Cour d’appel de Versailles, le 3 juillet 2025, n°23/02124

La participation des salariés aux résultats de l’entreprise constitue un droit fondamental dont le caractère d’ordre public absolu interdit toute dérogation conventionnelle non autorisée par la loi. La cour d’appel de Versailles, dans son arrêt du 3 juillet 2025, apporte des précisions significatives sur l’articulation entre ce droit impératif et les dispositifs de cessation anticipée d’activité négociés dans le cadre des plans de sauvegarde de l’emploi.

Une salariée, engagée depuis 1991 par une société du secteur pharmaceutique, avait adhéré en 2014 à un dispositif de cessation anticipée d’activité instauré par accord collectif du 15 octobre 2013. Cet accord prévoyait expressément que la période de dispense d’activité n’ouvrait pas droit aux dispositifs de participation et d’intéressement. La salariée, sortie des effectifs en mars 2018 à l’occasion de la liquidation de sa retraite, a saisi le tribunal judiciaire de Nanterre en avril 2019 aux fins d’obtenir un rappel de participation pour la période 2014-2018. Après renvoi devant le conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt, celui-ci l’a déboutée de l’ensemble de ses demandes par jugement du 25 mai 2023.

Devant la cour d’appel, deux questions se posaient. La clause conventionnelle excluant les bénéficiaires du dispositif de cessation anticipée d’activité du droit à participation est-elle licite au regard du caractère d’ordre public de ce droit ? Quel délai de prescription s’applique à l’action en paiement des sommes dues au titre de la participation ?

La cour infirme le jugement entrepris. Elle déclare la clause litigieuse inopposable à la salariée au motif que les dispositions relatives à la participation sont d’ordre public absolu et qu’aucune loi n’autorise une telle exclusion. Elle retient par ailleurs la prescription biennale de l’article L. 1471-1 du code du travail, le point de départ étant fixé à la signature de l’avenant par lequel la salariée a eu connaissance de son exclusion du bénéfice de la participation.

Cette décision mérite attention en ce qu’elle réaffirme l’inviolabilité du droit à participation face aux aménagements conventionnels (I) tout en précisant le régime de prescription applicable aux actions en paiement y afférentes (II).

I. L’inopposabilité de la clause conventionnelle d’exclusion du droit à participation

La cour consacre le caractère d’ordre public absolu du droit à participation (A) et en déduit l’impossibilité pour un accord collectif d’y déroger valablement (B).

A. La réaffirmation du caractère d’ordre public absolu du droit à participation

La cour rappelle que « l’ensemble des dispositions légales et réglementaires relatives à la participation obligatoire des salariés aux résultats de l’entreprise qui vise à la constitution d’une épargne salariale et à son orientation vers un secteur déterminé de l’économie nationale [est] d’ordre public absolu ». Elle s’appuie sur l’article L. 442-1 ancien du code du travail, devenu L. 3322-2, qui impose à toute entreprise de cinquante salariés et plus de garantir ce droit.

Cette qualification d’ordre public absolu emporte des conséquences juridiques déterminantes. Elle signifie qu’aucune dérogation n’est possible, fût-elle prévue par accord collectif majoritaire, sans autorisation expresse de la loi. La cour cite à cet égard un arrêt de la Cour de cassation du 23 mai 2007 selon lequel « il ne peut y être dérogé qu’avec l’autorisation expresse de la loi ». Cette rigueur se justifie par la nature même de la participation, conçue comme un instrument de politique économique et sociale dépassant le cadre des seuls intérêts individuels des parties au contrat de travail.

La portée de cette qualification est considérable dans le contexte des restructurations d’entreprise. Les accords collectifs négociés dans ce cadre, y compris ceux s’inscrivant dans un plan de sauvegarde de l’emploi, ne sauraient porter atteinte à ce droit fondamental. L’argument tiré du caractère majoritaire de l’accord ou de son insertion dans un dispositif de sauvegarde de l’emploi demeure inopérant face à cette exigence impérative.

B. L’impossibilité de déroger conventionnellement au droit à participation

La société employeur soutenait que la salariée n’avait pas contesté la validité de l’accord collectif dans le délai de deux mois prévu par l’article L. 2262-14 du code du travail. La cour écarte cet argument en distinguant l’action en nullité de l’exception d’illégalité. Elle se fonde sur la décision du Conseil constitutionnel du 21 mars 2018 ayant précisé que cette disposition « ne prive pas les salariés de la possibilité de contester, sans condition de délai, par voie d’exception, l’illégalité d’une clause de convention ou d’accord collectif ».

