 659 du code de procédure civile. En cause d’appel, le prêteur sollicite la résolution judiciaire des prêts et la condamnation au paiement du capital restant dû, intérêts au taux légal, ou subsidiairement la répétition de l’indu.

La question de droit posée est double. D’une part, l’absence de contrats signés interdit‑elle la preuve de l’obligation de remboursement au regard des articles 1341, 1347 et 1348 anciens du code civil. D’autre part, la cessation durable des remboursements permet‑elle une résolution judiciaire sur le fondement des articles 1147 et 1184 anciens, et avec quelle incidence des règles protectrices du consommateur sur les intérêts. La cour d’appel infirme le jugement, retient un commencement de preuve par écrit corroboré, prononce la résolution judiciaire et condamne au paiement du capital avec intérêts au taux légal. Elle souligne que « La preuve des deux prêts dont il s’agit doit donc être considérée comme étant rapportée. »

I) La reconnaissance de la dette de prêt par un faisceau probatoire cohérent

A) Le commencement de preuve par écrit à l’ère des échanges électroniques

La cour se place sur le terrain probatoire de l’ancien droit, pertinent pour des contrats de 2010. Elle rappelle le principe posé par l’ancien article 1341, à savoir l’exigence d’un écrit pour les obligations supérieures à 1 500 euros, et l’exception de l’article 1347. Elle cite précisément que « L’article 1347 du code civil énonce que les règles ci‑dessus reçoivent exception lorsqu’il existe un commencement de preuve par écrit. » Cette base textuelle fonde l’analyse d’un échange électronique comme écrit émanant du débiteur.

L’analyse du contenu et du contexte de l’échange s’avère décisive, la cour soulignant qu’il convient de replacer le message dans la séquence des mises en demeure relatives aux deux prêts. L’écrit litigieux répondait explicitement à un courriel de relance pour « prêts impayés », évoquait un report refusé, des difficultés d’occupation et un projet de vente pour payer « les dettes ». La juridiction en déduit que la réponse vaut reconnaissance de l’obligation de remboursement, puisqu’elle identifie la nature des engagements et leur inexécution persistante. La motivation est nette lorsqu’elle retient que le courriel « rend vraisemblable le fait allégué » et justifie l’exception probatoire.

La cour refuse d’élargir l’exception de l’article 1348 ancien, faute de cas fortuit ou de force majeure ayant fait perdre le titre original. Elle sécurise ainsi le terrain choisi, en retenant l’écrit imparfait plutôt que la perte du titre. Cette rigueur confirme que le commencement de preuve suppose un lien direct avec les faits allégués, sans dessaisir le juge de son pouvoir d’appréciation. L’option doctrinale suivie invite à considérer les échanges électroniques comme écrits au sens large, sous réserve d’un contenu suffisamment probant.

B) La corroboration par les éléments objectifs de l’exécution contractuelle

Le commencement de preuve par écrit n’est toutefois suffisant qu’appuyé par d’autres éléments. La cour exige et relève précisément des indices concordants, en particulier la concomitance entre le déblocage des fonds et l’acte d’acquisition, ainsi que le remboursement régulier des échéances pendant plus de onze années. Elle retient qu’« Et ce commencement est suffisamment complété par les autres éléments de preuves produits », ce qui forme un ensemble cohérent confirmant l’existence et le contenu essentiel des obligations.

Ce cumul d’indices écarte la critique tenant à la supposée généralité des termes employés dans le courriel. La constance des paiements et la matérialité des flux, adossées au plan d’amortissement, confèrent à l’écrit électronique la densité probatoire exigée. La solution s’inscrit dans une tendance jurisprudentielle admettant que l’exécution prolongée d’un contrat informe sur son existence et ses principales modalités. Le dossier révèle ainsi l’obligation, son inexécution depuis 2021, et la qualité de débiteur emprunteur, sans qu’un écrit unique intégralement probant soit retrouvé.

La première conséquence vise la cause du paiement. Loin d’une répétition de l’indu, la cour constate un solde de capital restant dû au moment de l’assignation, sans pouvoir mobiliser un taux conventionnel non vérifiable. La démarche probatoire ferme la voie au non‑contrat, mais ouvre celle d’une sanction adaptée de l’irrégularité de l’offre et de l’absence d’écrit sur les stipulations essentielles qui conditionnent les intérêts conventionnels. La transition s’opère vers le terrain de l’inexécution et des sanctions contractuelles.

