Cour d’appel de Versailles, le 3 juillet 2025, n°24/01225

Par un arrêt du 3 juillet 2025, la cour d’appel de Versailles statue sur la suspension d’une pension d’invalidité prononcée en raison du dépassement des plafonds de ressources. Cette décision s’inscrit dans le contentieux récurrent opposant les assurés sociaux aux caisses de sécurité sociale quant aux conditions de maintien des prestations contributives.

Une assurée sociale bénéficiait depuis le 2 août 2019 d’une pension d’invalidité de première catégorie. Par courrier du 29 mars 2023, la caisse lui notifie la suspension de sa pension à compter du 1er novembre 2022, puis par courrier du 4 avril 2023, la réduction administrative à zéro euro du montant de cette pension en raison des ressources perçues sur la période de référence. L’assurée conteste cette décision devant la commission de recours amiable qui confirme la suspension le 25 juillet 2023.

Après renvoi devant le pôle social du tribunal judiciaire de Versailles, celui-ci déboute l’assurée par jugement du 26 janvier 2024. L’intéressée interjette appel et sollicite l’annulation des décisions de suspension et de réduction, subsidiairement l’écartement partiel de l’article R. 341-17 I 2° du code de la sécurité sociale au motif de sa contrariété avec l’article 1er du protocole additionnel n° 1 de la Convention européenne des droits de l’homme. La caisse soulève l’irrecevabilité de l’appel pour tardiveté et conclut à la confirmation du jugement.

La question de droit principale consiste à déterminer si les dispositions réglementaires relatives à la suspension de la pension d’invalidité en cas de dépassement du seuil de ressources méconnaissent le droit au respect des biens garanti par la Convention européenne des droits de l’homme. La cour d’appel de Versailles rejette cette argumentation et confirme le jugement entrepris, estimant que la réglementation poursuit un objectif d’équilibre financier du régime et répond à une exigence de proportionnalité.

La présente décision appelle un examen du mécanisme de suspension de la pension d’invalidité fondé sur les ressources (I), puis une analyse de la conformité de ce mécanisme aux exigences conventionnelles (II).

I. Le mécanisme de suspension de la pension d’invalidité fondé sur les ressources

La cour rappelle le cadre juridique applicable à la suspension de la pension d’invalidité (A), avant d’en préciser les modalités d’application au litige (B).

A. Le cadre juridique de la suspension pour dépassement de ressources

L’article L. 341-12 du code de la sécurité sociale dispose que « le service de la pension peut être suspendu en tout ou partie en cas de reprise du travail, en raison du salaire ou du gain de l’intéressé ». Cette disposition législative pose le principe d’une modulation de la prestation en fonction des revenus perçus par l’assuré invalide.

L’article R. 341-17 du même code précise les modalités de cette suspension. Le texte fixe un seuil correspondant au montant le plus élevé entre le salaire annuel moyen défini à l’article R. 341-4 et le salaire annuel moyen de l’année civile précédant l’arrêt de travail suivi d’invalidité. Lorsque le cumul de la pension et des revenus d’activité ou de remplacement excède ce seuil, les arrérages mensuels sont réduits à hauteur d’un douzième de cinquante pour cent du dépassement constaté.

La cour souligne que « le service de la pension d’invalidité est suspendu en tout ou partie lorsque le total du montant annuel théorique de la pension et des revenus bruts soumis à cotisations dépasse le salaire annuel de comparaison ». Ce mécanisme vise à maintenir le caractère compensatoire de la pension d’invalidité, laquelle a pour objet de pallier la perte de revenus professionnels résultant de l’incapacité de travail.

B. L’application du mécanisme au litige

En l’espèce, le litige portait sur la prise en compte de l’indemnité légale de licenciement et de diverses primes perçues par l’assurée. Le montant des ressources s’élevait à 125 166,70 euros, soit un montant très supérieur au salaire annuel moyen de comparaison fixé à 41 136 euros.