La cour en déduit que « la salariée est en droit de contester la légalité de la clause litigieuse et que l’accord collectif précité ne peut pas l’exclure du bénéfice de la participation faute de loi l’y autorisant ». Elle ajoute que « la signature de l’avenant par la salariée ne peut pas plus valider cette exclusion puisque reposant sur la violation d’une disposition d’ordre public absolu ». Le consentement individuel du salarié, pas plus que l’accord des organisations syndicales, ne peut légitimer une atteinte à l’ordre public.

Cette solution présente une portée pratique notable pour les entreprises ayant mis en place des dispositifs similaires. La clause excluant les bénéficiaires de cessation anticipée d’activité du droit à participation est déclarée inopposable, ce qui ouvre la voie à des actions en paiement de la part de l’ensemble des salariés concernés. La reconnaissance de l’illégalité d’une clause la rend inopposable à celui qui a soulevé l’exception, conformément à la jurisprudence de la Cour de cassation du 2 mars 2022.

II. Le régime de prescription de l’action en paiement de la participation

La cour précise le délai de prescription applicable (A) et détermine le point de départ de ce délai au regard des circonstances de l’espèce (B).

A. L’application de la prescription biennale aux demandes de participation

La question du délai de prescription applicable aux demandes de participation a longtemps fait débat. La nature non salariale de ces sommes, résultant de l’article L. 442-8, I, alinéa 2 ancien du code du travail selon lequel elles « ne sont pas prises en considération pour l’application de la législation du travail et de la sécurité sociale », a conduit certains à soutenir l’application de la prescription de droit commun.

La cour tranche en faveur de la prescription biennale en s’appuyant sur un arrêt de la Cour de cassation du 13 avril 2023 ayant jugé que « la demande en paiement d’une somme au titre de la participation aux résultats de l’entreprise, laquelle n’a pas une nature salariale, relève de l’exécution du contrat de travail et est soumise à la prescription biennale de l’article L1471-1 du code du travail ». Ce rattachement à l’exécution du contrat de travail, plutôt qu’à la nature salariale des sommes, constitue le fondement de cette solution.

Cette qualification emporte des conséquences importantes pour les salariés. Le délai de deux ans, sensiblement plus court que le délai quinquennal de droit commun, impose une vigilance accrue dans l’exercice de leurs droits. En l’espèce, la salariée ayant saisi la juridiction le 17 avril 2019, seules les sommes dues à compter du 17 avril 2017 pouvaient être réclamées, ce qui a conduit à réduire substantiellement le montant de sa créance de 30 776,97 euros à 6 684,52 euros.

B. La détermination du point de départ de la prescription

L’article L. 1471-1 du code du travail fixe le point de départ de la prescription au « jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer son droit ». La salariée soutenait n’avoir eu connaissance de son exclusion du droit à participation qu’ultérieurement, faute d’information sur les modalités de calcul et en l’absence d’envoi de l’état récapitulatif de ses droits.

La cour rejette cette argumentation. Elle relève que la salariée « ne pouvait ignorer l’application du droit à participation au sein de l’entreprise puisque résultant d’un accord collectif du 28 mars 2003 dont elle a bénéficié depuis son recrutement ». Elle souligne que l’avenant signé par la salariée prévoyait expressément l’exclusion du bénéfice de la participation. La cour précise que « si la clause est déclarée inopposable à la salariée, lui permettant ainsi d’asseoir son action en paiement, pour autant cette inopposabilité est sans effet sur sa connaissance des faits par l’avenant précité ».

Cette solution distingue la connaissance des faits de la connaissance du droit. La méconnaissance de la loi ou d’un accord collectif ne constitue pas une cause de report du point de départ de la prescription. Le fait que la salariée ait ignoré le caractère illicite de la clause d’exclusion ne pouvait différer le cours de la prescription dès lors qu’elle avait connaissance de l’existence même de cette clause et de son exclusion du dispositif de participation. La cour ajoute que l’absence d’envoi de l’état récapitulatif des droits est sans incidence puisque la salariée, exclue du dispositif par la clause litigieuse, ne pouvait y prétendre selon les termes de l’accord. Cette rigueur dans l’appréciation du point de départ de la prescription incite les salariés à agir promptement lorsqu’une clause leur paraît contestable, sans attendre une éventuelle clarification jurisprudentielle sur sa validité.

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Hassan KOHEN
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