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Par un arrêt du 2 juillet 2025, la cour d’appel de Versailles s’est prononcée sur un litige né de l’inexécution d’un contrat de cession de droits commerciaux conclu dans le domaine du sponsoring sportif. Cette décision illustre les difficultés qui peuvent surgir lorsqu’une société est engagée par une personne dépourvue de pouvoir de représentation et soulève des questions relatives à la théorie du mandat apparent ainsi qu’à la cession de contrat.
Une société de marketing sportif avait conclu, le 10 août 2016, avec deux autres sociétés, un contrat de cession de droits commerciaux détenus par un club de football professionnel, moyennant le versement d’une somme de 90 000 euros et une dotation en produits. Si les produits furent livrés, la contrepartie financière ne fut jamais réglée. Des mises en demeure demeurèrent infructueuses. Une procédure de référé fut engagée en août 2017, aboutissant à une condamnation provisionnelle, mais la cour d’appel de Versailles infirma cette ordonnance le 16 juillet 2018 en raison de contestations sérieuses.
Par actes des 8 et 12 octobre 2021, la société de marketing et le liquidateur judiciaire du club assignèrent en paiement les deux sociétés débitrices devant le tribunal de commerce de Nanterre. Par jugement du 22 mars 2023, le tribunal déclara irrecevable l’action à l’encontre de l’une des sociétés au motif d’une prétendue substitution contractuelle, rejeta la fin de non-recevoir opposée par l’autre société pour défaut de qualité à agir, déclara prescrites certaines factures et condamna cette dernière au paiement de la somme de 66 000 euros.
L’une des sociétés débitrices interjeta appel. Elle soutenait que le signataire du contrat, se présentant comme directeur des achats, n’avait aucune qualité pour engager la société et que cette dernière n’avait jamais ratifié ledit contrat. Elle invoquait également la prescription de l’action en paiement pour les factures les plus anciennes.
La cour d’appel de Versailles devait déterminer si le contrat conclu par une personne sans pouvoir de représentation était opposable à la société prétendument représentée en vertu de la théorie du mandat apparent. Elle devait également apprécier si la procédure de référé avortée avait interrompu la prescription quinquennale et si une cession de contrat avait valablement opéré.
La cour confirme partiellement le jugement. Elle retient que la société créancière a pu légitimement croire en la réalité des pouvoirs de représentation du signataire et déclare le contrat opposable à la société appelante. Elle juge que l’interruption de prescription résultant de l’assignation en référé est non avenue dès lors que la demande a été définitivement rejetée sans pourvoi formé. Elle infirme le jugement sur la recevabilité de l’action à l’encontre de l’autre société débitrice, relevant qu’aucune cession de contrat n’avait été valablement notifiée.
Cet arrêt présente un double intérêt. Il permet d’examiner les conditions d’application du mandat apparent en matière de représentation sociale (I) et d’analyser les règles gouvernant l’interruption de la prescription par une action en référé (II).
I. L’opposabilité du contrat à la société représentée en vertu du mandat apparent
La cour d’appel de Versailles fait application de la théorie du mandat apparent pour déclarer le contrat opposable à la société appelante (A), tout en définissant les critères permettant d’apprécier la croyance légitime du tiers contractant (B).
A. La consécration légale du mandat apparent comme fondement de l’opposabilité
La cour fonde sa décision sur l’article 1156 du code civil, issu de la réforme du droit des obligations de 2016. Ce texte dispose que « l’acte accompli par un représentant sans pouvoir ou au-delà de ses pouvoirs est inopposable au représenté, sauf si le tiers contractant a légitimement cru en la réalité des pouvoirs du représentant, notamment en raison du comportement ou des déclarations du représenté ».
La cour relève que « le contrat conclu le 10 août 2016 est opposable à la société Ligo, de sorte que la société Sport & Co et Me [G] ès qualités justifient de leur intérêt à agir ». Cette solution consacre l’exception d’opposabilité fondée sur la croyance légitime du tiers, qui constitue désormais un tempérament légal au principe selon lequel nul ne peut être engagé sans avoir manifesté sa volonté.
