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L’arrêt rendu par la Cour d’appel de Versailles le 25 juin 2025 statue sur renvoi après cassation dans un litige opposant un rédacteur-graphiste à son employeur, éditeur de presse. Un salarié, embauché par contrat à durée déterminée du 10 septembre 2014 au 9 juillet 2015, exerçait parallèlement un mandat de conseiller prud’homal. Placé en arrêt de travail à plusieurs reprises, il avait saisi la juridiction prud’homale le 21 décembre 2015 pour obtenir la requalification de son contrat en contrat à durée indéterminée, le prononcé de la résiliation judiciaire aux torts de l’employeur ainsi que diverses sommes à titre salarial et indemnitaire. Le conseil de prud’hommes de Nanterre, statuant en formation de départage le 14 avril 2017, avait requalifié le contrat, prononcé la résiliation judiciaire et condamné l’employeur au paiement de plusieurs indemnités, tout en déboutant le salarié de ses demandes relatives aux heures supplémentaires, au travail dissimulé et au harcèlement moral. Sur appel, la Cour d’appel de Versailles avait confirmé l’intégralité du jugement le 4 mars 2020. La Cour de cassation, par arrêt du 16 novembre 2022, a cassé partiellement cette décision en reprochant à la cour d’appel d’avoir fait peser la charge de la preuve des heures supplémentaires sur le seul salarié et de n’avoir pas examiné l’ensemble des éléments allégués au titre du harcèlement moral.
Devant la cour de renvoi, le salarié demandait la condamnation de l’employeur au paiement d’un rappel d’heures supplémentaires, d’une indemnité pour travail dissimulé et de dommages-intérêts pour harcèlement moral ainsi que pour manquement à l’obligation de sécurité. L’employeur sollicitait la confirmation du jugement et le rejet de l’ensemble des demandes.
La question posée à la cour était double : d’une part, comment apprécier la preuve des heures supplémentaires lorsque le salarié produit des éléments suffisamment précis et que l’employeur ne fournit aucun système de contrôle du temps de travail ; d’autre part, quels éléments permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral à l’encontre d’un salarié protégé dont le contrat n’a pas été renouvelé malgré le refus de l’inspecteur du travail.
La Cour d’appel de Versailles infirme partiellement le jugement. Elle condamne l’employeur à payer 697,92 euros de rappel de salaire au titre des heures supplémentaires, outre congés payés et prime afférente, ainsi que 2 000 euros de dommages-intérêts pour harcèlement moral. Elle confirme le rejet des demandes au titre du travail dissimulé et du manquement à l’obligation de sécurité.
L’intérêt de cette décision réside dans l’application rigoureuse des règles probatoires en matière d’heures supplémentaires après cassation (I) ainsi que dans la caractérisation du harcèlement moral subi par un salarié protégé maintenu dans une situation d’exclusion professionnelle (II).
I. L’application renouvelée du régime probatoire des heures supplémentaires
A. Le partage de la charge de la preuve conforme à l’article L. 3171-4 du code du travail
La cour d’appel applique scrupuleusement les principes dégagés par la Cour de cassation. Elle rappelle que « la charge de la preuve ne pèse donc pas uniquement sur le salarié » et qu’« il appartient également à l’employeur de justifier des horaires de travail effectués par l’intéressé ». Le salarié doit présenter « des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre l’instauration d’un débat contradictoire ». L’employeur, « qui assure le contrôle des heures de travail effectuées », doit « y répondre utilement en produisant ses propres éléments ».
En l’espèce, le salarié avait produit les plannings du service, un procès-verbal de réunion du comité d’entreprise attestant de la répartition horaire et un tableau récapitulatif semaine par semaine. La cour juge que « ces éléments sont suffisamment précis pour permettre à l’employeur (…) d’y répondre utilement ». Cette appréciation illustre l’évolution jurisprudentielle qui exige du salarié non pas une preuve parfaite mais des éléments permettant un débat contradictoire. La censure de l’arrêt précédent sanctionnait précisément le fait d’avoir « fait peser la charge de la preuve sur le seul salarié » alors que l’employeur ne produisait « aucun élément de contrôle de la durée du travail ».
