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Je dispose de l’intégralité de la décision dans le message. Je vais rédiger le commentaire d’arrêt.
L’arrêt rendu par la Cour d’appel de Versailles le 3 juillet 2025 invite à s’interroger sur l’articulation entre les dispositifs de cessation anticipée d’activité et le droit à participation des salariés aux résultats de l’entreprise.
Une salariée a été engagée le 2 février 1987 par une société opérant dans le secteur pharmaceutique. Cette entreprise a mis en place un accord de participation le 28 mars 2003. En 2013, dans le cadre d’un projet de réorganisation, un accord collectif a institué un dispositif de cessation anticipée d’activité sur la base du volontariat. La salariée a adhéré à ce dispositif par avenant prenant effet au 1er mars 2014. Elle est sortie des effectifs le 1er mai 2019 lors de la liquidation de sa retraite.
La salariée a saisi le tribunal judiciaire de Nanterre le 17 avril 2019 aux fins d’obtenir un rappel de participation. Par ordonnance du 27 novembre 2020, le tribunal s’est déclaré incompétent au profit du conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt. Ce dernier, par jugement du 25 mai 2023, a débouté la salariée de l’intégralité de ses demandes. Elle a relevé appel le 18 juillet 2023.
Devant la cour, l’employeur soulevait la prescription biennale de l’action pour la période antérieure au 17 avril 2017. La salariée opposait l’illicéité de la clause conventionnelle l’excluant du bénéfice de la participation pendant la période de cessation anticipée d’activité.
La question posée à la juridiction d’appel était la suivante : une clause d’un accord collectif peut-elle valablement exclure du bénéfice de la participation aux résultats un salarié qui demeure dans les effectifs de l’entreprise au titre d’un dispositif de cessation anticipée d’activité ?
La Cour d’appel de Versailles retient que « l’ensemble des dispositions légales et réglementaires relatives à la participation obligatoire des salariés aux résultats de l’entreprise (…) étant d’ordre public absolu, il ne peut y être dérogé qu’avec l’autorisation expresse de la loi ». Elle rappelle en outre que le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 21 mars 2018, a précisé que les salariés conservent la possibilité de contester « sans condition de délai, par voie d’exception, l’illégalité d’une clause de convention ou d’accord ».
L’examen de cette décision conduit à analyser successivement le caractère d’ordre public absolu du droit à participation (I), puis les modalités de contestation d’une clause conventionnelle contraire à cet ordre public (II).
I. Le caractère d’ordre public absolu du droit à participation
L’affirmation du principe d’ordre public (A) emporte des conséquences directes sur la validité des clauses conventionnelles dérogatoires (B).
A. L’affirmation d’un principe intangible
La cour rappelle les dispositions de l’article L. 3322-2 du code du travail imposant aux entreprises d’au moins cinquante salariés de garantir « le droit de ses salariés à participer aux résultats de l’entreprise ». Elle précise que ce texte relève de l’ordre public absolu auquel « il ne peut y être dérogé qu’avec l’autorisation expresse de la loi ».
Cette qualification n’est pas nouvelle. La chambre sociale de la Cour de cassation l’avait déjà consacrée dans un arrêt du 23 mai 2007. La participation constitue un mécanisme de redistribution des richesses créées par l’entreprise. Elle vise également à orienter l’épargne vers certains secteurs de l’économie nationale. Ces finalités d’intérêt général justifient que les partenaires sociaux ne puissent y déroger librement.
La cour souligne que la salariée « continuait de faire partie des effectifs de l’entreprise » pendant la période de cessation anticipée d’activité. Cette appartenance aux effectifs constitue le critère déterminant du droit à participation. Dès lors qu’un salarié remplit les conditions légales et conventionnelles d’éligibilité, notamment l’ancienneté requise et le maintien dans les effectifs, aucune stipulation conventionnelle ne saurait l’en priver.
B. L’impossibilité de déroger par accord collectif
L’accord du 15 octobre 2013 prévoyait expressément que « la période de dispense d’activité n’ouvre pas droit (…) aux dispositifs de participation et d’intéressement ». Cette clause opérait une exclusion catégorielle des salariés en cessation anticipée d’activité.
La cour rappelle l’article L. 2251-1 du code du travail selon lequel les conventions collectives « ne peuvent déroger aux dispositions qui revêtent un caractère d’ordre public ». L’accord collectif, fût-il majoritaire et conclu dans le cadre d’un plan de sauvegarde de l’emploi, ne dispose pas de la faculté d’écarter les règles impératives relatives à la participation.
L’employeur objectait que la clause figurait dans un avenant signé individuellement par la salariée. Cette circonstance demeure indifférente. La source de l’exclusion réside dans l’accord collectif dont l’avenant individuel ne fait que reprendre les termes. La volonté individuelle du salarié ne peut davantage valider une renonciation à un droit d’ordre public.
II. Les modalités de contestation de la clause illicite
La recevabilité de l’exception d’illégalité (A) ouvre la voie à la reconnaissance du droit méconnu (B).
A. La recevabilité de l’exception d’illégalité
L’employeur invoquait l’article L. 2262-14 du code du travail qui enferme l’action en nullité d’un accord collectif dans un délai de deux mois. Il soutenait que la salariée, n’ayant pas agi dans ce délai, ne pouvait plus contester la validité de la clause litigieuse.
La cour écarte cette argumentation en se fondant sur la décision du Conseil constitutionnel du 21 mars 2018. Les sages de la rue Montpensier ont précisé que ce texte « ne prive pas les salariés de la possibilité de contester, sans condition de délai, par voie d’exception, l’illégalité d’une clause de convention ou d’accord ».
La distinction entre action et exception revêt ici une importance capitale. L’action en nullité, soumise à forclusion, vise à faire disparaître rétroactivement l’acte litigieux erga omnes. L’exception d’illégalité permet au justiciable de se prévaloir, dans le cadre d’un litige individuel, de la contrariété d’une clause à une norme supérieure. Elle produit un effet limité aux parties en cause.
Cette solution protège efficacement les droits des salariés. Exiger d’eux une action en nullité dans les deux mois de la publication de l’accord reviendrait à les priver de tout recours effectif. La plupart des salariés ignorent le contenu précis des accords collectifs lors de leur conclusion et n’en mesurent les effets qu’au moment où ils leur sont appliqués.
B. La reconnaissance du droit à participation
La clause étant déclarée contraire à l’ordre public, elle doit être réputée non écrite. La salariée recouvre son droit à participation pour toute la période durant laquelle elle est demeurée dans les effectifs de l’entreprise.
L’employeur soulevait subsidiairement la prescription biennale de l’article L. 1471-1 du code du travail pour la période antérieure au 17 avril 2017. La cour devait déterminer le point de départ de ce délai. La salariée contestait avoir eu connaissance des faits lui permettant d’exercer son droit dès la signature de l’avenant.
Cette question du point de départ revêt une importance pratique considérable. Si la connaissance du dommage remonte à la signature de l’avenant en 2014, la prescription serait acquise pour l’essentiel des sommes réclamées. En revanche, si elle ne court qu’à compter de la perception effective de la participation par les autres salariés, l’action demeure recevable pour une période plus étendue.
La portée de cet arrêt dépasse le cas d’espèce. Il confirme que les dispositifs de cessation anticipée d’activité, bien qu’ils suspendent l’obligation de fournir un travail, ne sauraient priver les salariés des droits attachés à leur qualité de membre de l’entreprise. La participation aux résultats figure au nombre de ces droits intangibles que ni l’accord collectif ni la volonté individuelle ne peuvent écarter.