Cour d’appel de Versailles, le 3 juillet 2025, n°24/00041

Un salarié engagé en qualité de responsable d’exploitation par une société de distribution de fournitures techniques fut informé, au début de l’année 2020, d’une réorganisation de l’activité en Ile-de-France. Cette restructuration conduisit à la fermeture de l’agence où il exerçait ses fonctions et à la création de deux nouvelles agences. Le salarié signa d’abord un avenant contractuel acceptant sa nouvelle affectation, puis revint sur cette acceptation par courrier, invoquant des raisons personnelles. Ne s’étant pas présenté à son nouveau poste, il fut licencié pour faute grave le 28 août 2020. Un protocole transactionnel intervint le 28 septembre 2020.

Le salarié saisit le conseil de prud’hommes de Cergy-Pontoise aux fins d’annulation de la transaction et de requalification du licenciement en rupture sans cause réelle et sérieuse. Par jugement du 30 novembre 2023, cette juridiction déclara le protocole licite et débouta le salarié de l’ensemble de ses demandes. Le salarié interjeta appel.

Devant la cour d’appel de Versailles, le salarié sollicitait l’infirmation du jugement et l’annulation de la transaction pour trois motifs : violence morale, fraude à la loi et absence de concessions réciproques. L’employeur opposait l’irrecevabilité des demandes tirée de l’autorité de la chose jugée attachée à la transaction et, subsidiairement, contestait chacun des moyens de nullité invoqués.

La question posée à la cour était de déterminer si le protocole transactionnel conclu entre un salarié licencié pour faute grave après refus de sa nouvelle affectation et son employeur devait être annulé pour violence morale, fraude à la loi ou défaut de concessions réciproques.

Par arrêt du 3 juillet 2025, la cour d’appel de Versailles confirme pour l’essentiel le jugement entrepris. Elle rejette la fin de non-recevoir tirée de l’autorité de la chose jugée, considérant le salarié recevable à invoquer des motifs d’annulation. Elle écarte cependant chacun de ces motifs au fond et valide le protocole transactionnel.

L’arrêt présente un intérêt particulier en ce qu’il articule l’examen de la recevabilité de l’action en nullité d’une transaction avec l’appréciation de ses conditions de validité (I), puis confronte la mise en oeuvre d’une clause de mobilité à la qualification du motif de licenciement (II).

I. La recevabilité de l’action en nullité et le contrôle des conditions de validité de la transaction

La cour examine successivement la portée de l’autorité de la chose jugée attachée à la transaction (A), puis les conditions substantielles de validité invoquées par le salarié (B).

A. Le dépassement de l’effet extinctif de la transaction par l’invocation de causes de nullité

L’article 2052 du code civil confère à la transaction l’autorité de la chose jugée en dernier ressort. Elle fait obstacle à l’introduction d’une action ayant le même objet entre les parties. L’employeur soutenait que cette disposition rendait irrecevables les demandes du salarié relatives à la rupture du contrat de travail.

La cour rejette cette fin de non-recevoir en distinguant l’effet extinctif de la transaction de la possibilité d’en contester la validité. Elle énonce que « le salarié, qui se prévaut de différents motifs d’annulation du protocole transactionnel, est recevable, indépendamment du bien fondé de son action, à intenter une action visant à obtenir l’annulation du protocole transactionnel ». Cette solution s’inscrit dans une jurisprudence constante de la Cour de cassation qui admet que l’autorité de la chose jugée attachée à la transaction ne fait pas obstacle à une action en nullité fondée sur les vices du consentement ou l’absence de concessions réciproques.

La décision présente un intérêt pédagogique en rappelant l’articulation entre recevabilité et bien-fondé. Le juge doit d’abord vérifier si les moyens invoqués correspondent à des causes de nullité prévues par la loi, ce qui ouvre la recevabilité de l’action. L’examen du bien-fondé de ces moyens intervient dans un second temps.

