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Par un arrêt rendu le 3 juillet 2025, la chambre sociale 4-6 de la cour d’appel de Versailles s’est prononcée sur les effets d’une prise d’acte de rupture du contrat de travail par un salarié victime d’un accident du travail. Cette décision intéresse les conditions dans lesquelles un employeur peut être tenu pour responsable au titre de son obligation de sécurité et les conséquences de cette appréciation sur la qualification de la rupture.
Un salarié avait été engagé en qualité de préparateur-livreur drive selon contrat à durée indéterminée à temps partiel à effet au 13 février 2018. Le 24 juin 2018, il fut victime d’un accident du travail survenu alors qu’il tentait d’ouvrir un rideau automatique en passant sa main au travers pour actionner le bouton d’ouverture, son badge étant défaillant. Cet accident occasionna une fracture multiple du bras et entraîna un arrêt de travail prolongé jusqu’au 31 décembre 2020.
Le 29 décembre 2020, le salarié prit acte de la rupture de son contrat de travail aux torts de l’employeur. Il saisit le conseil de prud’hommes d’Argenteuil le 23 juillet 2021, lequel se déclara incompétent au profit du conseil de prud’hommes de Montmorency. Par jugement du 12 mars 2023, cette juridiction jugea que l’accident n’était pas imputable à l’employeur, que celui-ci avait exécuté le contrat de bonne foi et que la prise d’acte produisait les effets d’une démission.
Le salarié interjeta appel en soutenant que l’employeur avait manqué à son obligation de sécurité dès lors que la pratique consistant à ouvrir le rideau de l’extérieur était courante et connue. Il reprochait également à l’employeur de ne pas avoir proposé de poste adapté aux préconisations du médecin du travail. L’employeur opposait la prescription de la demande et contestait tout manquement.
La question posée à la cour était de déterminer si les manquements allégués par le salarié étaient de nature à justifier que sa prise d’acte produise les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
La cour d’appel de Versailles confirma le jugement en jugeant que « il n’est pas établi que l’employeur a eu connaissance du dysfonctionnement du badge du salarié, ni qu’il ait été informé de cette pratique ayant conduit à l’accident ». Elle ajouta que la demande de dommages-intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité était prescrite et que la prise d’acte produisait les effets d’une démission.
Cette décision invite à examiner successivement l’appréciation des manquements de l’employeur à son obligation de sécurité (I), puis les conséquences de cette appréciation sur la qualification de la prise d’acte (II).
I. L’appréciation restrictive du manquement à l’obligation de sécurité
La cour retient une conception exigeante de la preuve du manquement de l’employeur (A) tout en appliquant strictement le délai de prescription biennale (B).
A. L’exigence de la connaissance effective du risque par l’employeur
La cour rappelle qu’en vertu des articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail, « l’employeur est tenu à l’égard de son salarié d’une obligation de sécurité dont il doit assurer l’effectivité ». Cette formulation reprend la jurisprudence constante de la Cour de cassation qui impose à l’employeur de prendre toutes les mesures nécessaires pour protéger la santé physique et mentale des travailleurs.
Le salarié soutenait que la survenance de l’accident sur le lieu et pendant le temps de travail suffisait à établir la faute de l’employeur. Il arguait que la pratique consistant à ouvrir le rideau en passant la main au travers « constituait une pratique courante au sein de la société ». Le rapport d’enquête confirmait d’ailleurs que « cette technique d’ouvrir le rideau était une pratique courante au sein des employés du drive ».
La cour écarte cette argumentation en relevant qu’il « n’est pas établi que l’employeur a eu connaissance du dysfonctionnement du badge du salarié, ni qu’il ait été informé de cette pratique ». Elle souligne que « l’utilisation d’un badge avait été mis en place par l’employeur pour assurer le lever du rideau » et que « le mode opératoire pour ouvrir le rideau n’a pas été respecté par le salarié ».
Cette motivation traduit un glissement de l’obligation de sécurité de résultat vers une obligation de moyens renforcée. La cour ne se contente pas de constater l’existence d’un dispositif de sécurité. Elle exige la démonstration que l’employeur avait connaissance du risque pour retenir sa responsabilité. Cette approche s’inscrit dans l’évolution jurisprudentielle initiée par les arrêts Air France du 25 novembre 2015 qui ont admis que l’employeur pouvait s’exonérer en justifiant avoir pris les mesures de prévention nécessaires.