Le mandat apparent trouve ici son terrain d’élection en matière de représentation des sociétés. Alors que l’article L. 227-6 du code de commerce réserve au président de la société par actions simplifiée le pouvoir de représenter la société à l’égard des tiers, la théorie du mandat apparent permet de protéger le cocontractant de bonne foi qui a traité avec une personne se présentant faussement comme investie de pouvoirs.
B. L’appréciation concrète de la croyance légitime du tiers contractant
La cour procède à une analyse minutieuse des circonstances de l’espèce pour caractériser la croyance légitime. Elle relève plusieurs éléments factuels : le signataire avait utilisé une adresse de messagerie professionnelle incluant le nom de la société ; il avait transmis un extrait Kbis et un relevé d’identité bancaire de la société ; un tampon de la société avait été apposé à côté de sa signature sur le contrat ; des réunions s’étaient tenues dans les locaux de la société pour négocier le contrat ; enfin, le signataire disposait d’une carte de visite le présentant comme directeur des achats.
La cour souligne que « la société Sport & Co a pu légitimement croire en la réalité des pouvoirs de représentation de M. [Z] [E] ». Elle écarte l’argument selon lequel la société créancière aurait dû vérifier les pouvoirs du signataire auprès du président, considérant que les apparences créées par le prétendu représentant et la société elle-même suffisaient à fonder la croyance légitime.
Cette analyse révèle que le comportement du représenté, même passif, peut contribuer à créer l’apparence d’un mandat. La société appelante ne s’expliquait pas sur l’utilisation de son tampon et de son adresse de messagerie par une personne qu’elle prétendait étrangère à son organisation. La cour en déduit implicitement que cette passivité a contribué à créer l’apparence invoquée.
II. Les effets de la procédure de référé sur le cours de la prescription
L’arrêt apporte des précisions sur l’articulation entre l’interruption de la prescription par une demande en référé et les effets du rejet définitif de cette demande (A), illustrant les conséquences pratiques pour les créanciers (B).
A. L’effet non avenu de l’interruption en cas de rejet définitif de la demande
La cour rappelle le mécanisme d’interruption de la prescription prévu par l’article 2241 du code civil, selon lequel « la demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription ». Cette règle traduit la volonté du législateur de ne pas pénaliser le créancier diligent qui manifeste son intention de faire valoir son droit.
Cependant, l’article 2243 du même code prévoit que « l’interruption est non avenue si le demandeur se désiste de sa demande ou laisse périmer l’instance, ou si sa demande est définitivement rejetée ». La cour combine cette disposition avec l’article 528-1 du code de procédure civile relatif à la forclusion du recours en l’absence de signification du jugement.
Elle énonce que « l’interruption de prescription résultant de l’assignation du 17 août 2017 est non avenue » dès lors que l’ordonnance de référé a été infirmée par un arrêt d’appel disant n’y avoir lieu à référé, que cet arrêt n’a pas été signifié et qu’aucun pourvoi n’a été formé dans le délai de deux ans. Le rejet de la demande de provision en référé constitue un rejet définitif au sens de l’article 2243, privant rétroactivement l’assignation de tout effet interruptif.
B. Les implications pratiques pour la stratégie contentieuse
Cette solution emporte des conséquences significatives pour les créanciers. L’engagement d’une procédure de référé-provision, loin de sécuriser la situation du demandeur sur le terrain de la prescription, peut s’avérer contre-productif en cas d’échec. Le rejet de la demande, devenu définitif, anéantit rétroactivement l’effet interruptif, comme si l’assignation n’avait jamais existé.
En l’espèce, la société créancière avait assigné en référé le 17 août 2017. L’ordonnance lui ayant accordé une provision fut infirmée le 16 juillet 2018. Faute de pourvoi, cette décision devint définitive. L’assignation au fond intervenue les 8 et 12 octobre 2021 se trouvait ainsi prescrite pour les factures émises plus de cinq ans auparavant, soit celles des 12 et 25 août 2016.
La cour confirme donc que « c’est à bon droit que les premiers juges ont considéré que la société Sport & Co et Me [G] ès qualités étaient prescrits en leur action en paiement de ces factures ». Cette solution invite les praticiens à la prudence dans le recours au référé-provision lorsque la créance est contestée et que le délai de prescription approche de son terme. Une assignation au fond, même introduite concomitamment, aurait permis de préserver l’effet interruptif indépendamment de l’issue de la procédure de référé.