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La Cour d’appel de Versailles, par un arrêt du 23 juillet 2025, statue sur le licenciement pour faute grave d’un responsable juridique international. L’employeur reprochait au salarié une absence de transparence, la validation de contrats contenant des clauses préjudiciables et des manquements dans la conformité juridique des filiales. Le salarié invoquait un harcèlement moral et contestait la suppression partielle de sa rémunération variable. La juridiction devait déterminer si le licenciement reposait sur une faute grave justifiant l’éviction immédiate du salarié et si les agissements de l’employeur caractérisaient un harcèlement moral.
Un salarié, engagé en 2006 comme juriste international, exerçait au dernier état de la relation les fonctions de responsable juridique international. Placé en arrêt de travail à compter du 7 juin 2019, il fut convoqué à un entretien préalable le 20 juin suivant, puis licencié pour faute grave le 11 juillet 2019. L’employeur lui reprochait notamment la validation d’un contrat contenant des clauses inacceptables, un défaut de transparence avec sa hiérarchie et l’absence de mise en conformité des contrats des filiales étrangères. Le salarié soutenait avoir été victime de harcèlement moral et contestait la suppression de sa prime sur objectifs pour les années 2018 et 2019.
Le conseil de prud’hommes de Nanterre, par jugement du 16 mai 2023, écarta l’existence d’un harcèlement moral mais requalifa le licenciement en licenciement pour cause réelle et sérieuse. Il condamna l’employeur au paiement des indemnités de rupture. Le salarié interjeta appel, sollicitant la nullité du licenciement et diverses indemnités. L’employeur forma appel incident, demandant la confirmation de la faute grave.
La Cour d’appel de Versailles devait répondre à deux questions principales. D’une part, les faits reprochés au salarié caractérisaient-ils une faute grave rendant impossible son maintien dans l’entreprise ? D’autre part, la suppression de la rémunération variable et le licenciement constituaient-ils des agissements répétés de harcèlement moral ?
La cour confirme partiellement le jugement entrepris. Elle retient que les griefs relatifs à l’absence de transparence, à la validation de contrats non conformes et aux manquements dans le suivi des filiales sont établis, mais ne caractérisent pas une faute grave. Elle écarte l’existence d’un harcèlement moral, l’employeur n’ayant commis qu’un seul agissement fautif relatif à la rémunération variable, insuffisant pour caractériser des agissements répétés. Elle condamne toutefois l’employeur au paiement d’un rappel de prime sur objectifs, faute d’avoir communiqué au salarié ses objectifs en début d’exercice.
L’arrêt mérite attention tant par la caractérisation de la faute du cadre juridique (I) que par l’articulation entre suppression de rémunération variable et harcèlement moral (II).
I. La caractérisation de la faute du cadre juridique
L’arrêt précise les contours des obligations professionnelles du responsable juridique (A) avant de déterminer le seuil de gravité de ses manquements (B).
A. Les obligations professionnelles du responsable juridique international
La cour retient à l’encontre du salarié plusieurs manquements significatifs dans l’exercice de ses fonctions. Elle relève d’abord « une absence totale de transparence et de communication, tant avec sa hiérarchie qu’avec ses différents interlocuteurs au sein du groupe ». Le compte-rendu d’entretien annuel établissait la nécessité pour l’intéressé de faire évoluer « sa posture afin d’être plus dans l’échange, la transparence et la communication ».
La juridiction retient ensuite la validation d’un contrat commercial comportant des clauses qualifiées de « totalement inacceptables pour l’entreprise d’un point de vue juridique ». L’arrêt énumère précisément ces stipulations problématiques : « insertion d’une obligation de résultat sur une mission de propriété intellectuelle, renonciation à toute faculté ultérieure de recours contre le client, faculté de résiliation de convenance accordée au client sans aucune contrepartie ». Une juriste ayant repris le dossier durant l’absence du salarié avait identifié ces clauses comme présentant « un fort risque » pour l’entreprise.
La cour valide également le grief tiré de l’absence de mise en conformité des contrats des filiales étrangères. Elle constate que le salarié « a pu valider seul les contrats relevant de son périmètre, sans en informer sa hiérarchie », alors que sa supérieure lui avait demandé de « bien vérifier le point soulevé car il est important que nous n’entérinions pas simplement un wording mais que nous puissions challenger une proposition faite par nos clients internes ».
Ces constatations dessinent les contours d’une obligation de vigilance renforcée pesant sur le cadre juridique. Son rôle ne se limite pas à un examen formel des documents. Il doit identifier les stipulations contraires aux intérêts de l’entreprise et alerter sa hiérarchie.
