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L’arrêt rendu par la Cour d’appel de Versailles le 3 juillet 2025 vient préciser les contours de la prescription biennale en matière d’assurance collective de prévoyance. Un avocat au barreau de Paris, victime d’un accident corporel le 23 février 2008, avait bénéficié d’indemnités journalières jusqu’au 1er janvier 2009, date de reprise de son activité professionnelle. En juin 2021, il sollicita une prise en charge au titre d’une invalidité permanente partielle qu’il estimait consécutive à cet accident, invoquant une aggravation de son état et des troubles ophtalmiques apparus ultérieurement.
L’intéressé avait saisi la Prévoyance des avocats et le courtier avant d’assigner l’assureur devant le tribunal judiciaire de Nanterre le 14 décembre 2021. Par ordonnance du 17 novembre 2023, le juge de la mise en état déclara prescrite l’action au titre de la garantie invalidité tout en admettant la recevabilité des demandes relatives aux troubles ophtalmiques et à la violation de l’obligation d’information. L’avocat interjeta appel, soutenant que le délai de prescription applicable était de dix ans et que son point de départ devait être fixé au 21 janvier 2021, date de sa notification de classement en invalidité. Il reprochait également à l’assureur de ne pas lui avoir communiqué la notice d’information contractuelle.
L’assureur, pour sa part, forma appel incident et sollicita la confirmation de la prescription acquise ainsi que l’infirmation des chefs ayant déclaré recevables les autres demandes. La question soumise à la Cour d’appel de Versailles était de déterminer si l’action de l’assuré, engagée plus de treize ans après le sinistre initial, se trouvait prescrite au regard des dispositions du code des assurances, et si l’obligation de communication de la notice d’information incombant au souscripteur pouvait faire obstacle à l’opposabilité de cette prescription.
La cour confirme la prescription de l’action au titre de la garantie invalidité avec substitution de motifs, infirme l’ordonnance en déclarant également prescrites les demandes relatives aux troubles ophtalmiques et à la violation de l’obligation de conseil, tout en ordonnant la communication d’une notice d’information actualisée. Cette décision invite à examiner les règles gouvernant la prescription des actions dérivant d’un contrat d’assurance collective (I) avant d’analyser la répartition des obligations d’information entre assureur et souscripteur (II).
I. La prescription biennale, régime impératif de l’action en garantie
La cour rappelle avec fermeté le caractère incontournable du délai de deux ans prévu par l’article L. 114-1 du code des assurances (A), puis précise les conditions strictes d’interruption de ce délai (B).
A. L’inapplicabilité de la prescription décennale aux contrats de prévoyance
La Cour d’appel de Versailles écarte sans ambiguïté la prétention de l’assuré tendant à voir appliquer le délai de prescription de dix ans. Elle relève que « le contrat groupe n°57033 est un contrat d’assurance collective de prévoyance couvrant notamment le risque d’invalidité et non un contrat d’assurance-vie ». Cette qualification emporte des conséquences décisives sur le régime de prescription applicable.
L’article L. 114-1 du code des assurances réserve la prescription décennale aux contrats d’assurance sur la vie « lorsque le bénéficiaire est une personne distincte du souscripteur ». La cour précise que l’assuré « ne peut pas plus invoquer la prescription de dix ans de l’article L114-1 2° au sujet des contrats d’assurance contre les accidents atteignant les personnes puisqu’il n’est pas ayant-droit de l’assuré décédé comme l’exige le texte ». Cette interprétation stricte des exceptions au délai biennal s’inscrit dans une jurisprudence constante de la Cour de cassation qui refuse toute extension analogique de ces dispositions dérogatoires.
Le point de départ du délai fait l’objet d’une analyse particulièrement rigoureuse. La cour retient que « dans le cadre de ce contrat, le sinistre est constitué par la survenance de l’état d’invalidité de l’assuré et du jour où il a pu en avoir conscience ». Elle refuse de fixer ce point de départ au 21 janvier 2021 au motif qu’elle « ne trouve dans les 40 pièces produites en vrac par [l’assuré] (…) qu’une lettre émanant de la MDPH lui attribuant une carte mobilité inclusion (…) qui ne peut valoir reconnaissance d’une invalidité permanente ». Cette exigence probatoire traduit une conception objective de la connaissance du sinistre, distincte d’une simple reconnaissance administrative du handicap.
