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Par un arrêt du 2 septembre 2025, la cour d’appel de Versailles s’est prononcée sur le régime de la forclusion en matière de crédit à la consommation et sur les conditions de validité d’une subrogation conventionnelle dans le bénéfice d’une clause de réserve de propriété.
En l’espèce, un établissement de crédit avait consenti, le 25 novembre 2021, un prêt personnel destiné à l’acquisition d’un véhicule automobile. L’emprunteur n’ayant réglé aucune des échéances prévues, le prêteur lui avait adressé une mise en demeure le 1er juin 2022, puis s’était prévalu de la déchéance du terme le 18 août suivant. Le prêteur avait ensuite assigné l’emprunteur devant le juge des contentieux de la protection par acte du 8 février 2024, sollicitant sa condamnation au paiement des sommes dues ainsi que la restitution du véhicule financé.
Par jugement du 6 mai 2024, le juge des contentieux de la protection du tribunal de proximité de Gonesse a déclaré irrecevable comme forclose la demande en paiement, retenant que le point de départ du délai biennal devait être fixé à la date du premier incident de paiement non régularisé, soit le 19 janvier 2022. Le premier juge a également rejeté la demande de restitution du véhicule, considérant comme abusive la clause prévoyant la subrogation du prêteur dans la réserve de propriété du vendeur.
L’établissement de crédit a relevé appel de cette décision. Devant la cour, il soutenait que l’échéance du 19 janvier 2022 n’était mentionnée que pour mémoire, la première échéance exigible étant celle de février 2022 en raison d’un report contractuel de soixante jours. Il faisait également valoir que la subrogation dans le bénéfice de la clause de réserve de propriété résultait d’un acte sous seing privé spécifique signé par les trois parties.
La cour d’appel de Versailles devait déterminer si l’action en paiement était forclose et, dans l’affirmative, si le prêteur pouvait néanmoins obtenir la restitution du véhicule financé.
La cour a confirmé le jugement en ce qu’il avait déclaré l’action en paiement irrecevable. Elle a retenu que le prêteur ne démontrait pas que le report d’échéance ait été convenu contractuellement, l’historique de compte émanant du seul organisme prêteur ne pouvant suffire à établir ce report. En revanche, la cour a infirmé le jugement sur la restitution du véhicule, jugeant que « cette stipulation est signée par les trois parties, qu’il est expressément prévu que l’acte vaut quittance donné au vendeur et que l’acquéreur-emprunteur y a consenti expressément avant le déblocage des fonds ». Elle a ainsi ordonné à l’emprunteur de restituer le véhicule et autorisé le prêteur à le faire appréhender.
Cet arrêt soulève deux questions distinctes mais complémentaires : celle de la détermination du point de départ du délai de forclusion en matière de crédit à la consommation (I), et celle de l’articulation entre forclusion de l’action en paiement et exercice du droit de propriété résultant d’une subrogation conventionnelle (II).
I. La rigueur du régime probatoire applicable au délai de forclusion
La cour d’appel de Versailles rappelle les exigences probatoires pesant sur le prêteur quant à la détermination du point de départ du délai de forclusion (A), tout en précisant le caractère inopérant des documents unilatéraux pour établir des stipulations contractuelles (B).
A. L’application stricte de l’article R. 312-35 du code de la consommation
L’article R. 312-35 du code de la consommation enferme l’action en paiement du prêteur dans un délai de deux ans « de l’événement qui leur a donné naissance ». Ce texte précise que cet événement est notamment caractérisé par « le premier incident de paiement non régularisé ». La cour rappelle cette règle et en fait une application rigoureuse aux faits de l’espèce.
Le prêteur soutenait qu’un report de la première échéance avait été convenu, de sorte que la première mensualité exigible n’était pas celle du 19 janvier 2022, mais celle de février 2022. La cour relève toutefois que « l’article 3 du contrat se limite à prévoir, de façon générale, toutes les hypothèses et notamment celle d’un report, sans qu’il soit justifié qu’un tel report ait été sollicité par l’emprunteur et accepté par le prêteur ». Cette analyse révèle la distinction entre les clauses de style prévoyant abstraitement diverses modalités et l’accord effectif des parties sur une modalité particulière.
La cour retient donc « l’hypothèse d’une mensualité intervenant un mois exactement après la date de mise à disposition des fonds », soit le 16 janvier 2022. L’assignation ayant été délivrée le 8 février 2024, « plus de deux ans après la première échéance échue impayée », la forclusion est acquise. Cette solution s’inscrit dans une jurisprudence constante qui sanctionne sévèrement les prêteurs négligents dans le recouvrement de leurs créances.
