Cour d’appel de Versailles, le 3 juillet 2025, n°23/01445

La question de la caractérisation du travail dissimulé dans le cadre du contrat de professionnalisation constitue un enjeu contentieux récurrent devant les juridictions sociales. La cour d’appel de Versailles, par un arrêt du 3 juillet 2025, apporte une illustration topique des conditions dans lesquelles l’employeur peut être condamné à verser l’indemnité forfaitaire prévue par l’article L.8223-1 du code du travail.

Un salarié avait été engagé par contrat de professionnalisation d’une durée d’un an à compter du 20 octobre 2020 en qualité de développeur web par une auto-entrepreneuse exerçant une activité de création de sites internet. À l’expiration du contrat le 7 décembre 2021, le salarié sollicita ses documents de fin de contrat et ses bulletins de paie. Le 14 janvier 2022, il saisit le conseil de prud’hommes de Chartres aux fins d’obtenir une indemnité compensatrice de congés payés, une indemnité pour travail dissimulé et des dommages-intérêts pour défaut de remise des bulletins de salaire.

Par jugement du 3 mai 2023, le conseil de prud’hommes fit partiellement droit aux demandes du salarié en lui allouant des intérêts moratoires et une indemnité pour absence de remise des bulletins de salaire, mais le débouta de ses demandes au titre des congés payés et du travail dissimulé. Le salarié interjeta appel le 1er juin 2023, sollicitant la réformation du jugement sur ces deux chefs de demande. L’employeur forma appel incident aux fins de voir infirmer les condamnations prononcées à son encontre.

La cour d’appel de Versailles était ainsi saisie de plusieurs questions de droit. S’agissant des congés payés, il convenait de déterminer si l’employeur justifiait avoir mis le salarié en position de prendre l’intégralité des congés auxquels il avait droit. Concernant le travail dissimulé, la question posée était celle de savoir si l’absence de déclaration préalable à l’embauche et le défaut de remise des bulletins de paie durant la relation de travail caractérisaient une intention frauduleuse de l’employeur.

La cour infirme partiellement le jugement entrepris. Elle condamne l’employeur à verser au salarié un reliquat d’indemnité compensatrice de congés payés de 333,80 euros, ainsi que l’indemnité forfaitaire pour travail dissimulé de 7.482,24 euros équivalant à six mois de salaire. La cour retient que « l’intention d’éluder la déclaration préalable, qui n’était satisfaite par ses seules démarches auprès de l’organisme finançant la formation en alternance, est manifeste, du moment que cette obligation dérive de la loi et qu’elle lui était précisément rappelée en sorte qu’elle ne pouvait se méprendre ».

L’arrêt commenté présente un intérêt particulier en ce qu’il précise les modalités de preuve de l’exécution de l’obligation de congés payés (I) et caractérise de manière rigoureuse l’élément intentionnel du travail dissimulé (II).

I – La répartition probatoire de l’obligation de congés payés

L’arrêt de la cour d’appel de Versailles rappelle le principe de la charge de la preuve pesant sur l’employeur (A) avant d’en tirer les conséquences quant à l’appréciation des éléments probatoires produits (B).

A – Le rappel du principe : la charge de la preuve incombant à l’employeur

La cour énonce qu’« il incombe à l’employeur d’établir qu’il a mis le salarié en position de prendre ses congés payés ». Cette formulation reprend la jurisprudence constante de la Cour de cassation issue notamment de l’arrêt de la chambre sociale du 13 juin 2012. Le droit aux congés payés, consacré par les articles L.3141-1 et L.3141-3 du code du travail, constitue une garantie fondamentale dont l’effectivité repose sur l’employeur.

Cette règle probatoire se justifie par l’économie générale du droit du travail. L’employeur, débiteur de l’obligation de permettre la prise effective des congés, doit être en mesure de démontrer qu’il a satisfait à cette obligation. Le salarié, en position de subordination, ne saurait supporter la charge de prouver un fait négatif.

En l’espèce, la cour relève que le calendrier annexé à la convention de formation mentionnait « 12 jours de congés durant l’été ou à proximité de jours fériés ». Elle considère que l’employeur « justifie sa libération pour ces congés prévus par convention ». Le salarié, qui contestait l’authenticité de ce document, « ne saurait sérieusement le prétendre apocryphe d’autant qu’il diffère des bulletins de paie ».

