Cour d’appel de Versailles, le 21 juillet 2025, n°22/03054

La faute grave en droit du travail se définit comme celle rendant impossible le maintien du salarié dans l’entreprise et justifiant la cessation immédiate du contrat. Son établissement requiert de l’employeur qu’il démontre la réalité de faits suffisamment graves pour justifier une telle rupture. L’arrêt rendu par la cour d’appel de Versailles le 21 juillet 2025 illustre les exigences probatoires pesant sur l’employeur invoquant ce motif.

Un salarié engagé en qualité de responsable technique par une société de commerce de gros avait été licencié pour faute grave le 1er février 2021. L’employeur lui reprochait d’avoir, en violation de ses obligations contractuelles de fidélité, de confidentialité et de non-concurrence, transmis des informations confidentielles à une société concurrente et détourné la clientèle de son employeur. Le salarié avait saisi le conseil de prud’hommes d’Argenteuil pour contester ce licenciement. Par jugement du 15 septembre 2022, cette juridiction avait jugé le licenciement sans cause réelle et sérieuse et condamné l’employeur au paiement de diverses indemnités. L’employeur a interjeté appel.

L’employeur soutenait que le salarié s’était rendu à plusieurs reprises chez un concurrent, qu’il avait transmis le fichier client et tenté de récupérer les codes de messagerie pour continuer à divulguer des informations confidentielles. Il produisait notamment l’attestation d’un ancien salarié. Le salarié contestait la matérialité des faits et leur qualification.

La question posée à la cour était de déterminer si les éléments produits par l’employeur établissaient la réalité des manquements allégués et, partant, la faute grave justifiant un licenciement immédiat sans indemnité.

La cour d’appel de Versailles a confirmé le jugement. Elle a retenu que l’employeur ne démontrait pas « la réalité des griefs allégués au soutien de la faute grave, tenant à la divulgation d’informations confidentielles et au détournement de clientèle ni, par suite, la violation des obligations contractuelles de fidélité, de confidentialité et de non-concurrence par le salarié ».

La solution appelle une analyse tant sur le terrain de la charge probatoire pesant sur l’employeur (I) que sur les conséquences de la défaillance de cette preuve (II).

I. L’exigence d’une démonstration rigoureuse de la faute grave

L’arrêt rappelle les principes gouvernant la charge de la preuve en matière de faute grave (A) avant d’en faire une application particulièrement stricte aux circonstances de l’espèce (B).

A. Le rappel du principe de la charge probatoire incombant à l’employeur

La cour d’appel de Versailles énonce que « la faute grave est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise et qui justifie la rupture immédiate de son contrat de travail, sans préavis » et précise aussitôt que « la charge de la preuve pèse sur l’employeur ». Cette formulation classique reprend une jurisprudence constante de la Cour de cassation. L’employeur qui invoque la faute grave doit en établir la réalité et la gravité. Cette exigence se comprend par la gravité des conséquences attachées à une telle qualification : perte du préavis et de l’indemnité de licenciement.

La cour rappelle également les dispositions de l’article L. 1235-1 du code du travail selon lesquelles « si un doute subsiste, il profite au salarié ». Ce principe irrigue l’ensemble du contentieux du licenciement pour motif personnel. Il impose au juge une appréciation rigoureuse des preuves soumises par l’employeur.

B. L’insuffisance des éléments probatoires en l’espèce

L’application de ces principes conduit la cour à écarter successivement chacun des griefs invoqués. S’agissant de l’attestation de l’ancien salarié, la cour relève que ce témoin « a alterné des périodes d’emploi au sein des sociétés » en cause. Elle observe une incohérence dans ses déclarations puisqu’il invoque une clause de non-concurrence alors que « l’examen de son contrat de travail signé le 1er mars 2016 au sein de la société en qualité de manutentionnaire ne comportait pas de clause de non-concurrence ». Cette contradiction affecte la crédibilité du témoignage.

Quant à la transmission alléguée du fichier client, la cour constate que « cette dernière ne produit aucune pièce permettant de corroborer les déclarations » du témoin et qu’« il n’est pas justifié de perte de clientèle ou de chiffre d’affaires ». L’absence de préjudice démontré affaiblit considérablement la thèse de l’employeur. Concernant le comportement anti-commercial reproché, la cour note que « la société ne verse aucune pièce de nature à le démontrer ».

II. Les conséquences de l’absence de preuve de la faute grave

L’absence de démonstration de la faute grave emporte requalification du licenciement (A) et entraîne le rejet des demandes reconventionnelles de l’employeur (B).

A. La requalification en licenciement sans cause réelle et sérieuse

La cour, faute pour l’employeur d’avoir établi les griefs invoqués, confirme que le licenciement est « dépourvu de cause réelle et sérieuse ». Cette requalification emporte des conséquences indemnitaires importantes pour le salarié. Celui-ci obtient le paiement de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, de l’indemnité légale de licenciement, de l’indemnité compensatrice de préavis et des congés payés afférents, ainsi que du rappel de salaire correspondant à la période de mise à pied conservatoire.

La cour confirme également le droit du salarié à la contrepartie financière de la clause de non-concurrence. Elle retient en effet que la violation de cette clause n’est pas démontrée. L’employeur avait pourtant prétendu libérer le salarié de cette obligation dans la lettre de licenciement tout en invoquant sa violation. Cette position contradictoire n’a pas été retenue par les juges.

B. Le rejet de la demande reconventionnelle de l’employeur

L’employeur sollicitait la condamnation du salarié à lui verser 50 000 euros de dommages-intérêts en réparation du préjudice prétendument subi du fait du détournement de clientèle et de la violation de l’obligation de non-concurrence. La cour rejette cette demande en relevant qu’« il n’est pas démontré par l’appelante la violation par le salarié de son obligation de non-concurrence, ni le détournement de clientèle allégué ».

Cette solution s’inscrit dans une logique de cohérence. L’employeur ne saurait obtenir réparation d’un préjudice dont il n’établit pas l’existence. La cour ordonne en outre le remboursement par l’employeur des indemnités de chômage versées au salarié dans la limite de six mois, en application de l’article L. 1235-4 du code du travail. Cette condamnation automatique sanctionne l’employeur ayant procédé à un licenciement injustifié et fait peser sur lui les conséquences financières de la prise en charge du salarié par l’assurance chômage.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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