B. L’application rigoureuse de la prescription biennale
La cour ajoute au jugement en déclarant prescrite la demande de dommages-intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité. Elle vise l’article L. 1471-1 alinéa premier du code du travail qui dispose que « toute action portant sur l’exécution du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer son droit ».
L’accident s’était produit le 24 juin 2018 et le conseil de prud’hommes avait été saisi le 23 juillet 2021. Le délai de deux ans était donc dépassé de plus d’un an. La cour relève que « force est de constater que la demande de dommages-intérêts du salarié pour manquement à l’obligation de sécurité est en tout état de cause prescrite ».
Cette solution soulève une difficulté. Le salarié était en arrêt de travail continu depuis l’accident jusqu’au 31 décembre 2020. La question du point de départ de la prescription pouvait se poser différemment si l’on considérait que le dommage s’était révélé progressivement ou que le salarié n’avait pu agir pendant la période de suspension du contrat. La cour ne discute pas cette question et retient la date de l’accident comme point de départ du délai.
Cette rigueur dans l’application de la prescription renforce la sécurité juridique pour l’employeur. Elle contraint le salarié à agir rapidement même lorsque son état de santé ne lui permet pas d’apprécier immédiatement l’ensemble des manquements reprochables.
II. Les effets de la prise d’acte en l’absence de manquement établi
L’absence de manquement à l’obligation de sécurité prive la prise d’acte de fondement (A) et la requalification en démission emporte des conséquences défavorables pour le salarié (B).
A. Le rejet du grief tiré du défaut de reclassement
Le salarié soutenait également que l’employeur n’avait pas respecté les préconisations du médecin du travail. Celui-ci avait recommandé le 16 janvier 2020 « un poste aménagé, à savoir un poste d’accueil ou de contrôle sans port de charge ni mouvement forcé du membre supérieur droit ».
La cour écarte ce grief en relevant que « le salarié étant toujours en arrêt de travail et non consolidé, la prolongation de son arrêt de travail ne permettait pas un avis définitif du médecin du travail ». Elle en déduit que « dans ces circonstances un quelconque reclassement était prématuré ».
Cette analyse mérite approbation. L’obligation de reclassement qui pèse sur l’employeur en cas d’inaptitude suppose un avis définitif du médecin du travail constatant l’inaptitude du salarié à reprendre son emploi. Tant que le salarié demeure en arrêt maladie et que son état n’est pas consolidé, l’employeur ne peut être tenu de proposer un poste adapté. Les préconisations formulées lors d’une visite de préreprise n’ont qu’une valeur indicative et ne créent pas d’obligation immédiate de reclassement.
Le salarié avait pris acte de la rupture le 29 décembre 2020 alors que son arrêt de travail courait jusqu’au 31 décembre suivant. Il n’avait donc jamais été placé en situation de reprendre le travail ni de bénéficier d’une visite de reprise. L’employeur ne pouvait se voir reprocher de n’avoir pas proposé un poste adapté à un salarié qui n’avait pas repris son activité.
B. La qualification en démission et ses conséquences
La cour juge qu’« en l’état de l’ensemble de ces éléments, aucun des manquements allégués par le salarié au soutien de la prise d’acte de la rupture du contrat de travail n’étant établi, il sera jugé que la prise d’acte de la rupture du contrat de travail par ce dernier, produit en définitive les effets d’une démission ».
Cette solution est conforme au régime de la prise d’acte tel qu’il résulte de la jurisprudence de la Cour de cassation. La prise d’acte constitue un mode autonome de rupture du contrat de travail à l’initiative du salarié. Elle produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les manquements invoqués sont suffisamment graves pour empêcher la poursuite du contrat. Dans le cas contraire, elle produit les effets d’une démission.
Le salarié est alors privé de l’ensemble des indemnités de rupture. Il ne peut prétendre ni à l’indemnité de licenciement, ni à l’indemnité compensatrice de préavis, ni à des dommages-intérêts pour licenciement injustifié. La cour confirme logiquement le débouté de l’ensemble des demandes indemnitaires du salarié.
La portée de cet arrêt réside dans l’illustration du risque que prend le salarié qui décide de prendre acte de la rupture de son contrat. Ce mode de rupture fait peser sur lui la charge de prouver les manquements de l’employeur. En l’espèce, le salarié ne parvient pas à établir que l’employeur avait connaissance de la pratique dangereuse ni que des mesures de prévention auraient pu éviter l’accident. La cour ordonne néanmoins la remise des documents de fin de contrat régularisés, seule satisfaction accordée au salarié dans cette procédure.