Cour d’appel de Versailles, le 4 septembre 2025, n°22/03310

Par un arrêt du 4 septembre 2025, la cour d’appel de Versailles, chambre sociale, statue sur la validité d’un licenciement économique consécutif au refus d’une mobilité géographique dans le cadre d’une réorganisation. Un salarié, engagé en 2002 comme analyste programmeur, s’était vu proposer en 2017 un transfert de son poste vers un autre site après consultation des institutions représentatives et validation administrative d’un plan de sauvegarde de l’emploi. Il a refusé la modification et les postes de reclassement proposés, puis a été licencié pour motif économique fin août 2017.

Saisi, le conseil de prud’hommes a rejeté ses demandes. En appel, le salarié conteste l’existence d’une menace sur la compétitivité et la consistance du secteur d’activité retenu, soutenant le caractère opportuniste de la réorganisation et l’absence de difficultés. L’employeur invoque, au contraire, une réorganisation nécessaire pour sauvegarder la compétitivité dans un segment spécialisé, au regard de la conjoncture et de la digitalisation. La question posée tient à l’appréciation du motif économique au regard du secteur pertinent au sein du groupe et à la preuve d’une menace sur la compétitivité justifiant la réorganisation. La cour infirme le jugement, écarte la cause réelle et sérieuse, alloue une indemnité, et ordonne le remboursement des allocations de chômage.

I. Le cadre du motif économique et son périmètre

A. Définition et contrôle du motif économique

La cour rappelle que « Le licenciement d’un salarié résultant de son refus d’une modification d’un élément essentiel de son contrat de travail peut constituer un motif économique lorsque la modification est consécutive à une réorganisation de l’entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité. » Le texte applicable définit des cas, dont la réorganisation justifiée par la sauvegarde de la compétitivité, et précise le niveau d’appréciation. Elle souligne, dans la ligne de l’article L. 1233-3, que « La matérialité de la suppression, de la transformation d’emploi ou de la modification d’un élément essentiel du contrat de travail s’apprécie au niveau de l’entreprise ». La charge de la preuve pèse sur l’employeur, qui doit établir l’existence d’une menace et la nécessité des mesures.

Le contrôle juridictionnel porte sur le caractère sérieux du motif et l’adéquation des mesures qui affectent l’emploi ou le contrat. À ce titre, « Le juge, tenu de contrôler le caractère sérieux du motif économique du licenciement, doit vérifier l’adéquation entre la situation économique de l’entreprise et les mesures affectant l’emploi ou le contrat de travail envisagées par l’employeur, mais ne peut se substituer à ce dernier quant aux choix qu’il effectue dans la mise en ‘uvre de la réorganisation. » L’exigence d’un lien démontré entre menace alléguée et mesures prises structure ainsi l’examen.

B. Appréciation au niveau du groupe et secteur d’activité

Lorsque l’entreprise relève d’un groupe, la jurisprudence de référence est réaffirmée. La cour cite que « la cause économique d’un licenciement s’apprécie au niveau de l’entreprise ou, si celle-ci fait partie d’un groupe, au niveau du secteur d’activité du groupe dans lequel elle intervient. Le périmètre du groupe à prendre en considération à cet effet est l’ensemble des entreprises unies par le contrôle ou l’influence d’une entreprise dominante […] sans qu’il y ait lieu de réduire le groupe aux entreprises situées sur le territoire national ». Ce rappel commande d’identifier l’ensemble pertinent et le segment d’activité concerné.

L’employeur doit expliciter la consistance du groupe et le contour du secteur en cause. À cet égard, la décision souligne que « Il appartient à l’employeur de déterminer la consistance de ce groupe et de celle du secteur d’activité concerné. » Le contrôle porte alors sur la cohérence des données mobilisées et leur pertinence à la date de la rupture, en lien avec la réorganisation invoquée.

II. L’application aux faits et la portée de la décision

A. Absence de menace sur la compétitivité démontrée

La cour constate que les éléments principaux avancés par l’employeur se concentrent sur l’exercice 2016, marqué par un assainissement du portefeuille, avec des effets techniques sur les ratios. Elle apprécie la situation au plus près d’août 2017, tenant compte des signaux d’amélioration publiés au premier semestre et de la progression des volumes sur le segment spécialisé. Elle relève que les évolutions défavorables tiennent à des choix de gestion assumés et temporaires, non à une dégradation structurelle avérée.

La conjoncture évoquée, faite de maturité des marchés, de concurrence accrue et de digitalisation, touche l’ensemble du secteur, et a déjà été intégrée par des initiatives concrètes de diversification et d’outillage. Dans ces conditions, la cour juge que « En conséquence, la baisse des résultats, dont se prévaut l’employeur sans la démontrer, est impropre en tout état de cause à caractériser une menace sur la compétitivité de l’entreprise. » La seule invocation de tendances générales, sans corrélation probante avec la situation du groupe au segment pertinent et à la date utile, ne suffit pas.

B. Réorganisation, contrôle d’adéquation et conséquences

La réorganisation pouvait relever du pouvoir de direction. Encore fallait-il démontrer qu’elle était « nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité », et que la mobilité imposée était l’instrument adéquat à une menace établie. La cour rappelle à ce titre que « Ainsi, sans arbitrer entre les différentes possibilités de réorganisation d’une entreprise, il doit vérifier que celle invoquée à l’appui des licenciements est nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité. » Or le lien entre regroupement géographique des fonctions support et sauvegarde de la compétitivité n’est pas démontré.

Faute de motif économique, le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse. La cour en tire les conséquences indemnitaires au regard de l’article L. 1235-3, au vu de l’ancienneté, de l’âge, des périodes sans emploi, et des revenus de remplacement, et alloue une indemnité évaluée à quarante-sept mille euros. Elle ordonne, en application de l’article L. 1235-4, le remboursement de trois mois d’allocations de chômage, confirme l’absence d’astreinte relative aux documents sociaux déjà remis, et statue sur les dépens et les frais irrépétibles.

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Hassan KOHEN
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