Cour d’appel de Versailles, le 3 juillet 2025, n°22/03606

Par un arrêt réputé contradictoire du 3 juillet 2025, la chambre sociale 4-2 de la Cour d’appel de Versailles s’est prononcée sur la validité d’une rupture conventionnelle signée par une salariée en arrêt maladie et sur les conséquences des manquements de l’employeur à ses obligations contractuelles.

Une salariée avait été engagée le 18 juin 2019 en qualité d’assistante administrative par une société du secteur du bâtiment. Après un contrat à durée déterminée transformé en contrat à durée indéterminée le 4 juin 2020, une rupture conventionnelle fut signée le 24 décembre 2020, mettant fin au contrat le 5 février 2021. La salariée se trouvait alors en arrêt de travail pour « burn out » depuis le 28 décembre 2020.

La salariée saisit le conseil de prud’hommes de Montmorency de demandes en rappel de salaires pour janvier et février 2021, en paiement d’heures supplémentaires, en dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail ainsi qu’en annulation de la rupture conventionnelle qu’elle entendait voir requalifiée en licenciement sans cause réelle et sérieuse. Par jugement du 15 novembre 2022, le conseil de prud’hommes la débouta de l’intégralité de ses prétentions.

En cause d’appel, la salariée soutenait que son consentement à la rupture conventionnelle avait été vicié par la contrainte résultant de la dégradation de ses conditions de travail. Elle invoquait plusieurs manquements de l’employeur : travail demandé pendant une période d’activité partielle, heures supplémentaires non rémunérées, travail effectué pour le compte d’autres sociétés, défaut de paiement du maintien de salaire durant l’arrêt maladie.

La Cour d’appel de Versailles devait répondre à deux questions principales. Elle devait d’abord déterminer si les manquements de l’employeur à ses obligations contractuelles caractérisaient une exécution déloyale du contrat de travail. Elle devait ensuite rechercher si ces mêmes manquements constituaient une contrainte de nature à vicier le consentement de la salariée à la rupture conventionnelle.

La cour infirme partiellement le jugement. Elle condamne l’employeur au paiement des rappels de salaires, des heures supplémentaires et de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat. Elle confirme toutefois la validité de la rupture conventionnelle en retenant que les manquements de l’employeur, s’ils expliquent la volonté de la salariée de rompre le contrat, ne constituent pas une contrainte au sens de l’article 1140 du code civil.

La solution de la Cour d’appel de Versailles mérite d’être analysée tant au regard de la caractérisation de l’exécution déloyale du contrat de travail (I) que de l’appréciation du consentement à la rupture conventionnelle (II).

I. La caractérisation de l’exécution déloyale du contrat de travail

La cour retient plusieurs manquements de l’employeur à ses obligations (A) avant de déterminer l’étendue de la réparation due à la salariée (B).

A. La pluralité des manquements de l’employeur

L’article L. 1222-1 du code du travail impose que « le contrat de travail est exécuté de bonne foi ». Cette obligation pèse sur les deux parties mais trouve une application particulière à l’égard de l’employeur en raison du lien de subordination.

La cour relève d’abord que la salariée « a été placée en activité partielle durant une partie du mois de mars 2020, tout le mois d’avril 2020, une partie des mois de mai et juin 2020 » tout en ayant « échangé des messages à but professionnel avec son employeur durant les mois d’avril, mai et juin 2020 ». Elle en déduit qu’il « est ainsi établi que son employeur l’a fait travailler à tout le moins en avril 2020 pendant une période où elle ne devait pas être employée ». Ce premier manquement est particulièrement grave car le dispositif d’activité partielle repose sur la suspension du contrat de travail en contrepartie d’une prise en charge par l’État. Faire travailler un salarié pendant cette période constitue une fraude au dispositif et une violation caractérisée des obligations contractuelles.

La cour constate ensuite le défaut de paiement des heures supplémentaires et du maintien de salaire conventionnel durant l’arrêt maladie. Elle souligne également que la salariée « a travaillé au profit de son employeur mais également de la société Easy Renov », ce qui révèle une confusion des structures préjudiciable à la salariée.

La multiplicité et la gravité de ces manquements conduisent logiquement la cour à reconnaître l’exécution déloyale du contrat de travail.

B. La détermination de la réparation du préjudice

La salariée sollicitait 10 000 euros de dommages et intérêts. La cour ne lui accorde que 1 500 euros. Cette modération appelle plusieurs observations.

