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La cour d’appel de Versailles, par un arrêt du 3 juillet 2025, s’est prononcée sur le droit à la participation aux résultats de l’entreprise d’une salariée placée en cessation anticipée d’activité. Cette décision soulève la question de la validité d’une clause conventionnelle excluant du bénéfice de la participation les salariés dispensés d’activité tout en demeurant dans les effectifs de l’entreprise.
Une salariée a été engagée le 3 juillet 1989 par une société du secteur pharmaceutique. Dans le cadre d’un projet de réorganisation impliquant des suppressions de postes, un accord collectif du 15 octobre 2013 a institué un dispositif de cessation anticipée d’activité fondé sur le volontariat. La salariée a adhéré à ce dispositif par avenant à effet au 1er mars 2014 et a quitté les effectifs le 1er août 2019 pour liquider sa retraite. Elle a saisi la juridiction prud’homale aux fins de rappel de participation pour la période 2014-2019, invoquant l’illicéité de la clause de l’accord qui l’excluait de ce droit pendant sa période de dispense d’activité.
Le conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt, par jugement du 25 mai 2023, a débouté la salariée de l’intégralité de ses demandes. Celle-ci a interjeté appel le 18 juillet 2023.
La question posée à la cour était double. D’une part, une clause d’un accord collectif peut-elle valablement exclure du droit à participation les salariés placés en cessation anticipée d’activité alors qu’ils demeurent dans les effectifs de l’entreprise. D’autre part, quelle prescription s’applique à l’action en paiement de la participation et quel est son point de départ.
La cour d’appel de Versailles a infirmé le jugement. Elle a déclaré la clause litigieuse inopposable à la salariée au motif que les dispositions relatives à la participation sont d’ordre public absolu et qu’un accord collectif ne peut y déroger sans autorisation légale. Elle a toutefois fait application de la prescription biennale de l’article L. 1471-1 du code du travail, déclarant prescrites les sommes antérieures au 17 avril 2017 et condamnant la société au paiement de 14 181,05 euros pour la période du 18 avril 2017 au 31 juillet 2019.
Cet arrêt illustre la protection accordée par la jurisprudence au droit à participation des salariés face aux stipulations conventionnelles dérogatoires (I), tout en révélant les limites temporelles de cette protection par le jeu de la prescription (II).
I. L’inopposabilité de la clause excluant le salarié dispensé d’activité du droit à participation
La cour consacre le caractère d’ordre public absolu de la participation (A) et admet la contestation par voie d’exception de la clause conventionnelle illicite (B).
A. La réaffirmation du caractère d’ordre public absolu de la participation
La cour rappelle que « l’ensemble des dispositions légales et réglementaires relatives à la participation obligatoire des salariés aux résultats de l’entreprise […] étant d’ordre public absolu, il ne peut y être dérogé qu’avec l’autorisation expresse de la loi ». Elle s’appuie sur un arrêt de la Cour de cassation du 23 mai 2007.
Cette qualification emporte des conséquences majeures. L’article L. 2251-1 du code du travail dispose qu’une convention collective ne peut « déroger aux dispositions qui revêtent un caractère d’ordre public ». La cour en déduit que l’accord collectif du 15 octobre 2013 ne pouvait valablement exclure du bénéfice de la participation les salariés demeurant dans les effectifs de l’entreprise, fût-ce pendant une période de dispense d’activité.
La condition déterminante réside dans l’appartenance aux effectifs. La cour relève que « la salariée répondait, avant la cessation anticipée d’activité, aux conditions prévues pour bénéficier de l’accord de participation » et qu’elle « continuait de faire partie des effectifs de l’entreprise ». Le maintien du lien contractuel suffit à ouvrir le droit, indépendamment de l’exécution effective du travail.
Cette solution s’inscrit dans la finalité même de la participation, conçue comme un « dividende du travail » associant les salariés aux résultats de l’entreprise. L’exclusion conventionnelle d’une catégorie de salariés présents dans les effectifs contrevient à cette logique redistributive voulue par le législateur.
B. L’admission de la contestation par voie d’exception
La société opposait l’irrecevabilité de la contestation au regard de l’article L. 2262-14 du code du travail, qui impose un délai de deux mois pour agir en nullité d’un accord collectif. La cour écarte cet argument en mobilisant la décision du Conseil constitutionnel n° 2018-761 DC du 21 mars 2018.
