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La question de l’articulation entre la protection des représentants syndicaux et le pouvoir disciplinaire de l’employeur constitue un enjeu majeur du droit du travail contemporain. La cour d’appel de Versailles, dans un arrêt du 28 juillet 2025, apporte un éclairage significatif sur cette problématique en tranchant un litige opposant un salarié licencié pour faute grave à son employeur, une société de transport de voyageurs par taxis.
Un salarié avait été engagé le 28 septembre 2015 en qualité de chargé suivi qualité, puis exerçait en dernier lieu les fonctions de chargé de qualité réseau. Le 15 octobre 2020, l’employeur lui adressait une convocation à un entretien préalable à un éventuel licenciement. Le même jour, un syndicat désignait ce salarié en qualité de représentant de section syndicale, cette désignation n’étant toutefois reçue par l’employeur que le 22 octobre 2020. Par courrier du 4 novembre 2020, le salarié se voyait notifier son licenciement pour faute grave, fondé sur un dénigrement de la direction, des comportements irrespectueux envers ses collègues et des négligences fautives dans l’exécution de ses missions.
Le salarié saisissait le conseil de prud’hommes de Nanterre aux fins de voir prononcer la nullité de son licenciement pour violation du statut protecteur et discrimination syndicale, subsidiairement pour voir reconnaître l’absence de cause réelle et sérieuse. Le conseil de prud’hommes le déboutait de l’ensemble de ses demandes par jugement du 28 septembre 2022. Le salarié interjetait appel de cette décision.
Devant la cour d’appel, le salarié soutenait que son employeur avait eu connaissance de l’imminence de sa désignation syndicale avant l’envoi de la convocation à l’entretien préalable, ce qui aurait dû conduire à solliciter l’autorisation de l’inspecteur du travail. Il invoquait également une discrimination syndicale, estimant que la chronologie des événements révélait le caractère fallacieux du motif disciplinaire invoqué. L’employeur rétorquait n’avoir eu connaissance de la désignation que le 22 octobre 2020, soit postérieurement à l’envoi de la convocation, et soutenait que les griefs disciplinaires étaient établis par des témoignages circonstanciés de salariés du service.
La cour devait ainsi répondre à la question de savoir si le licenciement d’un salarié convoqué à un entretien préalable le jour même de sa désignation syndicale, mais dont l’employeur n’a eu connaissance qu’ultérieurement, encourt la nullité pour violation du statut protecteur ou pour discrimination syndicale, et si, à défaut, les faits reprochés caractérisent une faute grave.
La cour d’appel de Versailles confirme le jugement entrepris dans son intégralité. Elle juge que « lors de l’envoi de la convocation à l’entretien préalable de licenciement, l’employeur n’avait pas connaissance du statut protecteur du salarié » et que ce dernier « ne produit aucune pièce de nature à le démontrer ». Elle retient en outre que le salarié « ne présente pas de faits laissant supposer l’existence d’une discrimination syndicale ». Sur le terrain disciplinaire, la cour considère que « l’employeur apporte la preuve du comportement fautif dénigrant et irrespectueux du salarié », caractérisant « une impossibilité de maintenir le contrat de travail durant le préavis ».
L’examen de cet arrêt conduit à analyser successivement l’appréciation stricte des conditions de la protection syndicale par la cour (I), puis la caractérisation de la faute grave justifiant la rupture immédiate du contrat de travail (II).
I. L’appréciation stricte des conditions de la protection syndicale
La cour d’appel de Versailles procède à une analyse rigoureuse des conditions requises pour bénéficier de la protection attachée au mandat de représentant de section syndicale. Elle rejette tant l’argument tiré de la violation du statut protecteur (A) que celui fondé sur la discrimination syndicale (B).
A. Le rejet de la nullité pour violation du statut protecteur
La cour rappelle le principe selon lequel « la qualité de salarié protégé s’apprécie à la date de l’envoi par l’employeur de la convocation à l’entretien préalable au licenciement », citant expressément un arrêt de la chambre sociale de la Cour de cassation du 31 janvier 2024. Cette règle constitue le pivot de l’analyse effectuée par la juridiction versaillaise.
En l’espèce, la cour relève que « le salarié a été convoqué à l’entretien préalable au licenciement par lettre recommandée avec accusé de réception du 15 octobre 2020 déposée au bureau de poste le 15 octobre à 10h34 », tandis que la désignation syndicale n’a été « reçue le 22 octobre 2020 par l’employeur contre signature ». Cette concomitance apparente entre la convocation et la désignation ne suffit pas à établir la connaissance de l’employeur.
Le salarié tentait de démontrer que l’employeur avait connaissance de « l’imminence » de sa désignation, ce qui aurait suffi à déclencher la protection. La cour écarte cet argument en relevant que le salarié « ne produit aucune pièce de nature à le démontrer ». Elle analyse notamment un courriel du syndicat du 26 octobre 2020 énonçant espérer que « le bruit de la constitution d’une section syndicale » n’était pas à l’origine de la convocation. Ce document est jugé insuffisant car il « n’établit pas la preuve de la connaissance par l’employeur de l’imminence de la désignation ».
