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Par un arrêt rendu le 26 juin 2025, la cour d’appel de Versailles a statué sur un litige opposant un emprunteur à un établissement bancaire et à une société de cautionnement, à la suite de la déchéance du terme d’un prêt immobilier. Cette décision aborde la question centrale du caractère abusif des clauses d’exigibilité anticipée dans les contrats de crédit conclus avec des consommateurs.
Un particulier avait souscrit, le 19 janvier 2016, un prêt immobilier de 112 500 euros auprès d’une banque, garanti par une caution professionnelle. Des incidents de paiement sont survenus dès 2019. A compter du mois de mars 2020, l’emprunteur a cessé tout remboursement. Il avait sollicité un report des échéances par courrier du 9 avril 2020, invoquant la perte de ses revenus liée à la crise sanitaire. La banque n’a pas donné suite à cette demande. Par lettre recommandée du 16 juillet 2020, elle a mis l’emprunteur en demeure de régler son arriéré sous quinzaine, à défaut de quoi elle se prévaudrait de la clause de déchéance du terme. Cette mise en demeure étant restée sans effet, la caution a réglé la banque le 21 septembre 2020, puis a assigné l’emprunteur en remboursement.
Le tribunal judiciaire de Pontoise, par jugement du 26 avril 2024, a condamné l’emprunteur à payer à la caution la somme de 89 406,79 euros et l’a débouté de l’ensemble de ses demandes à l’encontre de la banque. L’emprunteur a interjeté appel, soutenant principalement que la clause d’exigibilité anticipée était abusive et que la déchéance du terme était irrégulière.
La cour d’appel de Versailles devait déterminer si la clause permettant à la banque de rendre exigibles par anticipation toutes les sommes dues en cas de non-paiement d’une échéance, après une mise en demeure assortie d’un délai de quinze jours, constituait une clause abusive au sens de l’article L. 132-1 du code de la consommation.
La cour a jugé que cette clause « crée un déséquilibre significatif au détriment du consommateur » et doit être réputée non écrite. Elle a déclaré irrégulière la déchéance du terme prononcée sur ce fondement. Elle a néanmoins confirmé la condamnation de l’emprunteur envers la caution et l’a débouté de ses demandes indemnitaires.
La décision présente un intérêt majeur en ce qu’elle consacre le caractère abusif d’une clause d’exigibilité anticipée assortie d’un délai de régularisation de quinze jours (I), tout en en limitant considérablement les effets concrets au profit de l’emprunteur (II).
I. La reconnaissance du caractère abusif de la clause d’exigibilité anticipée
La cour d’appel de Versailles procède à une analyse rigoureuse de la clause litigieuse au regard du droit européen de la consommation (A), avant d’en tirer les conséquences quant à l’irrégularité de la déchéance du terme (B).
A. Une clause créant un déséquilibre significatif au détriment du consommateur
La cour rappelle le cadre juridique applicable, en visant l’article L. 132-1 du code de la consommation dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance du 14 mars 2016. Elle s’appuie sur la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, notamment les arrêts du 26 janvier 2017 et du 8 décembre 2022, ainsi que sur un arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 29 mai 2024.
La clause en cause permettait à la banque de « rendre exigibles par anticipation toutes les sommes dues au titre du prêt, tant en principal qu’en intérêts et accessoires » en cas de « non paiement à bonne date d’une échéance », après une mise en demeure laissant un délai de quinze jours à l’emprunteur.
La cour reconnaît que « l’obligation de l’emprunteur de respecter son engagement de remboursement est une obligation essentielle dans le cadre du rapport contractuel en cause ». Elle admet également la légitimité pour le prêteur de « se prémunir contre le risque d’impayé ». Cette reconnaissance du caractère essentiel de l’obligation de remboursement ancre l’analyse dans les critères dégagés par la jurisprudence européenne.
La cour relève cependant que « la stipulation contractuelle en cause ne laisse à l’emprunteur qu’un délai de quinze jours pour régulariser sa situation en cas d’impayé(s), sans distinction selon la gravité du manquement ». Elle souligne que « la décision de mettre en oeuvre le mécanisme de l’exigibilité anticipée dépend exclusivement du bon vouloir de la banque et que la sanction appliquée présente un caractère automatique, puisqu’il n’est pas prévu que l’emprunteur puisse remédier à ses effets une fois ceux-ci acquis ».
La combinaison de ces éléments caractérise, selon la cour, « un déséquilibre significatif au détriment du consommateur ». L’absence de proportionnalité entre le manquement et la sanction, jointe à l’impossibilité pour le consommateur de remédier aux effets de la déchéance une fois celle-ci acquise, justifie la qualification de clause abusive.
B. L’inopposabilité de la déchéance du terme à l’emprunteur
La cour tire les conséquences de la qualification retenue. Elle affirme que « dès lors qu’une clause est abusive, elle est réputée non écrite, peu importe qu’elle ait été ou non appliquée et de quelle manière elle l’a été, et le juge doit l’écarter ». Cette solution est conforme à la jurisprudence constante selon laquelle le caractère abusif s’apprécie in abstracto, indépendamment des circonstances de mise en oeuvre.
La banque tentait de faire valoir qu’elle n’avait pas fait un usage arbitraire ou systématique de la clause. La cour rejette cet argument, confirmant que l’appréciation du caractère abusif ne dépend pas des modalités concrètes d’application.
