Cour d’appel de Versailles, le 2 septembre 2025, n°24/05826

La titrisation des créances bancaires a profondément modifié le paysage du contentieux du recouvrement. Le cessionnaire d’une créance issue d’un contrat de compte bancaire se trouve confronté à la difficulté de rapporter la preuve de l’engagement initial du débiteur lorsque le cédant n’a pas conservé les documents contractuels originaux. La cour d’appel de Versailles, dans un arrêt rendu le 2 septembre 2025, apporte une réponse rigoureuse à cette problématique probatoire.

Un établissement bancaire avait ouvert un compte courant au nom d’un particulier en mai 2018. Le compte ayant présenté un solde débiteur persistant, la banque a cédé sa créance à un fonds commun de titrisation en août 2023. Ce dernier a assigné le prétendu titulaire du compte en paiement de la somme de 13 811,19 euros. Le défendeur a contesté être à l’origine de l’ouverture du compte. Le juge des contentieux de la protection du tribunal de proximité de Gonesse, par jugement du 6 juin 2024, a débouté le fonds de sa demande au motif que la preuve de l’ouverture du compte par le défendeur n’était pas rapportée. Le fonds a interjeté appel le 30 août 2024. Devant la cour d’appel de Versailles, il a sollicité la condamnation de l’intimé au paiement du solde débiteur, tant sur le fondement contractuel que, subsidiairement, sur celui de la répétition de l’indu. L’intimé, bien que régulièrement assigné, n’a pas constitué avocat.

La question posée à la cour était de déterminer si un cessionnaire de créance peut établir l’existence d’un contrat de compte bancaire et l’identité de son titulaire en l’absence de convention signée, par la production de relevés de compte et d’indices concordants.

La cour d’appel de Versailles, par arrêt du 2 septembre 2025, confirme le jugement entrepris. Elle retient que les relevés de compte établis au nom du défendeur, à l’initiative du banquier, ne permettent pas de démontrer que celui-ci a personnellement ouvert le compte. Elle ajoute que l’absence de plainte pour usurpation d’identité ne saurait constituer un aveu de l’existence de la créance. Elle rejette également la demande subsidiaire fondée sur la répétition de l’indu, faute de preuve que le défendeur serait l’accipiens des sommes litigieuses.

L’exigence d’une preuve rigoureuse de l’engagement contractuel du débiteur conduit à examiner l’insuffisance des éléments extrinsèques à la convention (I), tandis que le rejet de la demande subsidiaire révèle l’impossibilité de contourner la carence probatoire par le mécanisme de la répétition de l’indu (II).

I. L’insuffisance des éléments extrinsèques pour établir l’existence du contrat

L’arrêt illustre les limites de la preuve indirecte de l’engagement contractuel (A), tout en précisant que l’inaction du prétendu débiteur ne vaut pas reconnaissance de la créance (B).

A. Les limites de la preuve indirecte de l’engagement contractuel

La cour rappelle le principe posé par l’article 9 du code de procédure civile selon lequel « il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention ». Elle applique cette règle avec rigueur en examinant les éléments produits par le cessionnaire.

Le fonds versait aux débats les relevés du compte litigieux couvrant la période de mai 2018 à juin 2022. Il soutenait que ces documents, établis au nom du défendeur et mentionnant des virements créditeurs effectués à trois reprises, suffisaient à démontrer l’existence du contrat. La cour écarte cet argument en relevant que « le seul fait que les relevés de compte ont été établis au nom de [l’intimé], à l’initiative du banquier, ne permet pas de retenir que c’est bien celui-ci, en personne, qui a ouvert le compte et qui l’a fait fonctionner ».

Cette motivation met en lumière la distinction entre l’apparence documentaire et la réalité de l’engagement. Un relevé de compte constitue un document unilatéralement établi par l’établissement bancaire. Il ne porte aucune signature du client et ne peut donc valoir preuve de son consentement à la convention d’ouverture de compte. L’article 1361 du code civil, visé par l’arrêt, permet certes de suppléer à l’écrit par un commencement de preuve corroboré par un autre moyen. La cour considère implicitement que les relevés ne constituent pas même un tel commencement de preuve dès lors qu’ils émanent exclusivement du créancier.

Le cessionnaire invoquait également la localisation géographique des opérations, effectuées à proximité du domicile du défendeur. Cet indice contextuel, s’il peut éveiller un soupçon, demeure insuffisant à caractériser l’identité de l’auteur des opérations. La proximité géographique ne vaut pas identification personnelle.

B. Le refus de déduire un aveu de l’inaction du prétendu débiteur

Le fonds développait un argument d’ordre logique. Il soutenait que si le défendeur n’était véritablement pas à l’origine de l’ouverture du compte, il aurait nécessairement réagi en signalant l’anomalie à la banque et en déposant plainte pour usurpation d’identité. Son silence vaudrait donc reconnaissance implicite de sa qualité de titulaire du compte.