Le préjudice résultant de l’exécution déloyale doit être apprécié distinctement des créances salariales. La salariée obtient par ailleurs le paiement des rappels de salaires et des heures supplémentaires qui réparent le préjudice financier direct. Les dommages et intérêts pour exécution déloyale visent à réparer un préjudice distinct, notamment moral.

La cour retient que la salariée « a été placée en arrêt de travail pour maladie par son médecin traitant le 28 décembre 2020 pour ‘burn out’ ». Ce lien entre les manquements de l’employeur et l’état de santé de la salariée justifie une indemnisation. La somme allouée reste néanmoins mesurée au regard des circonstances.

Cette appréciation souveraine des juges du fond traduit une recherche d’équilibre entre la sanction des manquements de l’employeur et l’évaluation concrète du préjudice subi. Elle témoigne de la difficulté à quantifier un préjudice largement moral résultant de conditions de travail dégradées.

II. L’appréciation du consentement à la rupture conventionnelle

La cour distingue l’existence d’un différend préalable, qui n’affecte pas la validité de la rupture (A), de l’exigence d’une contrainte au sens du droit civil pour caractériser un vice du consentement (B).

A. Le différend préalable sans incidence sur la validité

La rupture conventionnelle prévue par l’article L. 1237-11 du code du travail « ne peut être imposée par l’une ou l’autre des parties » et « est soumise aux dispositions […] destinées à garantir la liberté du consentement des parties ».

La cour rappelle un principe jurisprudentiel bien établi : « l’existence, au moment de sa conclusion, d’un différend entre les parties au contrat de travail n’affecte pas par elle-même la validité de la convention ». Cette solution résulte d’une jurisprudence constante de la Cour de cassation qui refuse de présumer que tout différend altère nécessairement le consentement du salarié.

De même, « le fait que le salarié se trouve en arrêt de travail pour maladie lors de la signature de la convention de rupture » n’emporte pas nullité. Cette position se justifie par le refus d’une présomption d’incapacité liée à la maladie. Le salarié malade conserve sa capacité juridique et peut valablement consentir à une rupture conventionnelle.

La cour note que les manquements de l’employeur « constituaient une source de différend entre les parties et expliquent la volonté de la salariée de mettre fin au contrat de travail ». Cette motivation éclaire utilement la distinction entre les raisons qui poussent un salarié à accepter une rupture conventionnelle et les vices qui affecteraient son consentement.

B. L’exigence d’une contrainte caractérisée

La cour applique l’article 1140 du code civil qui définit la violence comme le fait pour « une partie » de s’engager « sous la pression d’une contrainte qui lui inspire la crainte d’exposer sa personne, sa fortune ou celle de ses proches à un mal considérable ».

Elle constate que la salariée « ne démontre pas qu’elle a été soumise à une contrainte pour signer une rupture conventionnelle ». L’arrêt cite un courrier de la salariée du 11 février 2021 dans lequel elle présentait la rupture conventionnelle comme « l’aboutissement d’une trop grande charge de travail » et d’une « trop grosse pression ». La cour en déduit que si ces éléments expliquent la décision de la salariée, ils ne caractérisent pas une contrainte au sens juridique.

Cette analyse distingue la pression économique ou psychologique générale résultant de conditions de travail difficiles de la contrainte spécifique exercée pour obtenir la signature du document. Le salarié qui signe une rupture conventionnelle pour échapper à une situation professionnelle pénible agit certes sous l’empire d’une motivation contrainte, mais son consentement à l’acte lui-même reste libre dès lors qu’aucune pression directe n’a été exercée pour l’obtenir.

La cour précise que la salariée « ne démontre pas que son employeur a fait pression sur elle pour qu’elle accepte une rupture conventionnelle et qu’elle a signé le document sous la contrainte ». Cette formulation souligne que le vice du consentement doit porter sur l’acte lui-même et non sur les circonstances générales qui l’entourent.

Cette solution présente l’avantage de la clarté mais suscite des interrogations. Elle conduit à valider une rupture conventionnelle quand bien même le salarié n’a accepté que pour fuir une situation créée par les manquements de l’employeur. La frontière entre le différend qui motive la rupture et la contrainte qui la vicie apparaît délicate à tracer. La jurisprudence exige une pression directement exercée en vue d’obtenir la signature, ce qui limite considérablement les cas d’annulation. Cette exigence protège la sécurité juridique des ruptures conventionnelles mais peut laisser sans remède approprié le salarié contraint de partir par l’accumulation des manquements de son employeur.

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Hassan KOHEN
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