Cour d’appel de Versailles, le 24 juillet 2025, n°23/01294

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Rendue par la Cour d’appel de Versailles le 24 juillet 2025, la décision tranche un contentieux né d’une réorganisation industrielle et commerciale d’un groupe. Une salariée, engagée en contrat à durée indéterminée et licenciée pour motif économique après fermeture d’un site, invoquait la qualité de co-employeur d’une société sœur et contestait, subsidiairement, la cause économique de la rupture. Le conseil de prud’hommes avait retenu le co-emploi et condamné la société sœur, tout en allouant des sommes au titre de la rupture, solutions intégralement discutées en appel.

Les faits utiles tiennent à une production segmentée au sein d’un même groupe, au transfert de volumes, à une relation commerciale intragroupe et à la perte d’un client majeur sur un segment spécifique. La procédure a opposé, en première instance, la salariée au sein employeur et à une société du même périmètre, avec un jugement favorable à la thèse du co-emploi et à la critique du licenciement. Saisie par les sociétés, la Cour d’appel infirme sur le co-emploi, mais dit le licenciement économique sans cause réelle et sérieuse, accordant une indemnité encadrée par le barème légal et rejetant la demande de préavis.

La question de droit portait d’abord sur les conditions du co-emploi en présence d’une coordination de groupe et d’interventions croisées en matière industrielle, commerciale et sociale. Elle portait ensuite sur la détermination du secteur d’activité pertinent et la preuve d’une réorganisation nécessaire à la sauvegarde de la compétitivité, ou de difficultés économiques, au sens de l’article L. 1233-3 du code du travail. La Cour retient qu’aucune immixtion permanente n’a conduit à une perte totale d’autonomie de la société employeur, puis juge le motif économique non caractérisé faute d’éléments probants sur la compétitivité dans le périmètre retenu.

I. Le sens de la décision

A. Les conditions strictes du co-emploi rappelées et appliquées

La Cour rappelle la définition prétorienne du co-emploi en dehors de tout lien de subordination direct avec la société sœur. Elle cite que « Hors l’existence d’un tel lien de subordination, une société ne peut être qualifiée de co-employeur […] que s’il existe […] une immixtion permanente […] conduisant à la perte totale d’autonomie d’action de cette dernière. » La solution s’inscrit dans la ligne classique, distinguant nécessaire coordination et emprise anormale.

L’analyse factuelle est serrée et individualisée. Les éléments invoqués, relatifs à des cartes de visite, à des mails de plan de charge, à des audits sécurité, et à des arbitrages industriels, traduisent une coopération opérationnelle, mais non une substitution aux pouvoirs essentiels de l’employeur. La Cour constate que « les éléments versés ne révélant pas une immixtion permanente excédant une nécessaire collaboration dans un but de coordination et de rationalisation économique ». L’exercice effectif des prérogatives hiérarchiques par l’encadrement du site, les conventions de services internes au groupe et l’absence de confusion de direction sont décisifs.

B. Le périmètre économique pertinent et l’insuffisance de la preuve de compétitivité

La Cour détermine d’abord le périmètre de référence au niveau national. Elle retient un secteur indifférencié « boulangerie-viennoiserie-pâtisserie-traiteur », compte tenu de l’organisation du groupe, de la commercialisation mutualisée et de la marginalité des segments périphériques. Elle relève que « la spécialisation d’une entreprise dans le groupe ne suffit donc pas à exclure son rattachement à un secteur d’activité plus étendu ». La production de disques de pizzas, bien que significative pour l’entité, ne structure pas le secteur à l’échelle du groupe.

Sur le fond, la Cour exige des éléments fiables et circonstanciés établissant soit des difficultés économiques, soit « une réorganisation de l’entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité ». Elle énonce que « ces constats, en eux-mêmes, ne permettent pas de caractériser une baisse de compétitivité significative » dans le périmètre retenu. L’érosion alléguée de parts de marché est jugée trop ponctuelle ou non corroborée après 2017, alors que le chiffre d’affaires demeure en progression, ce qui prive la justification économique de la robustesse requise.

II. Valeur et portée de la solution

A. Une conception exigeante et orthodoxe du co-emploi

La solution s’inscrit dans une ligne jurisprudentielle constante, soucieuse de protéger la frontière sociétale entre coordination de groupe et confusion de structures. L’extraction, par faisceau d’indices, d’outils de pilotage communs n’emporte pas, à elle seule, co-emploi. La Cour insiste sur la « perte totale d’autonomie d’action » et sur l’« immixtion permanente » comme critères cumulatifs, d’interprétation stricte. Cette exigence renforce la sécurité juridique des organisations matricielles, tout en prévenant une dilution des responsabilités sociales.

La motivation se distingue par un contrôle étroit de la situation individuelle de la salariée et de l’effectivité des pouvoirs hiérarchiques internes. Le raisonnement écarte toute approche purement organique ou symbolique du lien de subordination, en rappelant qu’une politique de marque, des flux intragroupes, ou une assistance ponctuelle ne sauraient suffire. La formule « il ne s’évince d’aucun élément » clôt l’analyse en marquant l’absence de substitution structurelle durable.

B. Un rappel ferme des exigences probatoires en matière économique

La Cour valorise une méthode probatoire rigoureuse, fondée sur des indicateurs pertinents, comparés et datés. Sont privilégiées les données consolidées et vérifiables, couvrant l’ensemble du secteur pertinent sur le territoire national, plutôt que des éléments partiels ou internes. L’énoncé selon lequel « la cause économique d’un licenciement ne peut s’apprécier à un niveau inférieur à celui de l’entreprise » est ici prolongé par l’exigence d’un périmètre sectoriel adéquat et homogène.

La portée pratique est notable. Les employeurs devront articuler leurs projets de réorganisation avec des démonstrations convaincantes de dégradation de compétitivité, en s’appuyant sur des séries temporelles, des comparaisons sectorielles et des constats indépendants. La seule perte d’un client majeur d’une entité spécialisée, ou la seule hausse relative de charges d’exploitation, ne suffisent pas. La décision rappelle qu’en l’absence de preuves robustes et globales, « le licenciement pour motif économique […] est sans cause réelle et sérieuse ».

La décision concilie ainsi, sans contradiction, la résistance au co-emploi de circonstance et un contrôle substantiel du motif économique. Le rejet du co-emploi préserve la cohérence des structures de groupe, tandis que l’annulation du licenciement signale que la preuve économique doit être menée au bon niveau, avec des éléments complets et actuels. Cette articulation conforte un droit du travail attentif aux réalités industrielles, mais ferme sur les standards de justification de la rupture.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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