II) La sanction de l’inexécution et l’ajustement du régime des intérêts

A) La résolution judiciaire sous l’empire des articles 1147 et 1184 anciens

La juridiction refuse de donner effet à une déchéance du terme contractuelle non vérifiable « Sans écrit », relevant que « la clause de résiliation anticipée fait cependant défaut ». L’absence d’acceptation formelle empêche d’appliquer des stipulations spécifiques de déchéance, ce qui conduit à emprunter la voie de la résolution judiciaire, conforme à l’ancien droit applicable à la date des contrats. La cour précise que la banque « demande la résolution judiciaire des prêts pour inexécution », se référant utilement à l’architecture antérieure à la réforme de 2016.

Le manquement contractuel est caractérisé par la cessation durable des remboursements. La formule est explicite et ferme lorsque la cour retient que « La cessation du remboursement depuis l’échéance de novembre 2021 constitue un manquement grave et réitéré ». L’ampleur temporelle et la répétition des impayés justifient la résolution à cette date, avec la conséquence d’un capital exigible et d’intérêts dus, mais non aux conditions conventionnelles faute de preuve suffisamment certaine. La solution rétablit l’équilibre entre exigence probatoire et sanction proportionnée de l’inexécution.

L’incidence procédurale tient à la date de départ des intérêts. La cour retient un point de départ à l’acte introductif, assurant une cohérence avec l’office du juge saisi d’une action en résolution et en paiement. Cette précision renforce la clarté du dispositif et prévient toute confusion avec des intérêts moratoires calculés sur une stipulation contractuelle non établie. Le cadre retenu reste ainsi celui du droit commun de l’inexécution contractuelle avant 2016.

B) La déchéance des intérêts et la substitution du taux légal

Le contentieux de la protection de l’emprunteur affleure dès lors que l’offre ne peut être vérifiée. La cour rappelle l’exigence de délai d’acceptation prévue à l’article L. 312‑10 ancien, qu’elle cite textuellement : « L’offre est soumise à l’acceptation de l’emprunteur […] L’emprunteur […] ne peuvent accepter l’offre que dix jours après qu’ils l’ont reçue. » L’inobservation des prescriptions formelles peut emporter la déchéance partielle ou totale des intérêts en vertu de l’article L. 312‑33 ancien. La juridiction souligne la latitude du juge, en retenant que « cette sanction est facultative et relève du pouvoir discrétionnaire du juge. »

La solution opérée consiste à substituer le taux légal aux intérêts conventionnels, la cour estimant « qu’en renonçant à l’intérêt conventionnel […] la banque admet l’application de la sanction ». Ce choix ménage l’économie du contrat démontré, tout en corrigeant l’irrégularité documentaire au profit de l’emprunteur. Il évite une nullité destructrice ou une privation totale des intérêts quand la dette de capital est certaine et l’exécution partielle longue. La proportionnalité de la sanction répond à l’objectif protecteur sans déstabiliser le crédit.

La portée pratique de l’arrêt est claire. La preuve des prêts anciens peut résulter d’un faisceau probatoire robuste combinant écrit électronique circonstancié, flux bancaires et paiements réguliers, malgré la perte de l’acte signé. En revanche, l’absence d’écrit sur l’offre et ses délais interdit la capitalisation d’un taux contractuel, sauf preuve complète, et légitime la déchéance des intérêts au bénéfice d’un taux légal. La cohérence d’ensemble repose sur une articulation précise entre ancien droit commun des obligations et droit spécial protecteur.

Appréciée dans sa valeur, la décision offre un cadre équilibré pour les litiges d’anciens prêts. Elle réhabilite des preuves souples sans relâcher l’exigence documentaire sur les intérêts. Elle dissuade les prêteurs de négliger l’archivage des offres, tout en sécurisant les actions lorsque les relations d’affaires, leurs modalités essentielles et leur inexécution ne prêtent pas à contestation sérieuse. Sa portée est immédiate dans les contentieux où l’écrit parfait fait défaut, et elle s’inscrit dans une jurisprudence attentive à la proportionnalité des sanctions et au réalisme probatoire.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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