Cour d’appel de Versailles, le 3 juillet 2025, n°22/03612

La cour d’appel de Versailles, chambre sociale, a statué le 3 juillet 2025 sur un licenciement disciplinaire prononcé pour faute grave. L’affaire concerne une technicienne d’un prestataire médico-technique, soumise à des astreintes et utilisatrice d’un véhicule professionnel. La question centrale tient à la qualification d’un faisceau de manquements allégués et à l’impossibilité corrélative de maintien du contrat.

Engagée en 2017 et transférée au 1er janvier 2020, la salariée intervenait à domicile pour l’installation, la maintenance et la permanence d’astreinte. L’employeur a notifié, après mise à pied conservatoire, un licenciement pour faute grave articulé en cinq griefs, portant notamment sur un refus d’intervention en astreinte, des propos déplacés, des dénigrements et une consommation d’alcool dans le véhicule. Le conseil de prud’hommes de Cergy-Pontoise, le 16 novembre 2022, a retenu la faute grave et débouté la salariée. En appel, l’intéressée contestait la matérialité, la gravité, la preuve ou la recevabilité de certains faits, tandis que l’employeur sollicitait confirmation en invoquant l’atteinte au service dû aux patients.

La juridiction d’appel confirme la qualification de faute grave, après avoir écarté deux griefs insuffisamment datés ou neutralisés par le contexte, et retenu trois manquements jugés décisifs. L’analyse appelle d’abord la restitution du cadre juridique et de sa mise en œuvre, puis l’appréciation in concreto des griefs et la portée de la décision.

I. Le cadre juridique retenu et sa mise en œuvre

A. Les critères de la cause et de la faute grave

La cour rappelle d’abord le socle légal du licenciement pour motif personnel. Elle énonce que « Il résulte de l’article L. 1232-1 du code du travail que tout licenciement pour motif personnel est motivé et justifié par une cause réelle et sérieuse ». Elle précise le moment d’appréciation et l’exigence d’objectivation, en retenant que « La cause du licenciement, qui s’apprécie au jour où la décision de rompre le contrat de travail est prise par l’employeur, doit se rapporter à des faits objectifs, existants et exacts ».

La définition opératoire de la faute grave est ensuite posée dans des termes classiques. La cour indique que « La faute grave est celle qui résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise et justifie son départ immédiat ». La charge et le standard de preuve sont rappelés sans ambages.

La méthode probatoire est complétée par le rappel de l’office du juge et du principe du doute. La décision souligne que, « S’agissant du licenciement pour cause réelle et sérieuse, […] le juge […] forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties ». Et elle ajoute : « Si un doute subsiste, il profite au salarié ». L’articulation entre cause réelle et sérieuse et faute grave est ainsi posée avec rigueur.

B. La portée de la lettre de licenciement et l’économie du litige

La cour retient une règle structurante du contentieux disciplinaire : « La lettre de licenciement fixe les limites du litige en ce qui concerne les motifs du licenciement ». L’office de la cour s’ordonne donc autour des griefs formellement articulés, dont la validité dépend à la fois de leur réalité, de leur imputabilité et, le cas échéant, de leur recevabilité temporelle.

Cette borne contentieuse s’accompagne d’un contrôle des sources de preuve et de leur datation. Pour le grief non daté relatif aux échanges avec un prescripteur, la cour applique la prescription disciplinaire, relevant que « Le délai de deux mois court à compter de la date de convocation à l’entretien préalable », puis que « Il appartient à l’employeur de prouver que les faits ont eu lieu moins de deux mois avant le déclenchement des poursuites disciplinaires ». La méthode conduit à ne pas tenir compte d’un grief lorsque l’employeur n’apporte pas la démonstration temporelle requise.

II. L’appréciation in concreto des griefs et la portée de la décision

A. Les manquements caractérisés et l’impossibilité de maintien

Trois manquements ont été retenus. D’abord, le refus d’exécuter une intervention en astreinte, accompagné d’un comportement inadapté envers une patiente, est jugé établi au regard des éléments produits et de leur cohérence. La cour s’attache à la finalité des astreintes, au besoin de continuité du service aux patients et au rôle de la salariée dans la chaîne d’assistance.

Ensuite, des propos dénigrants envers une collègue, versés au débat, caractérisent une atteinte à la qualité des relations de travail. L’atteinte à la courtoisie et au respect minimal rejaillit sur l’organisation et l’ambiance du service, dans un contexte d’équipe restreinte et de missions sensibles.

Enfin, la consommation d’alcool dans le véhicule professionnel est retenue comme un manquement autonome. Le raisonnement évite toute surenchère probatoire, la cour précisant que « Or, il ne lui est pas reproché d’avoir conduit en étant alcoolisée mais d’avoir consommé de l’alcool en se trouvant à l’intérieur de son véhicule professionnel ». La restriction d’usage du véhicule à des fins exclusivement professionnelles renforce la gravité du fait.

Au terme de ce faisceau, la cour formule la conséquence normative de ces constatations : « La salariée a ainsi commis un ensemble de faits qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rendait impossible son maintien dans l’entreprise et justifiait son départ immédiat, sans préavis ni indemnités ». La solution s’inscrit dans une logique cumulative et fonctionnelle, privilégiant l’exigence de sécurité et de continuité du service.

B. Les limites posées par la preuve et la prescription

Deux griefs sont écartés, ce qui manifeste un contrôle effectif et nuancé. Le grief relatif à un langage inapproprié envers la hiérarchie est neutralisé au regard d’un contexte relationnel familier et réciproque, documenté par les échanges versés. La cour refuse d’extraire des expressions isolées de leur trame communicationnelle, lorsque l’autorité hiérarchique n’a pas elle-même exprimé de trouble ou de remontrance contemporains.

Le grief se rapportant à un prescripteur est quant à lui écarté pour des raisons de recevabilité temporelle. La cour constate que « En l’espèce, la lettre de licenciement ne mentionne pas la date à laquelle s’est produit le fait reproché ». Et elle en déduit, par application stricte de la règle, que « En conséquence, faute pour l’employeur de démontrer que les faits se sont déroulés moins de deux mois avant la convocation à l’entretien préalable, il ne peut être tenu compte de ce grief ». Le message est clair : l’exactitude et la datation des faits conditionnent la validité disciplinaire.

L’arrêt combine ainsi fermeté sur les obligations essentielles et vigilance quant aux exigences probatoires. La confirmation de la faute grave tient à l’importance des missions en astreinte, à la protection des patients et à la sécurité liée au véhicule, sans sacrifier les garanties procédurales ni l’examen circonstancié de chaque grief.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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