B. L’appréciation des vices allégués au regard des exigences légales

Le salarié invoquait trois causes de nullité. La violence morale, prévue par l’article 1130 du code civil, supposait de démontrer une contrainte ayant vicié le consentement. Le salarié alléguait un stratagème de l’employeur consistant à antidater ou postdater des documents. La cour relève cependant qu’il « ne s’explique pas sur les circonstances qui auraient pu le contraindre à signer ce document » et qu’il avait manifesté son refus à deux reprises. Elle conclut qu’« il n’est pas avéré que le protocole transactionnel a été conclu avant la notification du licenciement ».

La fraude à la loi était invoquée au motif que l’employeur aurait contourné les règles du licenciement économique. La cour écarte ce moyen en relevant que « le refus d’une nouvelle affectation par un salarié constitue bien un motif d’ordre personnel et non d’ordre économique, alors que l’activité perdure ». Cette analyse repose sur une distinction classique entre le motif économique, inhérent à la situation de l’entreprise, et le motif personnel, tenant au comportement du salarié.

L’appréciation des concessions réciproques est effectuée au regard des prétentions des parties au moment de la signature. La cour juge que « le paiement par la société Rubix France d’une indemnité transactionnelle de 2062 euros, supérieure à l’indemnité légale de licenciement, constitue une concession suffisante ». Cette appréciation tient compte de la qualification disciplinaire retenue et de l’absence de motif légitime de refus opposé par le salarié.

II. La clause de mobilité comme fondement du licenciement disciplinaire

L’arrêt précise les conditions de mise en oeuvre de la clause de mobilité (A) et ses conséquences sur la qualification de la faute grave (B).

A. La validité de la mise en oeuvre de la clause de mobilité

Le contrat de travail comportait une clause de mobilité couvrant les départements d’Ile-de-France. La cour rappelle que « lorsque le contrat de travail comporte une clause de mobilité dont la validité n’est pas remise en cause et que l’employeur la met en oeuvre sans commettre d’abus, […] le refus, par le salarié de se conformer à la clause qu’il a acceptée est susceptible de constituer une faute grave ».

La validité de la clause n’était pas contestée par le salarié. Les conditions jurisprudentielles de validité étaient réunies : définition précise de la zone géographique d’application, mise en oeuvre conforme à l’intérêt de l’entreprise, délai de prévenance respecté. L’employeur avait accordé un délai d’un mois et proposé la prise en charge des frais de transport pendant un mois.

La cour relève une circonstance particulière : le salarié avait d’abord signé un avenant acceptant sa nouvelle affectation avant de se rétracter. Cette acceptation initiale renforçait la légitimité de la mise en oeuvre de la clause. Le retrait ultérieur du salarié, motivé par des « raisons personnelles » non précisées, ne constituait pas un motif légitime de refus.

B. La caractérisation de la faute grave et la suffisance des concessions

La faute grave est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise. Le refus d’une mutation ordonnée en application d’une clause de mobilité valide peut revêtir ce caractère. La cour note que « le salarié n’allègue, ni ne caractérise de motif légitime de refuser l’affectation, alors même que l’agence de [Seine-Saint-Denis] était plus proche de son domicile que l’agence [précédente] ».

Cette observation est déterminante. Le salarié ne pouvait invoquer un allongement de ses temps de trajet puisque sa situation géographique s’améliorait. L’absence de tout motif légitime, qu’il soit d’ordre familial, médical ou professionnel, privait le refus de toute justification susceptible d’atténuer sa gravité.

La portée de l’arrêt réside dans l’articulation entre la qualification disciplinaire du licenciement et l’appréciation des concessions transactionnelles. La cour juge l’indemnité de 2062 euros suffisante précisément parce que le licenciement pour faute grave apparaissait fondé. Si le motif avait été économique, comme le soutenait le salarié, cette même somme aurait pu être considérée comme dérisoire au regard des droits dont le salarié aurait été privé. La validation de la transaction repose ainsi sur la cohérence entre la qualification retenue et les concessions accordées.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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