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Cour d’appel de Versailles, 4 septembre 2025. Un salarié, engagé depuis 2000 comme cadre, conteste son licenciement pour motif économique consécutif au refus d’une mobilité géographique exigée lors d’une réorganisation. L’employeur avait conduit, en 2017, une procédure d’information-consultation et un PSE validé, puis proposé des postes de reclassement refusés. Le conseil de prud’hommes de Nanterre, le 14 septembre 2022, l’a débouté. En appel, le salarié soutenait l’absence de menace sur la compétitivité au périmètre pertinent et la non‑nécessité de la réorganisation. La cour infirme et juge le licenciement sans cause réelle et sérieuse, alloue 49 000 euros, ordonne le remboursement à l’assurance chômage dans la limite de trois mois, et confirme l’absence d’astreinte sur les documents de fin de contrat. La question tranchée tenait à l’appréciation du motif économique fondé sur une réorganisation prétendument nécessaire à la sauvegarde de la compétitivité, à son périmètre d’analyse et aux preuves requises à la date de la rupture.
I. Le périmètre d’appréciation du motif économique et l’exigence probatoire
A. Le groupe et le secteur d’activité pertinents
L’arrêt replace d’abord le litige dans le cadre temporel antérieur aux ordonnances de 2017, tout en rappelant la lettre de l’article L. 1233-3 dans sa version applicable. La cour énonce, de manière classique, que « La charge de la preuve pèse sur l’employeur, à qui il appartient de démontrer la réalité des difficultés économiques ou du risque pesant sur la compétitivité et la nécessité de procéder à une réorganisation de l’entreprise au moment où il licencie. » L’analyse du motif s’opère au niveau adéquat, déterminé par l’appartenance à un groupe et par le secteur où opère l’entreprise.
La cour se réfère à la solution de principe selon laquelle « la cause économique d’un licenciement s’apprécie au niveau de l’entreprise ou, si celle-ci fait partie d’un groupe, au niveau du secteur d’activité du groupe dans lequel elle intervient. Le périmètre du groupe à prendre en considération à cet effet est l’ensemble des entreprises unies par le contrôle ou l’influence d’une entreprise dominante dans les conditions définies à l’article L. 2331-1 du code du travail, sans qu’il y ait lieu de réduire le groupe aux entreprises situées sur le territoire national » (Soc., 16 novembre 2016). Elle constate l’existence d’un ensemble économique avec comptes consolidés au niveau du groupe, ce qui impose d’apprécier la cause au périmètre transnational, par secteur.
S’agissant du secteur, la cour retient l’assise « marchés spécialisés » au sein des activités « non vie », en écartant une segmentation trop étroite centrée sur la seule assurance maritime et transport. Elle relève des activités connexes, notamment réassurance et dommages aux véhicules, établissant ainsi une base de comparaison conforme à l’activité réellement exercée. Cette délimitation conditionne la suite du contrôle, en particulier l’appréciation des tendances économiques et des résultats au moment déterminant.
B. La menace sur la compétitivité insuffisamment caractérisée
Le cœur du contrôle porte sur la réalité d’une menace pesant sur la compétitivité à la date de la rupture, distincte de simples aléas conjoncturels ou de choix de gestion. La cour rappelle que « La seule sauvegarde de la compétitivité peut ainsi légitimer une réorganisation et constituer un motif économique autonome. » Elle y subordonne toutefois une preuve concrète et actuelle, et non une invocation générale d’un marché « mature » ou d’une digitalisation désormais transversale.
L’employeur invoquait une baisse des résultats en 2016, un contexte concurrentiel accru et des mutations technologiques. La cour confronte ces éléments aux données sectorielles consolidées, au dynamisme des primes sur le segment « marchés spécialisés », aux communications financières du premier semestre 2017 et aux analyses de l’expert du comité d’entreprise. Surtout, elle relativise la baisse ponctuelle de 2016, produit d’une stratégie d’assainissement des portefeuilles, assumée et maîtrisée, destinée à améliorer les marges. Elle en tire la conséquence suivante, décisive: « En conséquence, la baisse des résultats, dont se prévaut l’employeur sans la démontrer, est impropre en tout état de cause à caractériser une menace sur la compétitivité de l’entreprise. »
La cour écarte enfin les arguments relatifs à l’introduction de nouveaux acteurs et à la digitalisation, en relevant des mesures déjà prises en amont et l’insuffisance d’un tel constat pour caractériser une menace spécifique. Le contrôle se concentre sur la matérialité d’un risque crédible au périmètre pertinent, à la date du licenciement, ce que la motivation juge non établi au vu des pièces.
II. La nécessité de la réorganisation invoquée et ses effets juridiques
A. Une réorganisation non démontrée comme nécessaire
La réorganisation demeure un motif recevable si elle est objectivement nécessaire à la sauvegarde de la compétitivité et si le lien entre menace et mesures est démontré. La cour rappelle à bon droit que « Le licenciement d’un salarié résultant de son refus d’une modification d’un élément essentiel de son contrat de travail peut constituer un motif économique lorsque la modification est consécutive à une réorganisation de l’entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité. » Elle précise le cadre du contrôle juridictionnel: « Le juge, tenu de contrôler le caractère sérieux du motif économique du licenciement, doit vérifier l’adéquation entre la situation économique de l’entreprise et les mesures affectant l’emploi ou le contrat de travail envisagées par l’employeur, mais ne peut se substituer à ce dernier quant aux choix qu’il effectue dans la mise en œuvre de la réorganisation. » Et d’ajouter, en méthode, « Ainsi, sans arbitrer entre les différentes possibilités de réorganisation d’une entreprise, il doit vérifier que celle invoquée à l’appui des licenciements est nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité. »
Le dossier révélait un regroupement des fonctions support sur le site principal et un transfert corrélatif de salariés, alors que des outils de travail à distance existaient et étaient reconnus par la direction. La cour relève également l’absence d’éléments chiffrés sur les gains attendus, l’option coûteuse retenue pour les locaux et la possibilité d’autres aménagements évitant des mobilités. Faute de menace caractérisée et de démonstration d’un lien d’adéquation entre la situation économique et ces mesures de mobilité, la nécessité au sens de l’article L. 1233-3 fait défaut. La réorganisation demeure une prérogative de direction, mais elle ne saurait, en elle-même, fonder une cause économique sans preuve de son caractère indispensable à la sauvegarde de la compétitivité.
B. Les conséquences contentieuses et la portée de la décision
Constatant l’absence de motif économique, la cour prononce l’absence de cause réelle et sérieuse. Elle statue sur la réparation selon l’article L. 1235-3 applicable, appréciant souverainement le préjudice au regard de l’ancienneté, de l’âge et du parcours de reclassement. Le montant de 49 000 euros est alloué, avec intérêts et capitalisation. La cour ordonne le remboursement des indemnités de chômage à concurrence de trois mois, conformément à l’article L. 1235-4, et confirme l’absence d’astreinte pour des documents déjà remis.
La solution déploie une double portée. Elle resserre la preuve de la menace sur la compétitivité, distincte des effets transitoires d’une stratégie d’assainissement et des généralités de marché. Elle rappelle aussi que la mobilité géographique imposée, même adossée à un PSE validé, doit s’inscrire dans une réorganisation démontrée comme nécessaire, au périmètre groupe‑secteur pertinent et à la date utile. À défaut, la cause économique fait défaut et le contrôle d’adéquation conduit, comme en l’espèce, à la censure du licenciement.