B. L’évaluation souveraine tempérée par les éléments adverses
La cour exerce son pouvoir souverain d’appréciation tout en tenant compte des éléments produits par l’employeur. Elle relève que celui-ci « démontre (…) par la production de sa pièce 8 (…) que trois salariés attestent sur l’honneur que tous les membres du service maquette, y compris [le salarié], ont toujours bénéficié de leur pause déjeuner ou dîner ». La cour écarte les contestations formelles du salarié relatives à ces attestations en considérant que « la signature manuscrite des témoignages associée à la copie des pièces d’identité des témoins suffit en l’espèce à leur conférer une force probante ».
Cette analyse conduit la cour à retenir que « durant ses journées de huit heures, le salarié prenait des pauses pour ses repas » et à exclure les semaines incomplètes du décompte des heures supplémentaires. Elle « évalue en conséquence à la somme de 697,92 euros le montant du rappel de salaire dû », soit un montant sensiblement inférieur aux 2 279,43 euros réclamés. L’appréciation souveraine du juge du fond s’exerce ainsi dans les deux sens : elle accueille la demande dans son principe tout en la modérant dans son quantum au regard des éléments adverses recevables.
II. La caractérisation du harcèlement moral envers un salarié protégé maintenu en marge de l’entreprise
A. L’examen méthodique des faits laissant présumer le harcèlement
La cour procède à un examen systématique des douze faits allégués par le salarié. Elle en retient six comme établis : le refus de proposer un contrat à durée indéterminée contrairement aux autres salariés du service, l’exclusion de la demande collective de renouvellement de la carte de presse, la disparition du nom des plans d’implantation des nouveaux bureaux, l’absence d’entretien individuel annuel, le défaut d’information sur le plan d’épargne entreprise et le retrait de la liste de diffusion des courriels professionnels. La cour écarte en revanche les faits non étayés par des pièces probantes ou contredits par les productions adverses.
L’arrêt de cassation reprochait à la cour d’appel de n’avoir pas recherché « si ces éléments, pris dans leur ensemble, permettaient de présumer l’existence d’un harcèlement moral ». La cour de renvoi y répond expressément en jugeant que « ces faits, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral ». Elle prend également en considération la dégradation de l’état de santé du salarié attestée par les certificats médicaux mentionnant un « syndrome anxiodépressif ». Cette approche globale correspond à la méthode imposée par l’article L. 1154-1 du code du travail dans sa rédaction antérieure au 10 août 2016.
B. L’absence de justification objective des mesures d’exclusion
La cour examine ensuite si l’employeur justifie ses agissements par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. S’agissant du refus de proposer un contrat à durée indéterminée, elle relève que « le jugement déféré à la cour est définitif en ce qu’il requalifie le contrat de travail à durée déterminée du salarié en contrat de travail à durée indéterminée » au motif que le poste « avait eu objet ou pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente ». Elle en déduit qu’« il n’est pas justifié par des raisons objectives étrangères à tout harcèlement que l’employeur n’ait pas proposé au salarié un contrat de travail à durée indéterminée ».
Concernant l’exclusion de la demande collective de renouvellement de la carte de presse, la cour souligne que le salarié « faisait toujours partie des effectifs » compte tenu de la décision de l’inspecteur du travail du 6 juillet 2015 rejetant la demande de non-renouvellement. L’employeur « n’explique (…) pas par des raisons objectives pourquoi il ne l’a pas inclus dans ses demandes de renouvellement collective ». La cour observe de surcroît que le certificat établi mentionnait un terme au 9 juillet 2015 « alors pourtant qu’à cette date (…) le salarié faisait toujours partie de ses effectifs ». Cette incohérence documentaire renforce le constat d’une mise à l’écart délibérée.
La cour ne retient qu’un seul fait comme objectivement justifié : l’absence du nom du salarié sur les plans des nouveaux bureaux datés du 29 juin 2015, antérieurs à la décision de l’inspecteur du travail. Pour les autres faits postérieurs, elle constate l’absence de justification et conclut que « le harcèlement moral est établi ». Le préjudice est réparé par l’allocation de 2 000 euros, montant inférieur aux 43 600 euros demandés, la cour retenant une appréciation mesurée du dommage subi.