B. Le rejet des preuves unilatérales pour établir les stipulations contractuelles
La cour se montre particulièrement exigeante quant aux éléments de preuve produits par le prêteur. Celui-ci invoquait un historique de compte sur lequel l’échéance du 19 janvier 2022 était mentionnée « uniquement pour mémoire, toutes les rubriques étant à zéro ». La cour écarte cet élément de preuve au motif que « ce document ne peut être pris en considération pour établir le report allégué dans la mesure où il émane du seul organisme prêteur ».
Cette position traduit une application classique des règles de preuve en matière contractuelle. Un document établi unilatéralement par une partie ne saurait prouver le contenu des obligations de l’autre partie. Le prêteur aurait dû produire un écrit établissant l’accord exprès de l’emprunteur sur le report de la première échéance, ou à tout le moins un avenant au contrat initial.
La solution retenue s’explique également par la finalité protectrice du délai de forclusion. Ce délai vise à sanctionner l’inertie du prêteur et à protéger l’emprunteur contre des actions tardives. Admettre qu’un document interne au prêteur puisse modifier le point de départ de ce délai reviendrait à laisser ce dernier maître de sa computation, ce qui viderait la règle de son effet utile.
II. L’autonomie de l’action en revendication fondée sur la subrogation conventionnelle
La cour admet que la forclusion de l’action en paiement n’emporte pas forclusion de l’action en revendication (A), tout en validant le mécanisme de subrogation conventionnelle mis en place par un acte tripartite (B).
A. L’indépendance de l’action en revendication par rapport à l’action en paiement
La cour énonce un principe essentiel : « le seul fait que l’action en paiement soit forclose n’interdit pas au prêteur de réclamer la restitution du véhicule ». Elle fonde cette solution sur un arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 20 décembre 1994, selon lequel « le délai de forclusion ne s’applique pas à l’action en revendication par laquelle le propriétaire d’un meuble réclame la restitution à celui à qui il l’a remis à titre précaire, car elle naît de son droit de propriété et de l’absence de droit du détenteur ».
Cette distinction entre action personnelle et action réelle est fondamentale. L’action en paiement est une action personnelle qui tend à obtenir l’exécution d’une obligation, en l’occurrence le remboursement du prêt. L’action en revendication est une action réelle qui sanctionne le droit de propriété et tend à obtenir la restitution d’un bien. Ces deux actions obéissent à des régimes distincts et notamment à des délais de prescription différents.
La cour fait ainsi application du principe selon lequel le droit de propriété ne s’éteint pas par le non-usage. Le propriétaire d’un bien peut en réclamer la restitution tant que son droit de propriété subsiste, indépendamment des vicissitudes de l’action en paiement de la créance garantie par ce bien.
B. La validation de la subrogation tripartite dans la réserve de propriété
La cour analyse ensuite les conditions de la subrogation du prêteur dans le bénéfice de la clause de réserve de propriété. Elle se fonde sur l’article 1346-2 du code civil qui régit la subrogation consentie par le débiteur. Ce texte exige notamment que la subrogation soit expresse et que « la quittance donnée par le créancier doit indiquer l’origine des fonds ».
En l’espèce, la cour relève que l’acte litigieux prévoit expressément que « le présent acte vaut quittance donnée au vendeur au sens de l’article 1346-2 alinéa 1 du code civil ». Elle constate que « cette stipulation est signée par les trois parties » et que « l’acquéreur-emprunteur y a consenti expressément avant le déblocage des fonds et donc avant que ceux-ci soient la propriété de l’emprunteur ».
La cour censure le raisonnement du premier juge qui avait fondé son analyse sur l’article 1346-1 du code civil, relatif à la subrogation consentie par le créancier. L’erreur de qualification était déterminante : la subrogation en cause n’était pas consentie par le vendeur-créancier recevant paiement d’un tiers, mais par l’emprunteur-débiteur utilisant les fonds prêtés pour payer sa dette. Cette qualification emporte l’application d’un régime juridique différent.
La solution retenue présente une importance pratique considérable pour les établissements de crédit finançant l’acquisition de véhicules. Elle confirme que la rédaction d’un acte tripartite spécifique, distinct du contrat de prêt, permet de sécuriser la subrogation du prêteur dans le bénéfice de la clause de réserve de propriété. Cette technique offre au prêteur une garantie efficace puisqu’elle lui permet de revendiquer le véhicule même lorsque son action en paiement est forclose.