La cour rejette catégoriquement ce raisonnement. Elle affirme que « l’absence de plainte pour usurpation d’identité de la part du défendeur, préalablement à la procédure, ne peut constituer un aveu de l’existence de la créance ». Cette position s’inscrit dans une conception stricte de l’aveu judiciaire tel que défini par l’article 1383 du code civil, lequel exige une déclaration par laquelle une partie reconnaît pour vrai un fait de nature à produire contre elle des conséquences juridiques.

L’inaction ne saurait être assimilée à une telle déclaration. Le silence, fût-il prolongé, ne vaut pas acceptation en droit des obligations. Cette solution protège le défendeur contre une inversion indue de la charge de la preuve. Admettre que l’absence de contestation préalable équivaut à un aveu reviendrait à contraindre tout justiciable assigné à démontrer qu’il n’a pas contracté, ce qui constituerait une probatio diabolica contraire aux principes fondamentaux du procès civil.

La cour ajoute une précision importante en relevant que la plainte pour usurpation d’identité n’a pas été déposée « préalablement à la procédure ». Cette formulation suggère que le défendeur a pu contester sa qualité de titulaire du compte au cours de l’instance de première instance, ce qui affaiblit d’autant l’argument tiré de son prétendu silence.

II. L’impossibilité de contourner la carence probatoire par la répétition de l’indu

Le rejet de la demande subsidiaire confirme l’exigence d’identification de l’accipiens (A) et révèle l’impasse dans laquelle se trouve le cessionnaire dépourvu des documents contractuels originaux (B).

A. L’exigence d’identification de l’accipiens dans l’action en répétition

Face au rejet de sa demande principale, le fonds invoquait subsidiairement le mécanisme de la répétition de l’indu prévu aux articles 1302 et suivants du code civil. Il soutenait que les sommes créditées sur le compte litigieux constituaient des paiements indus dont il pouvait réclamer la restitution.

La cour écarte cette prétention en relevant que le cessionnaire « ne rapporte pas la preuve que le défendeur est l’accipiens ». Cette formulation reprend la terminologie classique du droit des quasi-contrats. L’accipiens désigne celui qui a reçu le paiement indu et qui est tenu à restitution. L’action en répétition suppose donc que le demandeur identifie avec certitude la personne ayant effectivement perçu les sommes litigieuses.

Or, la difficulté probatoire qui affectait la demande principale se répercute nécessairement sur la demande subsidiaire. Si le cessionnaire ne peut démontrer que le défendeur est le titulaire du compte, il ne peut davantage établir que celui-ci a bénéficié des sommes qui y ont transité. Les mêmes lacunes documentaires produisent les mêmes effets, quel que soit le fondement juridique invoqué.

Cette solution est cohérente avec la nature de l’action en répétition de l’indu. Celle-ci ne constitue pas un palliatif permettant de contourner les exigences probatoires du droit des contrats. Elle obéit à ses propres conditions, parmi lesquelles figure l’identification du bénéficiaire du paiement. Le demandeur ne peut se prévaloir de ce mécanisme pour obtenir condamnation d’une personne dont il n’établit pas qu’elle a reçu les fonds.

B. L’impasse du cessionnaire dépourvu des documents originaux

L’arrêt met en lumière la situation délicate des fonds de titrisation qui acquièrent des portefeuilles de créances sans toujours disposer des pièces justificatives originales. Le cessionnaire reconnaissait expressément ne pas être « en mesure de produire la convention d’ouverture du compte courant ». Cette carence, imputable au cédant qui déclarait avoir égaré le document, se révèle dirimante.

La cour confirme ainsi que la cession de créance transfère la créance avec ses accessoires mais également avec ses faiblesses probatoires. Le cessionnaire ne saurait se prévaloir d’une position plus favorable que celle qu’aurait eue le cédant. Si ce dernier avait perdu la convention d’ouverture de compte, son ayant droit hérite de cette difficulté.

Cette solution présente une portée pratique considérable pour le contentieux de masse du recouvrement. Elle incite les établissements bancaires cédants à conserver rigoureusement les documents contractuels originaux et à les transmettre aux cessionnaires. Elle invite également ces derniers à vérifier, préalablement à l’acquisition, la complétude des dossiers de créances.

Sur le plan de la politique juridique, l’arrêt protège les particuliers contre des actions en recouvrement fondées sur des éléments insuffisants. Le risque d’usurpation d’identité dans l’ouverture des comptes bancaires justifie une vigilance accrue des juridictions. La cour refuse de faire peser sur le défendeur la charge de prouver qu’il n’a pas contracté alors même que le demandeur ne produit aucun document signé de sa main.

La confirmation du jugement emporte le rejet de l’ensemble des demandes du fonds, y compris celles relatives aux frais irrépétibles et aux dépens. Le cessionnaire supporte ainsi l’intégralité des conséquences de la carence probatoire héritée de son cédant.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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