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Un salarié peut-il être licencié pour s’être endormi à son poste de travail lorsque cet assoupissement résulte d’un traitement médical dont l’employeur a été informé ? La cour d’appel de Versailles, dans un arrêt du 30 juin 2025, répond par la négative en confirmant l’absence de cause réelle et sérieuse du licenciement.
Les faits de l’espèce sont les suivants. Un opérateur de production, engagé depuis le 3 avril 2000 par une société spécialisée dans la fabrication de matières plastiques, a été découvert endormi à son poste de surveillance le 27 février 2021, assis sur une chaise, les jambes allongées sur une autre. Un responsable l’a observé pendant environ deux minutes avant de le réveiller. Le salarié a immédiatement expliqué que cet endormissement était dû à un traitement à base de codéine prescrit à la suite d’un passage aux urgences six jours plus tôt.
Par courrier du 7 avril 2021, l’employeur a notifié au salarié son licenciement pour cause réelle et sérieuse, invoquant cet endormissement ainsi qu’un avertissement antérieur du 28 juin 2017 pour des faits similaires. Le salarié a saisi le conseil de prud’hommes de Chartres, qui a jugé le licenciement sans cause réelle et sérieuse par décision du 25 août 2022. L’employeur a interjeté appel.
La question posée à la cour d’appel de Versailles était double : d’une part, un employeur peut-il invoquer une sanction disciplinaire datant de plus de trois ans pour justifier un licenciement ; d’autre part, un endormissement involontaire causé par un traitement médical constitue-t-il une cause réelle et sérieuse de licenciement ?
La cour confirme le jugement de première instance. Elle retient que l’avertissement de 2017 ne pouvait être invoqué en application de l’article L. 1332-5 du code du travail et que le licenciement constitue une sanction disproportionnée au regard des circonstances de l’espèce.
L’intérêt de cette décision réside dans l’articulation qu’elle opère entre le pouvoir disciplinaire de l’employeur et la prise en compte de l’état de santé du salarié (I), ainsi que dans l’application du principe de proportionnalité des sanctions disciplinaires (II).
I. L’encadrement du pouvoir disciplinaire par les règles de prescription
A. L’interdiction d’invoquer une sanction prescrite
La lettre de licenciement faisait expressément référence à « l’avertissement notifié par courrier en date du 28 juin 2017 » pour des « faits exactement similaires ». L’employeur entendait ainsi démontrer la réitération du comportement fautif et justifier la rupture du contrat.
La cour rappelle fermement les termes de l’article L. 1332-5 du code du travail : « aucune sanction antérieure de plus de trois ans à l’engagement des poursuites disciplinaires ne peut être invoquée à l’appui d’une nouvelle sanction ». Ce texte institue une prescription des sanctions disciplinaires qui interdit à l’employeur de s’appuyer sur des faits anciens pour aggraver une sanction nouvelle.
En l’espèce, l’avertissement ayant été notifié le 28 juin 2017 et les poursuites disciplinaires engagées en mars 2021, plus de trois ans et huit mois s’étaient écoulés. La cour considère donc que « l’avertissement du 28 juin 2017 ayant été notifié plus de trois ans avant le licenciement, il ne peut être invoqué à l’appui du licenciement ».
Cette solution s’inscrit dans une jurisprudence constante de la Cour de cassation qui veille au respect strict de ce délai de prescription. Le législateur a souhaité que le passé disciplinaire du salarié ne puisse indéfiniment lui être opposé, consacrant ainsi un droit à l’oubli en matière de sanctions.
B. La distinction entre invocation et simple rappel d’une sanction prescrite
L’employeur soutenait en défense qu’il n’avait pas « justifié le licenciement du salarié en se référant à un avertissement pour des faits prescrits », mais qu’il était « en droit de rappeler aux termes de la lettre de licenciement les agissements fautifs prescrits du salarié, ayant la même nature que le comportement fautif ».
Cette argumentation tendait à établir une distinction entre l’invocation d’une sanction prescrite, prohibée, et son simple rappel à titre informatif, qui serait licite. La cour rejette implicitement cette distinction en retenant qu’« il est établi que la société a invoqué dans la lettre de licenciement du 7 avril 2021 l’avertissement notifié le 28 juin 2017, en violation des termes de l’article précité ».
La rédaction de la lettre de licenciement ne laissait guère de doute sur l’intention de l’employeur. Celui-ci écrivait que « cette situation est inacceptable, ce d’autant que vous avez déjà été sanctionné pour des faits exactement similaires ». Le rappel de la sanction antérieure participait clairement de la motivation du licenciement et non d’une simple mention contextuelle.
