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L’arrêt rendu par la Cour d’appel de Versailles le 3 juillet 2025 illustre le contentieux récurrent opposant un salarié licencié pour faute grave à son employeur, à la suite d’un refus de mutation fondé sur une clause de mobilité contractuelle. Un vendeur comptoir, embauché en 2005 et dont le contrat avait été transféré en 2015, contestait la validité d’un protocole transactionnel signé après son licenciement, invoquant successivement un vice du consentement par violence morale, une fraude à la loi et l’absence de concessions réciproques.
Les faits sont les suivants. L’employeur avait décidé, début 2020, de réorganiser son activité en Ile-de-France en scindant une agence située dans le Val-d’Oise en deux établissements distincts, l’un au nord, l’autre au sud de la région parisienne. Par courrier du 2 juin 2020, le salarié fut informé de sa nouvelle affectation à compter du 3 août 2020. Il refusa cette mutation par lettre du 27 juillet 2020 et ne se présenta pas sur son nouveau lieu de travail. L’employeur engagea alors une procédure disciplinaire et prononça un licenciement pour faute grave le 28 août 2020. Un mois plus tard, les parties conclurent un accord transactionnel.
Le salarié saisit le conseil de prud’hommes de Bobigny le 22 avril 2021. Cette juridiction se déclara territorialement incompétente au profit du conseil de prud’hommes de Cergy-Pontoise, lequel fut saisi le 9 septembre 2022. Le salarié demandait l’annulation du protocole d’accord, la requalification de son licenciement en licenciement sans cause réelle et sérieuse, ainsi que diverses indemnités. L’employeur concluait au débouté et soulevait l’irrecevabilité des demandes en raison de l’autorité de la chose jugée attachée à la transaction. Par jugement du 26 avril 2023, le conseil de prud’hommes déclara le protocole conforme et débouta le salarié de l’ensemble de ses demandes. Ce dernier interjeta appel le 16 mai 2023.
La question posée à la cour était celle de la validité du protocole transactionnel conclu entre les parties. Le salarié pouvait-il obtenir l’annulation de cet accord en invoquant un vice du consentement, une fraude à la loi ou l’insuffisance des concessions consenties par l’employeur ?
La Cour d’appel de Versailles confirme le jugement entrepris. Elle rejette la fin de non-recevoir tirée de l’autorité de la chose jugée, estimant que le salarié était recevable à agir en annulation du protocole. Sur le fond, elle écarte successivement les trois moyens de nullité invoqués et maintient la validité de la transaction.
Cette décision invite à examiner d’une part les conditions de contestation d’une transaction conclue postérieurement à un licenciement (I), d’autre part l’appréciation de la validité d’une telle transaction au regard des exigences légales (II).
I. La recevabilité de l’action en contestation d’une transaction post-licenciement
L’arrêt apporte des précisions utiles sur l’articulation entre l’autorité de la chose jugée et l’action en nullité d’une transaction (A), ainsi que sur la charge de la preuve incombant au salarié qui invoque un vice du consentement (B).
A. Le rejet de la fin de non-recevoir tirée de l’autorité de la chose jugée
L’employeur soulevait l’irrecevabilité des demandes en invoquant l’article 2052 du code civil, selon lequel « la transaction fait obstacle à l’introduction d’une action en justice entre les parties ayant le même objet ». La cour rappelle ce principe mais refuse d’y faire droit. Elle relève que le salarié invoquait des motifs d’annulation expressément prévus par les dispositions légales, notamment la violence morale visée à l’article 1130 du code civil et l’absence de concessions réciproques exigée par l’article 2044.
Cette position s’inscrit dans une jurisprudence constante. L’autorité de la chose jugée attachée à la transaction ne fait pas obstacle à une action en nullité fondée sur des vices affectant sa formation. La cour précise que le salarié « est recevable, indépendamment du bien fondé de son action, à intenter une action visant à obtenir l’annulation du protocole transactionnel ». La distinction entre recevabilité et bien-fondé est ici essentielle. Le juge doit examiner les moyens de nullité avant de pouvoir opposer l’autorité de la chose jugée.
Cette solution préserve l’équilibre entre la sécurité juridique qu’apporte la transaction et la protection du consentement des parties. Elle rappelle que la transaction, bien que dotée d’une force particulière, demeure un contrat soumis aux conditions générales de validité des conventions.
B. L’exigence d’une preuve effective de la violence morale
Le salarié invoquait un vice du consentement par violence morale, soutenant que l’employeur avait orchestré un stratagème en antidatant ou postdatant des documents. Il affirmait notamment que le protocole transactionnel avait été signé avant le licenciement et que sa lettre de refus de mutation avait été rédigée par l’employeur lui-même.
