Cour d’appel de Versailles, le 26 juin 2025, n°22/03223

La protection du salarié élu contre le licenciement arbitraire constitue un pilier fondamental du droit du travail français. Elle trouve une illustration particulière dans cet arrêt rendu par la Cour d’appel de Versailles le 26 juin 2025, qui met en lumière les conséquences d’un licenciement prononcé en méconnaissance du statut protecteur d’un candidat aux élections professionnelles.

Un vendeur automobile, engagé depuis novembre 1989, est élu délégué du personnel en octobre 2017. Placé en arrêt maladie à compter de janvier 2019, il est déclaré inapte à tout poste dans l’entreprise en mars 2019, le médecin du travail précisant toutefois qu’il serait apte à exercer un emploi similaire au sein d’un autre groupe. Le salarié se porte candidat aux élections du comité social et économique en février 2020. Entre les deux tours du scrutin, l’employeur le convoque à un entretien préalable avec mise à pied conservatoire. La demande d’autorisation de licenciement pour faute grave est rejetée par l’inspection du travail en mai 2020. L’employeur procède néanmoins au licenciement pour faute grave en août 2020, alors que la période de protection court encore. Le salarié saisit la juridiction prud’homale. Le conseil de prud’hommes de Mantes-la-Jolie prononce la nullité du licenciement et condamne l’employeur à diverses indemnités, dont des dommages et intérêts pour harcèlement moral et violation du statut protecteur. L’employeur interjette appel.

Ainsi, la Cour d’appel de Versailles devait déterminer si un employeur peut licencier un salarié candidat aux élections professionnelles après un refus d’autorisation administrative, et si les agissements reprochés à l’employeur caractérisent un harcèlement moral.

La cour confirme la nullité du licenciement intervenu en violation de la période de protection prévue à l’article L. 2411-7 du code du travail. Elle retient l’existence d’un harcèlement moral au regard de l’ensemble des éléments établis. Elle infirme partiellement le jugement sur le quantum des indemnités allouées.

L’analyse de cette décision conduit à examiner successivement la nullité du licenciement d’un salarié protégé prononcé sans autorisation administrative (I), puis la caractérisation du harcèlement moral dans un contexte de dégradation des relations professionnelles (II).

I. La nullité du licenciement d’un salarié protégé prononcé sans autorisation administrative

Le licenciement d’un candidat aux élections professionnelles sans autorisation de l’inspection du travail méconnaît les règles protectrices du droit du travail (A), et emporte des conséquences indemnitaires spécifiques (B).

A. La méconnaissance des règles protectrices du candidat aux élections

L’article L. 2411-7 du code du travail dispose que « l’autorisation de licenciement est requise pendant six mois pour le candidat, au premier ou au deuxième tour, aux fonctions de membre élu de la délégation du personnel du comité social et économique, à partir de la publication des candidatures ». Le salarié avait déposé sa candidature le 18 février 2020. Sa protection courait donc jusqu’au 18 août 2020.

La cour relève que « le licenciement de M. […] pour faute grave est intervenu le 7 août 2020, sans autorisation de l’inspection du travail, en violation de la période de protection ». L’employeur a délibérément ignoré le refus d’autorisation prononcé le 5 mai 2020, lequel estimait que le comportement reproché au salarié « ne constitue pas une faute d’une gravité suffisante pour justifier son licenciement ».

Cette décision réaffirme le caractère d’ordre public de la protection des candidats aux élections professionnelles. L’employeur ne saurait contourner un refus administratif en procédant unilatéralement au licenciement une fois la procédure protectrice formellement achevée mais pendant que la protection perdure. La sanction est radicale : la nullité du licenciement.

B. Les conséquences indemnitaires de la violation du statut protecteur

La cour rappelle que « la sanction de la méconnaissance par l’employeur du statut protecteur d’un représentant du personnel, illégalement licencié et qui ne demande pas sa réintégration, est la rémunération que le salarié aurait dû percevoir depuis son éviction jusqu’à l’expiration de la période de protection résultant du mandat en cours à la date de la rupture, dans la limite de trente mois ».