B. Les conditions strictes d’interruption du délai de prescription
L’article L. 114-2 du code des assurances prévoit que l’interruption de la prescription peut résulter « de l’envoi d’une lettre recommandée avec accusé de réception adressée (…) par l’assuré à l’assureur en ce qui concerne le règlement de l’indemnité ». La cour constate que l’assuré « ne justifie d’aucun acte interruptif de prescription tel l’envoi d’une lettre recommandée avec accusé de réception susceptible d’avoir interrompu le délai de prescription ».
La lettre du 4 juin 2021 est jugée « beaucoup trop tardive et non dans la forme prévue au contrat, pour avoir cet effet ». Cette double exigence de forme et de délai illustre le formalisme protecteur institué par le législateur en matière d’assurance. Le mécanisme d’interruption spécifique prévu par le code des assurances constitue une dérogation au droit commun qui suppose un strict respect de ses conditions d’application.
La cour rejette également l’argument tiré de l’ignorance de l’identité de l’assureur. Elle relève que « déjà, une attestation remplie et signée par son médecin traitant le 14 mai 2008 lui indiquait de manière pré-imprimée les coordonnées des assureurs et notamment celles d’Allianz » et qu’un courrier du gestionnaire « lui rappelait aussi les coordonnées des contrats ». Cette circonstance factuelle interdit à l’assuré de se prévaloir d’une impossibilité d’agir susceptible de suspendre la prescription.
II. La répartition des obligations documentaires dans l’assurance de groupe
La décision clarifie utilement l’articulation des devoirs respectifs du souscripteur et de l’assureur (A) tout en limitant la portée de l’obligation de communication de pièces (B).
A. L’obligation de remise de la notice incombant au souscripteur
La cour opère une correction significative du raisonnement du premier juge en rappelant que « contrairement à ce qu’énonce l’ordonnance déférée, dans un contrat de groupe, la notice d’information relative à l’assurance doit être remise à l’assuré par le souscripteur (…) et non par l’assureur ». Elle vise expressément un arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation du 26 novembre 2020 pour asseoir cette affirmation.
L’article L. 141-4 du code des assurances dispose que « le souscripteur est tenu de remettre à l’adhérent une notice établie par l’assureur » et que « la preuve de la remise de la notice à l’adhérent (…) incombe au souscripteur ». La cour en déduit logiquement qu’« il ne peut être soutenu que la société Allianz doit être sanctionnée pour ne pas l’avoir transmise ». Cette distribution des rôles entre l’assureur, rédacteur de la notice, et le souscripteur, débiteur de l’obligation de remise, structure l’ensemble du contentieux de l’information dans l’assurance collective.
Concernant l’obligation de conseil, la cour rappelle la jurisprudence selon laquelle « dans un contrat d’assurance de groupe, c’est le souscripteur qui a le devoir de faire connaître de façon très précise à l’adhérent les droits et obligations qui sont les siens ». Elle ajoute que le souscripteur, « débiteur envers celui-ci d’un devoir d’information et de conseil, (…) est responsable des conséquences qui s’attachent à une information incomplète ». En l’absence de mise en cause du Barreau de Paris, souscripteur du contrat, l’assuré ne pouvait utilement reprocher à l’assureur une carence dans la transmission des documents contractuels.
B. Les limites du pouvoir d’injonction de communication
La cour exerce son pouvoir discrétionnaire en matière de production forcée de pièces avec mesure. Elle ordonne à l’assureur de communiquer « la notice d’information du contrat n°61700 modifié en vigueur entre le 1er juillet 2004 et le 31 décembre 2006 », estimant « légitime de demander à l’intimée de verser des pièces contractuelles à jour ». Cette injonction trouve son fondement dans l’article L. 141-4 du code des assurances qui prévoit que la notice est « établie par l’assureur ».
La cour refuse toutefois d’assortir cette mesure d’une astreinte et rejette les autres demandes de communication. Elle relève que les « explications confuses portent sur des contrats 57033 et 57034 alors que sa demande vise les contrats facultatifs complémentaires n° 57037 et 57042 ». Cette incohérence entre les moyens développés et les pièces sollicitées justifie le rejet au titre de l’absence d’utilité démontrée.
L’article 142 du code de procédure civile subordonne la production forcée à la démonstration par le demandeur de l’utilité des pièces pour résoudre le litige. En l’espèce, la prescription acquise prive d’intérêt la plupart des documents sollicités. La cour maintient néanmoins l’obligation de communiquer la notice actualisée, préservant ainsi un équilibre entre l’économie procédurale et le droit légitime de l’adhérent à connaître les stipulations contractuelles qui lui ont été appliquées.