Cour d’appel de Versailles, le 3 juillet 2025, n°23/02107

Par arrêt de la Cour d’appel de Versailles du 3 juillet 2025, la chambre sociale a statué sur le droit à participation d’une salariée placée en cessation anticipée d’activité. L’employeur appliquait un accord collectif de 2015 prévoyant l’exclusion de la participation durant la dispense d’activité, tandis que l’accord de participation existait depuis 2003. La salariée avait signé un avenant d’admission au dispositif à effet du 1er juin 2015, puis elle est sortie des effectifs au 1er novembre 2021. Saisie en 2019 d’un rappel de participation, la juridiction judiciaire a décliné sa compétence au profit de la juridiction prud’homale, qui a débouté la salariée le 25 mai 2023. En appel, la salariée sollicitait un rappel couvrant la période 2015-2021, intérêts à compter de l’assignation, et frais. L’employeur opposait principalement la prescription biennale, soutenait la validité de l’exclusion conventionnelle, et subsidiairement plaidait une réduction des sommes. La cour d’appel déclare la clause d’exclusion inopposable, retient la prescription pour la période antérieure au 17 avril 2017, et condamne l’employeur à payer 74 461,77 euros au titre de la participation due du 18 avril 2017 au 31 octobre 2021, avec intérêts et frais. L’enjeu juridique porte, d’une part, sur l’ordre public de la participation et l’exception d’illégalité, d’autre part, sur la prescription et l’assiette après 2018.

I – Ordre public de la participation et inopposabilité de l’exclusion

A – L’affirmation de l’ordre public absolu

La participation obligatoire relève d’un ordre public de direction qui borne la liberté conventionnelle. L’arrêt reprend la formule de principe selon laquelle « L’ensemble des dispositions légales et réglementaires relatives à la participation obligatoire des salariés aux résultats de l’entreprise (…) étant d’ordre public absolu, il ne peut y être dérogé qu’avec l’autorisation expresse de la loi ». L’accord collectif en cause énonçait que « Il est expressément indiqué que la période de dispense d’activité n’ouvre pas droit à l’acquisition de congés payés, de RTT et d’une façon générale de congés quelle qu’en soit la nature, prévus par la loi et la convention collective et accords collectif en vigueur dans la société. Il en est de même concernant les dispositifs de participation et d’intéressement. » La cour constate que la salariée demeurait dans les effectifs, condition exigée par l’accord de participation, et qu’aucun texte ne permettait l’exclusion générale des salariés dispensés d’activité. Le caractère d’ordre public fait obstacle à une dérogation défavorable par accord collectif, et la signature d’un avenant individuel ne saurait valider une interdiction prohibée.

B – L’exception d’illégalité et ses effets en inopposabilité

L’employeur invoquait la forclusion de l’action en nullité de l’accord collectif, mais la voie de l’exception d’illégalité demeurait ouverte dans le litige individuel. L’arrêt s’appuie sur la précision selon laquelle l’article L. 2262-14 « ne prive pas les salariés de la possibilité de contester, sans condition de délai, par voie d’exception, l’illégalité d’une clause de convention ou d’accord collectif, à l’occasion d’un litige individuel la mettant en oeuvre ». Il retient encore que « La reconnaissance de l’illégalité d’une clause d’une convention ou d’un accord collectif la rend inopposable à celui qui a soulevé l’exception ». La solution choisie ménage l’efficacité de l’ordre public, sans exiger une action autonome en nullité. L’accord collectif demeure, mais sa stipulation d’exclusion ne peut produire effet à l’égard du salarié qui la conteste utilement.

II – Prescription biennale et paramètres d’assiette après 2018

A – Le point de départ de l’action et la connaissance des faits

La cour rappelle la qualification de l’action et la prescription applicable. Selon la jurisprudence, « La demande en paiement d’une somme au titre de la participation aux résultats de l’entreprise, laquelle n’a pas une nature salariale, relève de l’exécution du contrat de travail et est soumise à la prescription biennale de l’article L1471-1 du code du travail ». Le point de départ réside dans la connaissance des faits permettant d’agir. La cour retient que l’avenant d’admission au dispositif, mentionnant expressément l’exclusion de la participation, informait la salariée de l’atteinte alléguée à son droit. Elle précise que « Si la clause est déclarée inopposable à la salariée, lui permettant ainsi d’asseoir son action en paiement, pour autant cette inopposabilité est sans effet sur sa connaissance des faits par l’avenant précité ». La période antérieure au 17 avril 2017 est ainsi prescrite, ce qui borne le rappel sollicité aux droits non éteints.

B – L’assiette postérieure au 30 septembre 2018 et l’action en paiement

Le changement d’assiette issu de la substitution des « rémunérations » par les « revenus d’activité » impose un ajustement, non une exclusion des bénéficiaires. L’arrêt énonce que « Ainsi il résulte de cette évolution que l’allocation de cessation anticipée d’activité si elle peut avoir la nature d’un salaire ne peut néanmoins être qualifiée de revenus d’activité, de sorte que les sommes dues au titre de la participation seront calculées sur cette base sans que cela remette en cause les droits de la salariée à y prétendre. » La méthode retenue admet la qualité de bénéficiaire au regard de l’effectif, mais neutralise, pour l’assiette, les sommes n’ayant pas la nature de revenus d’activité. La cour tranche enfin l’argument tenant à l’épuisement de la réserve distribuée. Elle décide que « Le fait que la société ait déjà distribué l’intégralité de sa réserve de participation aux salariés bénéficiaires est sans effet sur le droit de la salariée de percevoir sa part de cette réserve, l’action engagée par elle étant une action en paiement. » La condamnation s’ensuit, pour 74 461,77 euros, intérêts au taux légal à compter du 17 avril 2019, outre frais au titre de l’article 700 et dépens.

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