La cour applique le principe selon lequel « le salarié qui se prétend victime de violence doit le démontrer ». Elle rappelle également que « la transaction portant sur les conséquences d’un licenciement ne peut être conclue qu’une fois la rupture devenue définitive ». Ces deux règles combinées imposent au salarié une double charge probatoire : établir l’antériorité de la transaction par rapport au licenciement et caractériser les éléments constitutifs de la violence.
L’arrêt relève que le salarié avait signé la lettre de refus sans s’expliquer sur les circonstances qui l’auraient contraint à apposer sa signature. De surcroît, son absence lors de la prise de fonctions prévue le 3 août 2020 manifestait une volonté réitérée de refuser la mutation. La cour en déduit qu’« il n’est pas avéré que le protocole transactionnel a été conclu avant la notification du licenciement ».
Cette appréciation stricte de la preuve s’explique par la gravité des allégations formulées. Invoquer une machination de l’employeur suppose d’apporter des éléments tangibles. La simple similitude rédactionnelle des lettres de refus de plusieurs salariés ne suffit pas à établir une contrainte exercée sur chacun d’eux individuellement.
II. L’appréciation de la validité de la transaction au regard des exigences légales
La cour examine ensuite les deux autres moyens de nullité soulevés par le salarié, tenant à une prétendue fraude à la loi (A) et à l’insuffisance des concessions de l’employeur (B).
A. L’absence de fraude dans le recours à un licenciement pour motif personnel
Le salarié soutenait que l’employeur avait frauduleusement qualifié le licenciement de disciplinaire alors que sa cause véritable était économique. Il reprochait à l’employeur d’avoir ainsi éludé les obligations attachées au licenciement économique : consultation du comité social et économique, information de la Direccte, obligation de reclassement, application des critères d’ordre, mention de la priorité de réembauche, et le cas échéant mise en place d’un plan de sauvegarde de l’emploi.
La cour rejette cette argumentation. Elle relève que l’employeur avait procédé à « la scission en deux de l’activité de l’agence » et non à sa suppression pure et simple. Parallèlement à la fermeture du site, deux nouvelles agences avaient été créées et une nouvelle affectation avait été proposée aux salariés concernés.
L’arrêt énonce que « le refus d’une nouvelle affectation par un salarié constitue bien un motif d’ordre personnel et non d’ordre économique, alors que l’activité perdure et que la nouvelle affectation, en application d’une clause de mobilité dont la validité n’est pas contestée, constitue un simple changement des conditions de travail du salarié ». Cette motivation distingue clairement la cause du licenciement, qui réside dans le comportement du salarié, et le contexte économique qui a conduit l’employeur à réorganiser son activité.
La jurisprudence admet depuis longtemps que le refus par un salarié d’un simple changement de ses conditions de travail peut constituer une cause réelle et sérieuse de licenciement, voire une faute grave selon les circonstances. La clause de mobilité, lorsqu’elle est valide et mise en oeuvre sans abus, s’impose au salarié. Son refus injustifié relève de l’insubordination.
B. Le caractère suffisant de l’indemnité transactionnelle
Le dernier moyen de nullité portait sur l’absence prétendue de concessions réciproques. Le salarié estimait que l’indemnité versée par l’employeur était « modique » au regard de ce qu’il aurait perçu dans le cadre d’un licenciement économique.
La cour rappelle que « les concessions s’apprécient en fonction des prétentions des parties lors de la signature de l’acte » et que le juge peut « apprécier le bien-fondé de la qualification retenue » au regard des faits invoqués au moment de la conclusion. Elle souligne ensuite que « lorsque le contrat de travail comporte une clause de mobilité dont la validité n’est pas remise en cause et que l’employeur la met en oeuvre sans commettre d’abus, le refus, par le salarié de se conformer à la clause qu’il a acceptée est susceptible de constituer une faute grave, notamment en l’absence de motif légitime ».
Or le salarié « n’allègue, ni ne caractérise de motif légitime de refuser l’affectation ». La cour en déduit que le versement d’une indemnité transactionnelle de 8 500 euros, « supérieure à l’indemnité légale de licenciement », constitue une concession suffisante « eu égard au motif personnel de licenciement du salarié, fondé sur une faute grave ».
Cette appréciation est conforme à la jurisprudence qui refuse d’exiger une équivalence parfaite entre les concessions des parties. Il suffit que chacune ait renoncé à quelque chose par rapport à ses prétentions initiales. En l’espèce, l’employeur renonçait à se prévaloir de la faute grave qui privait en principe le salarié de toute indemnité. Le salarié, de son côté, renonçait à contester son licenciement. L’équilibre de la transaction était ainsi préservé.