B – L’insuffisance des mentions portées sur les bulletins de paie

La cour opère une distinction essentielle entre les congés dont la preuve est rapportée par le calendrier conventionnel et ceux qui ne figurent que sur les bulletins de paie. Elle relève que le salarié avait droit à 30 jours de congés et qu’il « lui reste dû 18 jours dont Mme [D] ne justifie de l’octroi par le seul décompte porté sur les bulletins de paie sans détail, les mois concernés, des jours pris ».

Cette appréciation révèle l’exigence de la cour quant à la qualité de la preuve. La simple mention d’un solde de congés sur un bulletin de paie ne suffit pas à établir que le salarié a été effectivement mis en position de les prendre. L’employeur doit produire des éléments démontrant les dates précises des congés accordés. La circonstance que « ces bulletins furent remis après la fin de la relation de travail » renforce leur faible valeur probante.

La cour procède au calcul de l’indemnité due selon la règle du dixième prévue à l’article L.3141-24 du code du travail. Après déduction de la somme déjà versée en octobre 2021, elle condamne l’employeur à payer 333,80 euros. Cette solution illustre le contrôle rigoureux exercé par les juridictions sur l’exécution de l’obligation de congés payés.

II – La caractérisation de l’élément intentionnel du travail dissimulé

La cour d’appel de Versailles retient l’existence du travail dissimulé en s’appuyant sur le cumul de deux manquements (A) dont elle déduit l’intention frauduleuse de l’employeur (B).

A – Le cumul des manquements constitutifs du travail dissimulé

L’article L.8221-5 du code du travail énumère les faits constitutifs du travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié. La cour relève que l’employeur « ne justifie pas avoir rempli les obligations prévues à l’article L.1221-10 disant que l’embauche d’un salarié ne peut intervenir qu’après la déclaration nominative accomplie par l’employeur auprès des organismes de protection sociale ». Elle constate également le défaut de délivrance des « bulletins de paie au temps du versement du salaire ainsi qu’y oblige l’article L.3243-2 ».

L’employeur invoquait avoir transmis le contrat de professionnalisation à l’organisme finançant la formation. La cour écarte cet argument en énonçant que cette démarche « n’était satisfaite par ses seules démarches auprès de l’organisme finançant la formation en alternance ». La déclaration préalable à l’embauche constitue une formalité autonome qui ne peut être remplacée par d’autres démarches administratives.

S’agissant des bulletins de paie, il est constant qu’ils ne furent remis qu’après la rupture du contrat. L’employeur faisait valoir les « atermoiements de son expert-comptable ». La cour relève que les démarches auprès de ce dernier ne furent initiées « qu’à compter du mois d’août 2021, quand la relation avait commencé en octobre 2020 ».

B – La déduction de l’intention frauduleuse

L’indemnité forfaitaire pour travail dissimulé suppose la démonstration d’une soustraction intentionnelle aux obligations légales. La cour caractérise cette intention par plusieurs éléments. Elle souligne que « la convention de formation stipule l’engagement de l’entreprise à remplir l’ensemble de ses obligations sociales et fiscales vis-à-vis du salarié ». L’employeur avait donc une parfaite connaissance de ses obligations.

La cour énonce que l’intention frauduleuse « est manifeste, du moment que cette obligation dérive de la loi et qu’elle lui était précisément rappelée en sorte qu’elle ne pouvait se méprendre ». Cette motivation mérite attention. La cour déduit l’élément intentionnel de la connaissance des obligations légales par l’employeur, connaissance renforcée par les stipulations contractuelles.

Le « défaut de remise de tout bulletin de paie durant la relation de travail lui est par ailleurs imputable à faute ». Le retard de dix mois dans l’initiation des démarches auprès de l’expert-comptable ne constitue pas une cause exonératoire. La cour en conclut que l’employeur « doit paiement de l’indemnité forfaitaire réclamée par le salarié dont le quantum n’est pas querellé ».

Cette solution s’inscrit dans la ligne jurisprudentielle selon laquelle la négligence grave et prolongée peut caractériser l’intention frauduleuse. La régularisation postérieure à la rupture du contrat demeure sans incidence sur la qualification du travail dissimulé. L’arrêt rappelle ainsi que les obligations sociales de l’employeur ne souffrent aucun accommodement, particulièrement dans le cadre de la formation en alternance où le respect du formalisme conditionne l’effectivité de la protection du salarié.

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Hassan KOHEN
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