La banque invoquait également la possibilité de résoudre unilatéralement le contrat sur le fondement de l’article 1226 du code civil. La cour écarte ce moyen en relevant que « la banque n’a pas fait usage de ce mécanisme, mais a expressément notifié à l’emprunteur qu’à défaut de règlement sous quinzaine de son arriéré, elle se prévaudrait de la clause de déchéance du terme prévue au contrat ». Elle ajoute que l’établissement « n’est donc pas fondé, pour tenter de contourner la sanction attachée à la reconnaissance du caractère abusif de la clause qu’il a appliquée, à invoquer, a posteriori, un fondement différent ».
La cour précise en outre que « l’application du mécanisme prévu désormais à l’article 1226 du code civil suppose que soit indiqué, dans la mise en demeure faite au débiteur, un délai raisonnable pour s’exécuter ». Elle constate que « le délai de quinze jours imparti à M. [B] ne constituait pas un délai suffisant ».
La cour conclut que « le constat que la clause d’exigibilité immédiate pour défaut de paiement qui figure au contrat de prêt est une clause abusive suffit à rendre irrégulière la déchéance du terme prononcée par la banque, puisque la clause qui la prévoit ne peut pas s’appliquer ».
II. Les effets limités de l’irrégularité de la déchéance du terme
Malgré la reconnaissance du caractère abusif de la clause, la cour refuse de remettre en cause les conséquences pratiques de la déchéance du terme. L’autonomie du recours de la caution protège cette dernière des exceptions opposables au créancier (A), tandis que l’emprunteur échoue à démontrer un préjudice indemnisable (B).
A. L’inopposabilité des exceptions à la caution exerçant son recours personnel
La cour rappelle que la caution « exerce à l’encontre de M. [B] le recours personnel que la caution tient de l’article 2305 du code civil ». Elle en déduit que « l’emprunteur ne peut opposer à la caution qui a payé la dette et qui exerce le recours personnel qu’elle tient de ce texte les contestations qu’il aurait pu faire valoir contre le créancier d’origine ».
Cette solution découle de la nature même du recours personnel, distinct du recours subrogatoire. Le recours de l’article 2305 du code civil trouve son fondement dans le paiement effectué par la caution, et non dans les droits du créancier originel. L’emprunteur ne peut donc opposer à la caution ni le caractère abusif de la clause, ni l’irrégularité de la déchéance du terme.
La cour précise que « la perte éventuelle par la caution de son droit à recours contre le débiteur principal ne peut être soutenue que sur un unique fondement, à savoir l’article 2308 alinéa 2 du code civil ». Ce texte prive la caution de son recours lorsqu’elle a payé sans être poursuivie et sans avertir le débiteur, si ce dernier disposait au moment du paiement de moyens pour faire déclarer la dette éteinte.
La cour constate que l’emprunteur « ne fait pas la preuve que, au moment du paiement, il disposait d’un moyen pour faire déclarer sa dette éteinte, totalement ou partiellement ». Elle souligne que « sa contestation de la validité ou de la régularité de la déchéance du terme ne concerne que l’exigibilité de la créance, sans affecter son existence ».
L’emprunteur demandait également la condamnation de la caution à lui restituer les sommes versées depuis décembre 2020. La cour rejette cette prétention en relevant que la mise en cause de la banque « ne permet pas au débiteur de s’immiscer dans les relations contractuelles entre la caution et le créancier bénéficiaire du cautionnement pour demander à la cour de juger indu le paiement fait par l’une à l’autre et de prononcer en conséquence des condamnations à remboursement ».
B. L’absence de préjudice indemnisable malgré la faute de la banque
La cour reconnaît que « la déchéance du terme du prêt prononcée par la banque était irrégulière ». Cette irrégularité constitue un manquement contractuel susceptible d’engager la responsabilité de l’établissement de crédit. L’emprunteur sollicitait la réparation d’un préjudice financier et d’un préjudice moral.
Concernant le préjudice financier, l’emprunteur demandait une indemnisation équivalente au montant de la condamnation prononcée au profit de la caution. La cour observe que l’intéressé « règle entre les mains de Crédit Logement, depuis la délivrance de l’assignation, la somme mensuelle de 739,59 euros, qui correspond au montant des échéances de remboursement de son ancien contrat de prêt ». Elle en déduit qu’il « ne fait pas la démonstration qu’il subit, effectivement, un préjudice financier résultant d’une telle situation ».
La cour précise qu’« il conviendrait, par exemple, qu’il justifie, calculs à l’appui, que les conditions dans lesquelles il a remboursé Crédit Logement durant toutes ces années sont objectivement plus défavorables que celles dans lesquelles il remboursait son prêt ». Elle refuse de se substituer à l’emprunteur dans cette démonstration.
L’emprunteur invoquait également son inscription au fichier des incidents de remboursement des crédits aux particuliers. La cour relève qu’« il ne produit aucun justificatif en ce sens ». Elle écarte le préjudice moral allégué, qui « ne procède, au vu des éléments soumis à l’appréciation de la cour, que de sa propre affirmation ».
La cour refuse enfin la remise en place du prêt. Elle constate que « le prêt consenti à M. [B] a été soldé par la caution, postérieurement à la déchéance du terme ». Elle en conclut que « le prêt étant du fait de ce paiement définitivement éteint, M. [B] ne peut pas obtenir sa remise en place, quand bien même l’exigibilité immédiate du prêt aurait été prononcée irrégulièrement ».
Cette solution illustre la portée limitée de la sanction des clauses abusives lorsque les effets du contrat se sont déjà pleinement réalisés. La reconnaissance du caractère abusif intervient ici à titre déclaratoire, sans modifier la situation patrimoniale des parties. L’emprunteur demeure tenu de rembourser la caution qui a payé en ses lieu et place, indépendamment de l’irrégularité de la déchéance du terme à l’origine de ce paiement.