Le salarié sollicitait une indemnité de 10 000 euros. La cour lui accorde 4 238,06 euros, correspondant strictement à la rémunération due entre son éviction et la fin de la période de protection, congés payés inclus. Cette limitation traduit une application rigoureuse du principe de réparation intégrale du préjudice sans enrichissement indu.

La décision illustre également l’articulation entre l’indemnité pour violation du statut protecteur et l’indemnité pour licenciement nul. Le salarié obtient 36 000 euros au titre de cette dernière, la cour retenant son ancienneté de trente et un ans, son âge de cinquante-sept ans au moment du licenciement et l’absence de retour à l’emploi. Le plancher légal de six mois de salaire prévu à l’article L. 1235-3-1 du code du travail est ainsi largement dépassé.

La reconnaissance de la nullité du licenciement s’accompagne de la caractérisation d’un harcèlement moral ayant contribué à la dégradation de la situation du salarié.

II. La caractérisation du harcèlement moral dans un contexte de dégradation des relations professionnelles

La cour procède à l’examen méthodique des faits invoqués par le salarié (A), avant d’apprécier les justifications avancées par l’employeur (B).

A. L’établissement de faits laissant présumer l’existence d’un harcèlement

Le salarié invoquait plusieurs éléments : un placement en arrêt de travail pour « état anxieux dépressif lié au travail. Harcèlement moral », une déclaration d’inaptitude limitée à l’entreprise alors qu’il était déclaré apte à occuper un poste similaire ailleurs, une absence de licenciement pour inaptitude pendant plus de quinze mois, et enfin une procédure disciplinaire engagée entre les deux tours des élections.

La cour retient notamment que « le médecin du travail a déclaré que M. […] est inapte à tous les postes de l’entreprise mais qu’il serait apte à occuper un poste similaire dans une autre entreprise d’un autre groupe, ce qui démontre que l’inaptitude est liée à l’environnement de travail du salarié ». Cette formulation inhabituelle de l’avis médical révèle que l’origine de l’inaptitude réside dans les conditions de travail propres à cette entreprise.

La juridiction relève également la production d’une attestation d’un psychologue clinicien du travail indiquant que le salarié « présente tous les symptômes d’une pathologie de la solitude en lien avec une situation de harcèlement moral ». L’ensemble de ces éléments, pris dans leur globalité, permet de présumer l’existence d’un harcèlement au sens de l’article L. 1152-1 du code du travail.

B. L’insuffisance des justifications patronales

L’employeur contestait la réalité du harcèlement en invoquant le caractère tardif des réclamations du salarié et l’absence de corroboration par le médecin du travail. Il soulignait également ses difficultés financières pour justifier l’absence de licenciement pour inaptitude.

La cour écarte ces arguments. Elle observe que le maintien du salaire après l’avis d’inaptitude constitue « une obligation légale pour l’employeur » et non une faveur. L’argument financier ne saurait justifier l’inaction patronale pendant quinze mois. Quant à l’absence de plainte pénale aboutie, l’employeur « ne justifie pas des suites qui ont été données à cette plainte ».

La juridiction conclut que « la société […] ne prouve pas que les agissements retenus ne sont pas constitutifs d’un harcèlement moral et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ». L’indemnisation est toutefois ramenée de 10 000 à 3 000 euros, la cour opérant une appréciation souveraine du préjudice subi.

Cette décision confirme la rigueur avec laquelle les juridictions contrôlent le respect du statut protecteur des salariés candidats aux élections professionnelles. Elle rappelle que le refus administratif de licenciement ne peut être contourné par une nouvelle procédure fondée sur les mêmes faits. La reconnaissance concomitante du harcèlement moral illustre la prise en compte globale des conditions de travail dans l’appréciation de la situation du salarié protégé.

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Hassan KOHEN
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