B. Le seuil de gravité des manquements du cadre juridique
La cour écarte cependant un grief invoqué par l’employeur. Celui-ci reprochait au salarié d’avoir validé des contrats rédigés en espagnol en recourant au logiciel Google Trad. La juridiction relève que « l’employeur ne vise aucun contrat précis ni ne caractérise les erreurs, imprécisions et contresens que le salarié aurait laissé subsister ». L’absence de préjudice démontré prive ce grief de toute portée.
Cette exigence probatoire illustre une jurisprudence constante. L’employeur qui invoque une faute doit en établir la matérialité et les conséquences. Un reproche général, non étayé par des éléments concrets, demeure insuffisant.
La cour conclut que « l’ensemble des autres faits reprochés au salarié sont établis, réels et sérieux au regard des fonctions de responsable juridique du salarié, sans toutefois rendre impossible son maintien dans l’entreprise durant le préavis ». Cette formulation traduit la distinction entre cause réelle et sérieuse et faute grave.
La faute grave suppose une impossibilité de maintenir le salarié dans l’entreprise, même temporairement. Les manquements du responsable juridique, bien que caractérisés, n’atteignaient pas ce degré de gravité. L’employeur conservait la faculté de le maintenir durant son préavis tout en organisant la reprise de ses dossiers. La requalification opérée par les premiers juges se trouve ainsi confirmée.
II. L’articulation entre suppression de rémunération variable et harcèlement moral
L’arrêt examine successivement les conditions d’attribution de la prime sur objectifs (A) puis l’absence de caractérisation du harcèlement moral (B).
A. Les conditions d’attribution de la prime sur objectifs
Le contrat de travail prévoyait une « prime qui sera fonction de l’atteinte des objectifs qualitatifs et quantitatifs communiqués chaque année par le biais d’une note de service ou lors de votre entretien annuel ». La cour rappelle que « lorsque les objectifs sont définis unilatéralement par l’employeur dans le cadre de son pouvoir de direction, celui-ci peut les modifier dès lors qu’ils sont réalisables et qu’ils ont été portés à la connaissance du salarié en début d’exercice ».
Pour l’année 2018, la juridiction constate que « l’employeur n’établit pas avoir communiqué au salarié ses objectifs ». La seule indication figurant dans l’entretien d’évaluation selon laquelle ses objectifs n’auraient pas été atteints ne satisfait pas à l’obligation de communication préalable.
Pour l’année 2019, si les objectifs quantitatifs avaient été fixés lors de l’entretien annuel, « l’employeur ne justifie pas que le salarié n’a pas rempli ces objectifs pour la part de l’année 2019 durant laquelle il a exécuté son contrat de travail ». L’employeur se bornait à affirmer sans le démontrer que les objectifs n’avaient pas été atteints.
La cour en déduit que « le salarié est fondé à solliciter pour les deux années litigieuses le paiement de la prime maximale sur objectifs fixée contractuellement ». Cette solution s’inscrit dans une jurisprudence protectrice du salarié. L’employeur qui n’a pas fixé d’objectifs ou qui ne démontre pas leur non-réalisation doit verser la rémunération variable intégrale.
B. L’absence de caractérisation du harcèlement moral
Le salarié invoquait un harcèlement moral fondé sur la suppression partielle de sa rémunération variable et son licenciement pour faute grave. La cour applique le mécanisme probatoire prévu par l’article L. 1154-1 du code du travail. Elle examine d’abord si les faits matériellement établis laissent supposer l’existence d’un harcèlement.
Elle retient que « la suppression d’une partie de sa rémunération variable » constitue un fait établi, l’employeur n’ayant pas justifié sa décision par des éléments objectifs. Concernant le licenciement, la cour l’examine au fond et conclut qu’il repose sur des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
La juridiction écarte toutefois la qualification de harcèlement moral au motif de l’absence d’agissements répétés. Elle relève « qu’en l’absence d’agissements répétés de harcèlement moral, puisque seule a été retenue la suppression d’une partie de sa rémunération variable », le harcèlement n’est pas caractérisé.
Cette analyse mérite attention. Le harcèlement moral suppose, aux termes de l’article L. 1152-1 du code du travail, des « agissements répétés ». Un fait isolé, fût-il fautif, ne suffit pas à caractériser cette infraction. La cour distingue ainsi le manquement contractuel de l’employeur, sanctionné par l’octroi d’un rappel de salaire, et le harcèlement moral qui requiert une pluralité d’actes. Cette distinction préserve la spécificité du harcèlement moral comme atteinte à la dignité du salarié, distincte des simples inexécutions contractuelles.