Toutefois, la cour refuse d’indemniser le préjudice allégué par le salarié du fait de cette violation, relevant que celui-ci « ne démontr[e] pas l’existence d’un préjudice en résultant ». Cette solution s’inscrit dans l’abandon de la théorie du préjudice nécessaire consacré par l’arrêt du 13 avril 2016.
L’application stricte des règles de prescription ne suffit pas à caractériser l’absence de cause réelle et sérieuse. La cour devait encore examiner si les faits reprochés, pris isolément, justifiaient le licenciement.
II. L’appréciation de la proportionnalité de la sanction au regard des circonstances
A. La reconnaissance du caractère involontaire de la faute
La matérialité des faits n’était pas contestée. Le salarié avait été trouvé endormi à son poste de travail alors qu’il devait surveiller une ligne de production, son collègue étant parti déjeuner. La cour constate que « l’employeur établit la matérialité du grief reproché au salarié dans la lettre de licenciement ».
Cependant, la cour prend en considération les circonstances ayant conduit à cet endormissement. Le salarié avait été hospitalisé aux urgences le 21 février 2021 pour des symptômes neurologiques inquiétants. Un traitement de sept jours à base de codéine lui avait été prescrit. La cour relève que « M. [K] démontre aux termes de ses pièces qu’il souffre de migraines depuis de nombreuses années, ayant justifié plusieurs hospitalisations et, en effet, d’un passage aux urgences le 21 février 2021 ».
L’endormissement survenu le 27 février, soit six jours après cette hospitalisation et pendant la période de traitement, trouvait ainsi une explication médicale. Le salarié avait lui-même reconnu dans son courriel d’excuses que la codéine avait tendance à « l’assommer ». La cour retient que « le salarié justifie du traitement médical en cours expliquant le caractère involontaire de l’endormissement qui lui est reproché ».
Cette prise en compte du caractère involontaire de la faute s’inscrit dans une conception subjective de la faute disciplinaire. Le droit du travail admet que la faute suppose un élément intentionnel ou, à tout le moins, une négligence imputable au salarié. Un comportement dont la cause échappe à la volonté du salarié peut difficilement fonder une sanction disciplinaire.
B. L’exigence de proportionnalité dans le choix de la sanction
La cour ne se contente pas de relever le caractère involontaire de l’endormissement. Elle prend en compte un faisceau d’éléments pour apprécier la proportionnalité de la sanction prononcée.
Le premier élément tient à l’attitude du salarié après les faits. Celui-ci « s’est immédiatement excusé de son comportement auprès de son employeur et s’est engagé à ce que cela ne se reproduise pas ». Le courriel du 1er mars 2021 exprimait ses « profonds regrets » et sa « conscience d’avoir mal agi ». Cette reconnaissance de la faute et cette volonté de ne pas la réitérer militaient pour une sanction plus clémente.
Le second élément réside dans l’ancienneté du salarié. La cour souligne qu’« il travaillait au sein de l’entreprise depuis 20 ans ». Cette ancienneté importante, acquise sans autres incidents disciplinaires significatifs, constitue un élément d’appréciation favorable. La jurisprudence admet de longue date que l’ancienneté du salarié et la qualité de ses services antérieurs doivent être prises en compte pour apprécier la gravité d’un manquement.
Le troisième élément concerne les motivations du salarié. Celui-ci avait expliqué que « par conscience professionnelle et car il pensait tenir », il n’avait pas souhaité se mettre en arrêt de travail. Paradoxalement, c’est cette volonté de ne pas abandonner son poste qui l’avait conduit à travailler malgré les effets secondaires de son traitement.
Au terme de cette analyse, la cour conclut que « le licenciement notifié est une sanction disproportionnée ». Elle confirme ainsi la qualification de licenciement sans cause réelle et sérieuse retenue par les premiers juges.
Cette décision illustre le contrôle de proportionnalité exercé par le juge sur les sanctions disciplinaires. L’employeur dispose certes d’un pouvoir de direction et de sanction, mais ce pouvoir n’est pas discrétionnaire. Le choix de la sanction doit être adapté à la gravité de la faute et aux circonstances de sa commission. Un licenciement, sanction ultime rompant le contrat de travail, ne saurait être prononcé pour un manquement isolé, involontaire et immédiatement regretté par un salarié de vingt ans d’ancienneté.