L’assurée contestait le caractère salarial de l’indemnité de licenciement et des primes, arguant qu’aucune n’était la contrepartie d’une prestation de travail. La cour écarte cet argument en relevant que « toutes les primes prises en compte par la Caisse sont des primes soumises à cotisations sociales ». Concernant l’indemnité de licenciement, elle précise que « s’il est exact que l’indemnité de licenciement ne constitue pas une rémunération d’une activité salariée, pour autant il s’agit d’une indemnité soumise à cotisations et conserve un lien avec l’activité salariée puisqu’il s’agit d’en indemniser la rupture ».

Le calcul de la réduction aboutissait à un montant mensuel de 3 501,28 euros, soit le douzième de cinquante pour cent du dépassement constaté. Ce montant étant supérieur au montant théorique de la pension de 1 028,40 euros, aucun arrérage n’était dû à l’assurée. La cour valide ainsi l’application arithmétique du texte réglementaire par la caisse.

II. La conformité du mécanisme aux exigences conventionnelles

La cour examine la compatibilité du dispositif avec le droit au respect des biens (A), puis justifie sa solution par les principes de solidarité et d’équilibre financier du régime (B).

A. L’examen de la compatibilité avec l’article 1er du protocole additionnel

L’assurée invoquait la contrariété de l’article R. 341-17 I 2° du code de la sécurité sociale avec l’article 1er du protocole additionnel n° 1 de la Convention européenne des droits de l’homme. Elle sollicitait un contrôle de conventionnalité, tant in abstracto qu’in concreto, de la disposition réglementaire.

La cour rappelle la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme selon laquelle « dès lors qu’un État contractant met en place une législation prévoyant le versement automatique d’une prestation sociale ou d’une pension, cette législation doit être considérée comme engendrant pour les personnes en remplissant les conditions, un intérêt patrimonial relevant du champ d’application de l’article 1 du Protocole additionnel n° 1 ». Elle en déduit qu’une réglementation ne peut porter atteinte à cet intérêt patrimonial qu’aux conditions d’être justifiée par un intérêt public ou général légitime et d’être proportionnée au but poursuivi.

La cour procède ensuite à l’examen des conditions de compatibilité. Elle constate que « la suspension ou la suppression résultent d’un texte législatif », satisfaisant ainsi à l’exigence de légalité. Elle vérifie également l’existence d’un but légitime et la proportionnalité de l’atteinte au regard des circonstances de l’espèce.

B. La justification par les principes de solidarité et d’équilibre financier

La cour développe une argumentation substantielle relative à la nature de la pension d’invalidité et aux principes qui gouvernent le système de sécurité sociale. Elle rappelle que « la pension d’invalidité est un revenu de remplacement destiné à compenser la perte de revenu d’une activité professionnelle, en raison d’une diminution partielle ou totale de la capacité de travail ou de gain liée à une invalidité ».

Elle souligne ensuite que le système de sécurité sociale « ne repose pas exclusivement sur une logique contributive ou assurantielle » mais « intègre aussi un principe de solidarité entre les générations, entre les malades et les bien portants, entre les actifs et les chômeurs ». Cette double dimension justifie qu’il n’y ait pas de stricte équivalence entre cotisations versées et prestations servies.

La cour conclut que « la prise en compte de l’intégralité des ressources pour déterminer le droit à pension, répond à la nécessité d’un équilibre financier du régime afin de permettre à tous les assurés de bénéficier de ce droit à pension en fonction de leurs ressources, ce qui répond également à un objectif d’équité ». Elle ajoute que la décision de suspension « répond à la condition de proportionnalité dès lors qu’elle résulte du constat de ressources supérieures au plafond et qu’elle ne présente aucun caractère définitif puisque pouvant être réexaminée en fonction de l’évolution de ces ressources ».

La cour relève enfin que « les sommes perçues par l’assurée sont très largement supérieures au plafond exigé pour bénéficier d’une pension d’invalidité et la décision de suspension ne la place pas dans une situation financière précaire ». Cette appréciation concrète de la situation de l’intéressée participe du contrôle de proportionnalité exigé par la jurisprudence européenne.

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Hassan KOHEN
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