Selon cette jurisprudence constitutionnelle, l’article L. 2262-14 « ne prive pas les salariés de la possibilité de contester, sans condition de délai, par voie d’exception, l’illégalité d’une clause de convention ou d’accord collectif, à l’occasion d’un litige individuel la mettant en œuvre ». La cour cite également un arrêt de la chambre sociale du 2 mars 2022.
Cette distinction entre action principale et exception est fondamentale. Le salarié n’a pas à engager une action en nullité dans le bref délai de deux mois. Il peut, sans limite temporelle, soulever l’illégalité de la clause à l’occasion d’un litige individuel où cette clause lui est opposée. La sanction n’est pas la nullité mais l’inopposabilité, laquelle ne profite qu’à celui qui a soulevé l’exception.
La cour ajoute que « la signature de l’avenant par la salariée ne peut pas plus valider cette exclusion puisque reposant sur la violation d’une disposition d’ordre public absolu ». L’accord individuel est impuissant à couvrir l’illicéité d’une stipulation heurtant l’ordre public. Cette précision revêt une importance pratique considérable pour les dispositifs de départ négocié comportant des clauses de renonciation.
II. L’encadrement temporel du droit à participation par la prescription biennale
La cour applique la prescription de l’article L. 1471-1 du code du travail (A) et retient une conception extensive du point de départ de ce délai (B).
A. L’application de la prescription biennale à l’action en paiement de la participation
La cour confirme que « la demande en paiement d’une somme au titre de la participation aux résultats de l’entreprise, laquelle n’a pas une nature salariale, relève de l’exécution du contrat de travail et est soumise à la prescription biennale de l’article L. 1471-1 du code du travail ». Elle se fonde sur un arrêt de la Cour de cassation du 13 avril 2023.
Cette qualification repose sur l’article L. 3325-1 du code du travail selon lequel les sommes portées à la réserve spéciale de participation ne sont pas prises en considération pour l’application de la législation du travail et de la sécurité sociale. La participation n’étant pas un salaire, elle échappe à la prescription triennale de l’article L. 3245-1.
L’enjeu est significatif. La prescription biennale est plus courte que la prescription triennale applicable aux créances salariales. Ce choix peut surprendre au regard de la nature alimentaire de la participation pour le salarié. La cour s’inscrit néanmoins dans une jurisprudence établie qui rattache cette créance à l’exécution du contrat de travail au sens large.
Cette solution présente une cohérence interne. L’action de la salariée tendait à faire reconnaître son droit à participation pendant la période de cessation anticipée d’activité. Cette période se rattachait bien à l’exécution du contrat de travail, lequel n’avait pas été rompu mais seulement suspendu dans ses effets liés au travail effectif.
B. Le point de départ de la prescription fixé à la signature de l’avenant
La cour retient que la salariée connaissait les faits lui permettant d’exercer son droit dès la signature de l’avenant d’admission au dispositif de cessation anticipée d’activité. Cet avenant reprenait expressément la clause d’exclusion du droit à participation.
La salariée invoquait son ignorance des modalités de calcul de la participation et l’absence d’envoi de l’état récapitulatif. La cour rejette ces arguments. Elle distingue la connaissance de « l’existence même du droit à participation » de celle des modalités de son exercice. Seule la première compte pour fixer le point de départ de la prescription.
La cour précise que « si la clause est déclarée inopposable à la salariée, […] pour autant cette inopposabilité est sans effet sur sa connaissance des faits ». L’illicéité d’une clause n’en efface pas la connaissance qu’en avait le salarié. Celui-ci disposait de tous les éléments pour agir dès qu’il a su être exclu du bénéfice de la participation.
Cette solution peut paraître sévère. Elle impose au salarié une vigilance juridique et une capacité à identifier l’illicéité des clauses qui lui sont soumises. La cour rappelle toutefois que « la méconnaissance de la loi ou assimilé, tel un accord collectif, n’est pas une cause de report du point de départ de la prescription ». L’ignorance du droit ne suspend pas le cours du temps.
En définitive, cet arrêt illustre une tension récurrente en droit du travail. D’un côté, la protection substantielle du salarié est assurée par le caractère d’ordre public absolu de la participation. De l’autre, la protection procédurale est limitée par une prescription brève dont le point de départ est apprécié strictement. Le salarié dispose d’un droit, mais il doit l’exercer promptement sous peine de forclusion partielle, comme en témoigne la réduction de la créance de 35 121,90 euros à 14 181,05 euros en l’espèce.