Cour d’appel de Versailles, le 2 septembre 2025, n°25/00682

Par un arrêt du 2 septembre 2025, la cour d’appel de Versailles statue sur l’appel formé contre un jugement ayant prononcé la liquidation judiciaire d’une société de services à la personne. Cette décision s’inscrit dans le contentieux récurrent de la distinction entre redressement et liquidation judiciaires, distinction qui repose sur l’appréciation du caractère manifestement impossible du redressement.

Les faits de l’espèce sont les suivants. Une société exerçant une activité de services à domicile fait l’objet d’une assignation en ouverture de procédure collective par l’URSSAF. Le tribunal des activités économiques de Nanterre prononce sa liquidation judiciaire le 14 janvier 2025, en fixant provisoirement la cessation des paiements au 15 juillet 2023. La société interjette appel, sollicitant l’ouverture d’un redressement judiciaire en lieu et place de la liquidation.

En première instance, le tribunal retient la liquidation judiciaire au motif que la société, en état de cessation des paiements depuis plus de dix-huit mois, ne présente pas de perspectives sérieuses de redressement. Devant la cour, la société appelante soutient qu’elle justifie de telles perspectives par trois éléments : le recouvrement de créances d’un montant de 817 988 euros, un apport en compte courant de 400 000 euros consenti par sa gérante, et l’entrée au capital d’un nouvel associé. Le liquidateur judiciaire et le ministère public concluent à la confirmation du jugement, relevant le caractère incertain des éléments avancés.

La question posée à la cour est celle de savoir si une société en cessation des paiements peut bénéficier d’un redressement judiciaire lorsqu’elle invoque des perspectives de financement non encore concrétisées et des créances dont le recouvrement demeure aléatoire.

La cour d’appel de Versailles confirme le jugement de liquidation judiciaire. Elle retient que « le redressement de la société est manifestement impossible, compte de l’absence de démonstration de perspectives de remboursement d’un passif important et de possibilités réelles de poursuite de son activité ».

L’intérêt de cet arrêt réside dans l’exigence probatoire imposée au débiteur qui sollicite l’ouverture d’un redressement judiciaire. Il convient d’examiner successivement l’appréciation stricte des perspectives de redressement par la cour (I), puis les conséquences de la défaillance probatoire sur le choix de la procédure applicable (II).

I. L’appréciation stricte des perspectives de redressement

La cour procède à un examen méthodique des éléments avancés par la société pour justifier sa capacité à se redresser. Elle écarte tant les perspectives financières invoquées (A) que les possibilités de reprise d’activité (B).

A. Le rejet des perspectives financières non étayées

L’appelante invoquait trois sources de financement susceptibles de lui permettre de faire face à un passif déclaré de plus de 1,2 million d’euros. La cour les examine successivement pour les écarter.

S’agissant du recouvrement de créances, la société prétendait pouvoir encaisser 817 988 euros de factures « au cours des trois prochains mois ». La cour relève que les factures produites « comportent la même référence et le même code client alors que les clients ne sont pas les mêmes ». Elle ajoute qu’elles « ne sont corroborées par aucun autre élément, tel que la production des contrats clients ». L’appelante invoquait les délais d’instruction des dossiers par les départements financeurs pour justifier une facturation tardive. La cour écarte cet argument en relevant que « certaines factures portent sur des prestations achevées en juillet 2023, en août 2023, sans qu’il ne soit justifié d’aucune mesure de recouvrement auprès des départements ». Elle refuse que la société puisse « s’abriter derrière le fait que les ressources des départements auraient été mobilisées par la Covid, la crise des gilets jaunes ou les Jeux olympiques pour justifier de sa carence dans le recouvrement de poste clients ».

Concernant l’apport en compte courant de 400 000 euros promis par la gérante, la cour constate qu’il n’est « versé aux débats aucune convention de blocage » ni « démontré que lesdits fonds ont effectivement été crédités ». Elle observe que la gérante « disposant d’environ 990 000 euros sur son compte bancaire personnel au jour de l’ouverture de la procédure collective, aurait pu utiliser une partie de ces ressources pour apurer les dettes de sa société ».

Quant à la lettre d’intention d’un investisseur étranger s’engageant à apporter 350 000 euros en contrepartie d’une entrée au capital, la cour retient qu’elle émane d’une « entité étrangère sur laquelle aucun renseignement n’est donné » et qu’elle « n’est pas étayée ». La preuve des démarches administratives et bancaires annoncées par cette société « n’est pas rapportée ».

