Cour d’appel de Versailles, le 3 septembre 2025, n°23/02042

Par un arrêt rendu le 3 septembre 2025, la cour d’appel de Versailles statue sur un licenciement pour insuffisance professionnelle assorti d’une demande de nullité pour discrimination liée à une candidature aux élections professionnelles. Le salarié, entré en 2000 en qualité de comptable paie, a été convoqué le 12 octobre 2020 et licencié le 15 octobre 2020. Il a saisi la juridiction prud’homale afin de contester la rupture et d’obtenir des indemnités. Le premier juge, par jugement du 27 juin 2023, a retenu l’existence d’une cause réelle et sérieuse, l’a débouté et l’a condamné aux dépens.

L’appelant sollicite l’infirmation, la reconnaissance d’un licenciement nul, subsidiairement sans cause réelle et sérieuse, et l’allocation de diverses sommes. L’intimée demande la confirmation et, à titre subsidiaire, la réduction de toute éventuelle indemnité. Le litige concentre deux questions principales. D’une part, les griefs invoqués caractérisent-ils une insuffisance professionnelle au sens du droit positif. D’autre part, les éléments versés suffisent-ils à laisser supposer une discrimination en lien avec la candidature aux élections, renversant alors la charge probatoire. La cour répond négativement à la première interrogation et positivement à la seconde, en rappelant que « Il résulte de l’article L. 1235-1 du code du travail que la charge de la preuve de la cause réelle et sérieuse du licenciement n’incombe pas spécialement à aucune des parties mais que le doute doit profiter au salarié ». Elle retient ensuite que « le licenciement est donc nul » et ordonne le remboursement des allocations de chômage dans la limite de six mois.

I. Qualification de l’insuffisance et contrôle des griefs

A. Définition et régime probatoire
La cour rappelle d’abord la notion d’insuffisance professionnelle, entendue comme une inadéquation objective et durable entre la prestation attendue et celle effectivement fournie. Elle en donne une définition opératoire claire et exigeante, en énonçant que « L’insuffisance professionnelle se définit comme la mauvaise exécution des tâches confiées au salarié ou la commission d’erreurs dans leur exécution, l’incapacité objective, non fautive et durable, du salarié à accomplir correctement la prestation de travail ». Cette formulation situe la frontière entre insuffisance, non fautive, et faute disciplinaire, en assignant à l’employeur une exigence de preuve substantielle et contextualisée.

Le cadre probatoire est doublement structuré. En matière de cause réelle et sérieuse, la règle d’équilibre prévaut, avec un bénéfice du doute acquis au salarié. La cour l’énonce de façon nette : « la charge de la preuve […] n’incombe pas spécialement à aucune des parties mais le doute doit profiter au salarié ». En arrière-plan, cette grille appelle un examen des faits individualisé, tenant compte des évaluations passées, des mesures d’accompagnement, et de la proportion entre erreurs constatées et carrière antérieure. La méthode oblige l’employeur à rapporter non seulement l’existence d’erreurs, mais encore leur gravité, leur répétition et leurs conséquences.

B. Appréciation concrète des faits et doute profitant au salarié
L’arrêt dissèque les griefs. Il valide deux erreurs, un virement complémentaire tardif sans pénalité et une interruption de versements sous avis à tiers détenteur, mais rejette les autres. Plusieurs énoncés attestent de ce contrôle serré: « Ce grief n’est pas établi », s’agissant des process, des taux et d’un virement imputable à un autre périmètre. Surtout, l’arrêt souligne l’absence de soutien en formation: « Il s’en déduit qu’aucune action particulière n’a été mise en place pour apporter un soutien au salarié en terme de formation et d’adaptation à son poste de travail ». Placés dans la perspective de vingt ans d’exécution, ces éléments pèsent.

La motivation retient finalement que l’addition de manquements récents et isolés ne suffit pas, au regard d’une ancienneté quantifiée et d’évaluations antérieures positives. Elle énonce de manière décisive que « ces seuls manquements ne permettent pas de caractériser l’insuffisance professionnelle alléguée ». L’économie du raisonnement tient à la proportionnalité: erreurs corrigées, effets limités, absence de récidive significative et défaut d’accompagnement. Le doute subsistant profite au salarié, ce qui invalide la cause réelle et sérieuse. Ce premier temps ouvre le terrain probatoire de la discrimination, en recomposant la chronologie des faits.

II. Nullité discriminatoire et effets

A. Mécanisme probatoire et caractérisation de la discrimination
La cour applique ensuite le régime spécifique de l’article L.1134-1. Elle relève des éléments concordants, notamment la candidature aux élections professionnelles, la temporalité des alertes, et une publication de recrutement insuffisamment objectivée quant à sa date et sa finalité. Elle constate que « le salarié présente des faits matériellement établis, qui, pris dans leur ensemble, permettent de supposer l’existence d’une discrimination en raison de la candidature […] aux élections professionnelles ». La bascule probatoire s’opère alors, selon la formule consacrée: « Il appartient donc à l’employeur de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination ».

Or, la réponse de l’employeur demeure sans offre de preuve probante sur la publication incriminée et sur l’objectivation des motifs de rupture, déjà affaiblis par l’absence de cause réelle et sérieuse. La mécanique probatoire emporte la nullité, le juge attachant une valeur symptomatique à l’ensemble des indices, au-delà de chaque pièce isolée. La sanction s’impose en droit positif, conformément à l’alinéa 3 de l’article L.1235-3-1, spécialement mobilisé en matière de discrimination, et indépendamment du barème d’indemnisation.

B. Portée indemnitaire, incidents procéduraux et enseignements
La conséquence indemnitaire suit l’article L.1235-3-1. La cour rappelle que « Le licenciement étant nul, le salarié, qui ne demande pas sa réintégration, est fondé à percevoir une indemnité au moins égale à 6 mois de salaire ». Elle ordonne encore, au titre d’ordre public, le remboursement des prestations chômage: « il convient d’ordonner d’office le remboursement par l’employeur, à l’organisme concerné, du montant des indemnités chômage […] dans la limite de six mois ». La portée pratique est forte: exclusion du barème, plancher imposé, et sanction financière externe via l’organisme payeur.

Les incidents périphériques sont traités avec précision. Sur le délai entre entretien préalable et notification, l’arrêt rappelle la règle matérielle d’expédition: « Le délai légal de deux jours ouvrables après la tenue de l’entretien préalable a donc été respecté », « peu important que la lettre ait été signée par le responsable du salarié avant son départ en congés ». La solution éclaire la nature du délai, centré sur l’envoi, non sur la signature. S’agissant du harcèlement moral, la cour rejette faute de pluralité d’agissements, en retenant que « Le salarié ne présentant qu’un seul fait établi à l’appui du harcèlement moral allégué […] il convient de confirmer le jugement […] ». Le rappel méthodologique réaffirme l’exigence de répétition.

Au fond, l’arrêt contribue à la consolidation d’un triptyque. D’abord, le contrôle de l’insuffisance se déploie à l’aune d’une carrière longue, des évaluations et de l’accompagnement, la preuve devant excéder la simple addition d’erreurs ponctuelles corrigées. Ensuite, la méthode probatoire de la discrimination s’applique pleinement lorsque les indices convergent et que la défense demeure insuffisamment objectivée. Enfin, le volet indemnitaire des nullités de licenciement confirme sa cohérence systémique, avec un plancher protecteur et une sanction de remboursement, ce qui oriente la prévention des risques en amont. Par ce raisonnement articulé et précis, la cour d’appel de Versailles opère un réglage fin des standards probatoires et des conséquences attachées à la nullité.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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