La cour note enfin que l’inspection du travail, saisie par le salarié, avait sollicité des justificatifs auprès de l’employeur le 2 décembre 2020, avait reçu une réponse le 4 décembre et en avait accusé réception le 8 décembre « sans y donner de suite ». Cette absence de réaction de l’autorité administrative conforte implicitement l’analyse de la cour sur l’absence de violation du statut protecteur.
B. Le rejet de la nullité pour discrimination syndicale
Le salarié invoquait subsidiairement une discrimination syndicale, soutenant avoir été licencié « en représailles de l’imminence de sa désignation ». La cour applique le mécanisme probatoire prévu par l’article L. 1134-1 du code du travail, selon lequel le salarié doit d’abord présenter des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination.
La cour constate que le salarié ne démontre par « aucune pièce qu’il était très investi dans le dialogue social de l’entreprise » ni « qu’il saisissait régulièrement les instances représentatives du personnel ». Elle relève également qu’il n’établit pas que « l’employeur était informé de ce qu’il souhaitait s’engager aux côtés du syndicat ». Le courrier de contestation du licenciement du 16 novembre 2020, invoqué par le salarié, est écarté car rédigé « postérieurement à son licenciement ».
La cour rappelle que « la procédure a été initiée le 15 octobre 2020 pour faute grave avant la connaissance par l’employeur de sa désignation ». Cette antériorité de la procédure disciplinaire constitue un élément déterminant pour écarter le grief de discrimination. Le salarié ne parvient pas à établir un lien entre son engagement syndical et la décision de l’employeur de le licencier.
La conclusion de la cour est sans équivoque : « le salarié ne présente pas de faits laissant supposer l’existence d’une discrimination syndicale ». L’absence de présentation d’éléments suffisants au premier stade du raisonnement probatoire dispense l’employeur de justifier ses décisions par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.
II. La caractérisation de la faute grave justifiant la rupture immédiate
Après avoir écarté les demandes de nullité, la cour examine le bien-fondé du licenciement pour faute grave. Elle procède à une analyse circonstanciée des griefs invoqués (A) et en déduit l’impossibilité de maintenir le salarié dans l’entreprise (B).
A. L’établissement des manquements du salarié par des témoignages concordants
La cour relève que « l’entretien individuel de M. [K] du 18 juin 2020 ne justifie pas de l’alerte qui lui aurait été donnée » au titre de son comportement, ses compétences relationnelles ayant même été notées à un niveau « supérieur aux attentes ». Cette observation aurait pu fragiliser la thèse de l’employeur. Toutefois, la cour retient que « l’employeur établit l’existence de fautes commises postérieurement à cet entretien ».
La preuve repose sur « les comptes-rendus d’entretiens de trois salariés travaillant dans le service », datés des 23 et 24 septembre 2020. Une salariée relate « l’attitude négative et le dénigrement adoptés » par le salarié ainsi que « des propos inadaptés qu’il a tenus au mois d’août 2020 », précisant avoir été « atterrée » de ces propos. Un autre collègue confirme ces éléments « dans les mêmes termes et sur la même période », évoquant « l’ambiance pesante et le discours très négatif » du salarié. Il cite un fait précis survenu le 23 septembre 2020. Un troisième salarié « décrit également le dénigrement de la direction » dans des termes similaires.
La cour qualifie ces témoignages de « circonstanciés » et de « signés par trois salariés du service ». Elle en déduit que « l’employeur apporte la preuve du comportement fautif dénigrant et irrespectueux du salarié à l’égard de la direction et de ses collègues ». La concordance des témoignages et leur précision factuelle emportent la conviction de la juridiction.
Le salarié avait produit des attestations en défense. La cour les écarte en considérant qu’elles « ne permettent pas de remettre en cause les faits circonstanciés dénoncés par trois salariés de son équipe ». Cette appréciation souveraine des éléments de preuve illustre la prépondérance accordée aux témoignages directs et contemporains des faits.
B. La qualification de faute grave rendant impossible le maintien du contrat
La cour rappelle que « la faute grave est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise et qui justifie la rupture immédiate de son contrat de travail, sans préavis ». Elle précise que « la charge de la preuve pèse sur l’employeur ».
Les manquements retenus sont qualifiés d’atteinte à « son obligation de loyauté à l’égard de son employeur et de respect vis-à-vis des personnes de son équipe ». La cour considère que ces comportements sont « incompatibles avec ses fonctions de chargé de service qualité », soulignant ainsi l’inadéquation entre la nature des fautes et les responsabilités exercées par le salarié.
La cour caractérise expressément « une impossibilité de maintenir le contrat de travail durant le préavis ». Cette formulation reprend la définition jurisprudentielle de la faute grave. Elle révèle que la gravité des faits ne tient pas seulement à leur nature intrinsèque mais également à leurs conséquences sur le fonctionnement du service.
Le salarié arguait de l’absence de mise à pied conservatoire pour contester la qualification de faute grave. La cour écarte cet argument en jugeant que cette absence « ne permet pas de retirer aux faits leur caractère fautif ». Cette position confirme la jurisprudence constante selon laquelle la mise à pied conservatoire ne constitue pas une condition de validité du licenciement pour faute grave.
La cour précise statuer « sur le fondement de ces seuls motifs, sans qu’il soit nécessaire d’examiner le surplus des griefs ». Cette économie de moyens traduit la suffisance des manquements relationnels pour caractériser la faute grave, sans qu’il soit besoin d’examiner les négligences professionnelles également reprochées.