B. L’absence de possibilités réelles de poursuite d’activité

Au-delà des aspects financiers, la cour examine la capacité de la société à poursuivre son exploitation. Le constat est sans appel.

La gérante a elle-même reconnu, dans un courriel du 30 janvier 2025, que « tous les contrats clients ont été résiliés du fait en raison de la cessation d’activité » et qu’« il n’y a plus aucun dossier actif à transmettre ». La cour en déduit que « malgré les demandes du liquidateur, la gérante n’a communiqué aucun contrat en cours ou projets de nature à établir des perspectives d’activité ».

Le liquidateur judiciaire n’a identifié « comme actif disponible qu’un solde bancaire créditeur de 3 282,42 euros ». La société n’a « plus aucune activité et n’a plus de salariés, ces derniers ayant été licenciés à la suite du jugement de liquidation ».

La cour relève également que la gérante « a été peu diligente dans la transmission des documents utiles au liquidateur ou dans la tenue de rendez-vous avec ce-dernier ». Ces éléments « interrogent sur la capacité de la gérante à poursuivre l’activité de la société ». Le liquidateur a par ailleurs relevé « plusieurs irrégularités de gestion » et n’a pas reçu la comptabilité, la gérante invoquant « le décès du comptable localisé au Cameroun ».

Le caractère tardif des démarches de financement entreprises par rapport à une cessation des paiements remontant au 15 juillet 2023 achève de convaincre la cour que les difficultés de la société sont trop anciennes pour qu’un redressement soit envisageable.

II. Les conséquences de la défaillance probatoire sur le choix de la procédure

La confirmation de la liquidation judiciaire repose sur l’application rigoureuse du critère légal (A), application qui s’inscrit dans une jurisprudence constante dont la portée mérite d’être précisée (B).

A. L’application du critère légal du redressement manifestement impossible

La cour rappelle les dispositions des articles L. 640-1 et L. 640-2 du code de commerce selon lesquelles « la liquidation judiciaire est une procédure collective ouverte à toute personne morale exerçant une activité commerciale en cessation des paiements et dont le redressement est manifestement impossible ».

L’état de cessation des paiements n’étant pas contesté, le débat se concentre sur la possibilité d’un redressement. L’adverbe « manifestement » impose que l’impossibilité du redressement apparaisse avec évidence. A contrario, il suffit que le débiteur établisse des perspectives sérieuses de redressement pour échapper à la liquidation et bénéficier d’un redressement judiciaire.

La charge de la preuve pèse sur le débiteur qui conteste l’ouverture d’une liquidation. En l’espèce, la cour retient que l’appelante n’a pas satisfait à cette exigence. Les éléments avancés « ne permettent pas de considérer que l’appelante disposerait de moyens financiers lui permettant d’assurer le maintien de son activité ». Le recouvrement des factures demeure « très aléatoire » et les engagements financiers ne sont pas concrétisés.

La cour procède à une appréciation globale en combinant l’examen du passif, des ressources mobilisables et des perspectives d’exploitation. Un passif de plus de 1,2 million d’euros confronté à un actif disponible de 3 282 euros, des promesses de financement non suivies d’effet et une cessation effective de toute activité conduisent à l’évidence d’un redressement impossible.

B. La portée de la décision dans le contentieux des procédures collectives

Cet arrêt illustre la rigueur avec laquelle les juridictions apprécient les perspectives de redressement invoquées par un débiteur. Il ne suffit pas d’annoncer des financements ou des recouvrements de créances. Il faut en démontrer la réalité et la certitude.

La cour sanctionne ici une attitude dilatoire. Les démarches de financement entreprises tardivement, plus de dix-huit mois après la cessation des paiements, ne sauraient permettre d’obtenir un redressement judiciaire. La jurisprudence exige que le débiteur manifeste une réelle volonté de sauvetage de son entreprise, ce qui suppose des actes concrets et non de simples intentions.

La décision rappelle également l’importance de la coopération du débiteur avec les organes de la procédure. Le défaut de transmission des documents comptables et le manque de diligence dans les échanges avec le liquidateur constituent des indices défavorables qui pèsent dans l’appréciation des perspectives de redressement.

L’arrêt confirme enfin que la lettre d’intention d’un investisseur, fût-elle assortie d’un engagement chiffré, ne suffit pas à établir des perspectives sérieuses de redressement lorsqu’elle n’est accompagnée d’aucun élément permettant d’en apprécier le sérieux. L’origine étrangère des fonds annoncés et l’absence de renseignements sur l’investisseur potentiel ajoutent à l’incertitude que la cour refuse de faire peser sur les créanciers.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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